843 ou 844, 26 juin. — Castillon-sur-Dordogne.

Acte faux

Pépin Ier, à la demande de l'abbé Raugaricus, confirme le privilège d'immunité de son père, l'empereur Louis le Pieux, pour le monastère Saint-Pierre de Moissac, sur le Tarn, en Quercy, fondé par saint Amand, et pour son prieuré de Marcillac, sur le Celé, renonce aux droits du fisc à charge de prières pour lui et son royaume, proclame la liberté de l'élection abbatiale, et fait défense aux évêques de Cahors de prétendre à une domination ou à un pouvoir quelconque sur les moines comme sur leurs biens et d'exiger le droit de gîte, réserve faite de l'autorité canonique.

Référence : Léon Levillain et Maurice Prou (éd.), Recueil des actes de Pépin Ier et de Pépin II rois d'Aquitaine (814-848), Paris, 1926, no48.

A. Original du faux perdu.

B. Copie du commencement du xve s., par Aimery de Peyrat, abbé de Moissac, dans sa Chronique de Moissac Bibliothèque nationale, ms. lat. 4991 A (anc. Colbert, n° 2835), fol. 135, d'après A.

a. Dom Devic et Dom Vaissète, Histoire générale de Languedoc, 1re édition, t. I, preuves, col. 91, n° 68, édition partielle d'après B.

b. Dom Bouquet, Recueil des historiens de la France, t. VIII, p. 356, n° iii, d'après a.

c. Dom Devic et Dom Vaissète, Histoire générale de Languedoc, commentée et continuée par M. le Chev. Alex. du Mège, t. II, p. 638, n° 68, d'après a.

d. A. Molinier, dans Dom Devic et Dom Vaissète, Histoire générale de Languedoc, édition Privat, t. II, preuves, col. 248, n° 121, d'après B.

e. Léon Levillain, Sur deux documents carolingiens de l'abbaye de Moissac, dans Le Moyen-Âge, 1914, p. 18, d'après B.

Indiqué : Bréquigny, Table chronologique, t. I, p. 214, ann. 844, sous le nom de Pépin II.

Indiqué : Böhmer, Regesta Karolorum, n° 2087, sous le nom de Pépin II.

Indiqué : R. Giard, Catalogue, n° 2, confondu avec notre n° I.

Ce diplôme, qui a été considéré comme un acte de Pépin II, est un remaniement du diplôme de Pépin Ier de 818 que le faussaire voulait encore attribuer à Pépin Ier comme le prouve la teneur même de l'acte dans laquelle le roi appelle Louis le Pieux « dominus et genitor noster ». Mais ce n'est pas là une raison suffisante pour le confondre avec l'acte n° I, comme on l'a fait : il y a eu, en réalité, dans les archives de l'abbaye deux documents, le diplôme authentique et un faux original dont l'écriture imitée de celle du modèle a paru difficile à lire à l'abbé Aimery de Peyrat et a provoqué, de la part de ce lecteur peu exercé, des fautes grossières comme la confusion du c de l'écriture diplomatique carolingienne avec la lettre s : l'abbé a fini par ne plus comprendre ce qu'il copiait.

Comme l'avait remarqué Auguste Molinier, le passage suspect est celui qui tend à « trop ouvertement favoriser les prétentions de l'abbaye de Moissac d'être exempte de la juridiction de l'Ordinaire. » Il y a bien des exemples de diplômes où le roi écarte du monastère le métropolitain, le diocésain et leurs agents ; mais ce sont avant tout des actes de protection royale qui ont été requis du souverain par l'autorité ecclésiastique elle-même : la faveur royale n'a pas le caractère d'une mesure vexatoire à l'égard de l'Ordinaire puisque le souverain ne fait en définitive que donner son adhésion à la décision prise par le requérant. Ici, c'est l'abbé du monastère qui aurait obtenu du roi la défense expresse faite à l'évêque de Cahors d'exercer aucun pouvoir sur les moines et sur leurs biens. Nous ne trouvons pas non plus dans les actes auxquels nous faisons allusion la réserve « salva auctoritate canonica », parce que, s'ils interdisent aux évêques et à leurs agents de résider dans les monastères et dans les dépendances de ces monastères, ils ne mettent pas en jeu la question de juridiction. Ni par son style, ni par la place qu'elle occupe, ni par la pensée qu'elle exprime, la clause n'est acceptable. La fin que se proposait le faussaire étant d'assurer à son abbaye des droits qu'elle n'avait pas, le faux n'a pu être commis qu'à une époque où l'abbé et les moines avaient des démêlés avec l'évêque de Cahors. Dans l'histoire des églises de Cahors et de Moissac, on ne trouve trace d'aucun autre conflit que celui qui éclata au milieu du xie s. A cette époque, l'abbaye de Moissac était tombée aux mains du comte de Toulouse et elle avait à sa tête deux abbés : un abbé régulier et un « abbas miles ». Cette situation qui fut, vers le même temps, celle de l'abbaye de Conques, était sans doute préjudiciable à l'observance de la règle. L'évêque de Cahors, Bernard III, voulut introduire dans le monastère la réforme de Cluny ; mais les moines résistèrent à l'essai que l'abbé de Cluny, Odilon, tenta et furent soutenus dans leur opposition par le comte de Toulouse, par l'abbé laïque Gausbert et par l'abbé régulier Étienne. L'évêque ne désarma pas ; il reprit avec l'abbé de Cluny, Hugues, l'exécution de ses projets, et, par ses menaces d'excommunication, il arracha au comte de Toulouse, Pons, la charte par laquelle, le 29 juin 1053, ce personnage donna l'abbaye de Moissac à l'abbaye de Cluny sur les conseils de sa femme, Almodis, et des grands. Le premier abbé de Moissac, élu sur la présentation d'Hugues de Cluny, fut Duran, qui devint évêque de Toulouse sans cesser d'être abbé en 1057 et qui provoqua un conflit de juridiction en 1063 : à cette dernière date, l'abbé qui avait fait reconstruire la basilique abbatiale fit procéder à la dédicace de l'édifice par l'archevêque d'Auch, Ostindus. L'inscription versifiée qui nous renseigne sur l'événement nous apprend que le diocésain, Foulque-Simon, avait été tenu à l'écart de cette cérémonie parce qu'il avait mis en avant les droits de l'église de Cahors : « Respuitur Fulco Simonis dans jura Cadurco. » Cette inscription tracée au début du xiie s., sous l'abbatiat d'Aquilin, montre qu'on tenait à garder, dans le monastère, le souvenir de l'affront fait au diocésain et que toute rancune n'avait pas encore disparu à cette époque tardive. Notre faux diplôme semble bien indiquer aussi que l'évêque de Cahors et l'abbaye avaient eu maille à partir au sujet des biens du monastère : or, le 7 mars 1096, le pape Urbain II invitait les évêques Isnard de Toulouse, Simon d'Agen, Gérard de Cahors et Raymond de Lectoure à donner tous leurs soins à la reconstitution du temporel de Moissac. Il est vraisemblable de penser qu'aux revendications de toute nature du diocésain les moines de Moissac opposaient une fin de non-recevoir que devait servir à justifier notre document qui aurait été, par conséquent, forgé dans la seconde moitié du xie siècle.

La date de ce diplôme est incohérente. La cinquième année après la mort de Louis le Pieux est l'an de l'incarnation 844, puisque la charte est datée du 26 juin et que l'empereur mourut le 20 juin 840. Elle ne peut pas coïncider avec une année quelconque du règne de Pépin Ier. Il n'y a pas à chercher la solution de l'incompatibilité des éléments de la date : notre faussaire ne s'était certainement pas mis martel en tête pour faire tomber le 26 juin 844 dans l'année réellement correspondante d'un règne quelconque ; cela n'avait pas d'importance à ses yeux et ne saurait en avoir aux nôtres. N'ignorait-il pas, du reste, que Pépin Ier était mort avant son père Louis le Pieux ?

Les passages imprimés en petit texte sont ceux que nous trouvons dans le débris de diplôme de Pépin Ier du 26 juin 818. Voir ci-dessus, n° I.


Pipinus, gratia Dei Acquitanorum. Si erga loca divinis cultibus emancipata propter amorem Dei ejusque dominio et ejusdem locis famulancium beneficia opportuna largimur, largiturum nobis asseruit Domini premia eterne remuneracionis et non diffidimus. Ideo omnium nostrorum fidelium, tam presencium quam futurorum, industria quia vir venerabilis Raugaricus, abbas ex monasterio quod dicitur Moyssiacus in pago Caturcino super flumen quod dicitur Tarnus, quod olim sanctus Amandus abbas in honore sancti Petri principis apostolorum construxit, obtutibus nostris auctoritatem immunitatis domini et genitoris nostri Ludovici serenissimi augusti optulit, in qua erat incertum quod non solum idem genitor noster, verum eciam predecessores reges predictum monasterium ob amorem Dei tranquillitatemque fratrum ibidem consistencium semper plenissima tuicione et immunitatis deffencione honori habuissent ; sed pro rei firmitate postulavit a nobis prefatus abbas ut paternum seu predecessorum nostrorum regum semper habendum hujus se rei immunitatis preceptum ob amorem Dei et reverenciam ipsius circa ipsum monasterium fieri sentereus. Cujus peticioni assensum prebuimus et hoc nostre auctoritatis preceptum erga ipsum monasterium unacum cellula sua sibi subcecta que est sita loco nuncupato Marciliaco super fluvium Celeris atque fundata in honore apostolorum ejusdem principis, immunitatis atque tuicionis gratia, que Dei cultus amore, pietatis nostro remedio fieri decernimus. Propter quod precipimus atque mandamus quod nullus judex publicus vel quilibet ex judiciaria potestate sive villas sive loca vel agros vel domos sive reliquas possessiones memorati monasterii, quas illo tempore juste et racionabiliter possidebant monachi in eodem pago Caturcino sive Tholosano sive in aliquibus partibus vel quibuslibet ubicumque ipsi monachi aliquid possidere videntur, sive ecclesias sive mansiones memorati monasterii vel que deinceps in jure ipsius dum placuerit pietati augere, ad causas audiendas vel freuda vel tributoria aut manciones vel paratas faciendas aut fidejussores expetendas, communes vel proprias personas, ingenuos quoque et conservos qui per ipsam causam et sperare videntur distringendo, nec ullas redibiciones aut illicitas occasiones requirendas, nostris et futuris temporibus, ingredi audeat ; sed liceat memorato abbati suisque successoribus vel omni congregacioni ibidem degenti res predicti monasterii sub immunitatis nostre defencionis quieto ordine possidere ac predictam sellulam Marciliaco nominatim cum omnibus appendiciis suis, acquisitis vel acquirendis, in eternum habere et tenere. Et quicquid exinde fiscus poterat sperare, gratie nostre precepcione monasterio prefato concedimus in helemosinas pauperum et stipendia monachorum ibidem Deo famulancium et perpetua conservacione divina orare delectent pro nostra prosperitate atque totius regni nostri stabilitate. Episcopis vero Caturcensis ecclesie ut nullam dominacionem aut potestatem super ipsos, super eorum res assumant, aut mancionaticos exigant omnino prohibemus, salva auctoritate canonica. Quando vero predictus abbas aut successores ejus de hac luce migraverint, quamdiu ipsi monachi inter se tales invenire poterint qui ipsam congregacionem secundum regulam sancti Benedicti regere valeant, per hanc auctoritatem et consensum nostrum habeant deinceps licenciam super se eligendi abbates. Hanc itaque auctoritatem ut pleniorem in Dei nomine vigorem et a fidelibus sancte Dei ecclesie et a nostris diligencius conservetur, annuli nostri impressione subter misius sigillari.

Datum VI kl. julii, anno V post decessum domni Ludovici serenissimi augusti et eciam regni nostri, in Castillione castro quod est super fluvium Dordonie. Feliciter.


Localisation de l'acte

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