836, 12 mars.
Pépin Ier octroie au monastère de Saint-Julien de Brioude, situé dans le comté de Brioude, la protection royale et l'immunité, permet aux frères d'élire un avoué et de porter les causes de leur maison au tribunal royal, à charge de prières pour lui et sa femme Ingeltruda, pour le repos de l'âme de sa mère Hermingarda et des comtes Thetbergus et Nebelongus, père et grand-père d'Ingeltruda, pour ses enfants et pour le salut du royaume, et renonce aux droits du fisc sur les biens du monastère.
Diplôme perdu, mais utilisé par le faussaire qui forgea le prétendu diplôme du même roi et de même date (ci-dessous, n° XLVI) par lequel Pépin Ier, à la requête de l'évêque de Clermont, recteur canonial du monastère de Saint-Julien de Brioude, écarte dudit monastère et de tous ses biens présents et à venir les hommes du roi, de l'abbé, de l'évêque et du comte, et, du consentement de ses fidèles, punit les infracteurs d'une amende.
A. Original du prétendu diplôme de Pépin Ier, perdu.
B. Copie du xviie s., par Baluze, Bibliothèque nationale, Collection Baluze, vol. 72, fol. 34 v°, « ex magno chartulario ecclesiae Brivatensis : In nomine Domini. Incipit liber de honoribus sancto Juliano collatis », charte ccccliii.
C. Copie du xviie s., Bibliothèque nationale, Collection Baluze, vol. 14, fol. 69, « ex tabulario Sti Juliani Brivatensis ».
D. Copie du xviie s., dans les Varia historica et ecclesiastica, t. III, Bibliothèque nationale, ms. lat. 17191 (anc. Blancs-Manteaux 84 C), fol. 51, « ex ms. illustrissimi domini Chauvelin », probablement d'après la même source que C.
E. Copie de l'an 1646, par Du Bouchet, dans La véritable origine de la seconde et troisième lignée de la maison royale de France, preuves, p. 238, « charte tirée de l'église de Saint-Julien de Brioude », probablement d'après la même source que C.
F. Copie de l'an 1675, par Dom Luc d'Achery, Spicilegium, 1re édition, t. XII, p. 105, « ex chartulario S. Julian. Brivat. a D. d'Hérouval communicato », probablement d'après la même source que C.
G. Copie de l'an 1677, Bibliothèque nationale, ms. lat. 9086, fol. 252 v°, d'après un second cartulaire appelé Liber de honoribus sancto Juliano collatis, charte 340.
a. Du Bouchet, La véritable origine de la seconde et troisième lignée de la maison royale de France. Voir ci-dessus, sous la lettre E.
b. Dom Luc d'Achery, Spicilegium. Voir ci-dessus, sous la lettre F.
c. Le Cointe, Annales ecclesiastici Francorum, t. VIII, p. 423, d'après E.
d. Dom Luc d'Achery, Spicilegium, 2e édition, t. III, p. 329, d'après F.
e. Dom Bouquet, Recueil des historiens de la France, t. VI, p. 674, n° xv, d'après F.
f. Henry Doniol, Cartulaire de Brioude. Liber de honoribus Sancto Juliano collatis, chartularium Brivatense, dans les Mémoires de l'Académie de Clermont-Ferrand, 1862, p. 350, n° 340, d'après G.
Indiqué : Dom Bouquet, [Catalogue manuscrit des diplômes de 775 à 987], Bibliothèque nationale, ms. fr. nouv. acq. 22211, fol. 216.
Indiqué : De Foy, Notice des diplômes, p. 428, ann. 835.
Indiqué : Bréquigny, Table chronologique, t. I, p. 190.
Indiqué : Böhmer, Regesta Karolorum, n° 2077.
Indiqué : R. Giard, Catalogue, n° 22.
L'acte dont les deux anciens cartulaires de Saint-Julien de Brioude conservaient le texte sous le nom de Pépin Ier serait, s'il était authentique, un acte bien singulier dans la série des actes de ce prince, et même dans l'ensemble des diplômes carolingiens. Mais il suppose à sa base un diplôme authentique de ce roi : la suscription « Pipinus, gratia Dei rex Aquitanorum » est celle que nous lisons en tête de tous les actes rédigés dans la première partie du règne ; la souscription « Signum Pipini gloriosissimi regis » est à peu près constante dans les actes après le mois de mars 828 ; la clause des prières, où le roi réclame la pieuse imploration des clercs pour sa santé et celle de sa femme Ingeltruda, pour le repos de l'âme de sa mère Hermingarda et des comtes Thetbertus et Nebelongus, père et grand-père de sa femme, pour sa descendance et l'état du royaume, est, par sa précision et son exactitude mêmes, l'un des passages du document qui plaident le mieux leur authenticité, et doit venir d'un diplôme de Pépin Ier ; enfin, et surtout, la date avec son synchronisme des années de l'empire et des années du règne ne serait pas inventée par un faussaire qui n'aurait point eu sous les yeux un acte de notre roi d'Aquitaine. Ce diplôme était, sans doute, un diplôme de protection et d'immunité : c'est, du moins, un document de cette nature qu'a la prétention d'être le titre de Saint-Julien que nous examinons.
Il importe, tout d'abord, de bien préciser cette nature de l'acte qui nous est parvenu. Dans l'exposé, le roi est prié de prendre le monastère de Saint-Julien sous sa mainbour et sauvegarde, « sub nostro mundeburdo ac tuitionis ope » ; et dans la formule de corroboration le document se qualifie lui-même d'édit de protection royale et d'immunité, « nostrae defensionis immunitatisque edictum ». Nous avons un cas analogue dans le diplôme de Pépin Ier pour Montolieu du 1er novembre 835 : l'acte par lequel le roi prend les biens de cette abbaye sous sa protection, « easdem res sub nostro mundeburdo ac tuitionis defensione suscipimus », est destiné à permettre aux moines d'y vivre et résider tranquillement « sub nostro mundeburdo vel immunitatis tuitione » et, dans le cas de Montolieu, il n'est pas douteux que la « tuitio » a été assurée par un privilège d'immunité ordinaire dont la formule, pour être plus brève que les formules courantes, n'en est pas moins excellente. A l'époque de Louis le Pieux, on le sait, immunité et protection royale marchent de pair, et nous lisons dans l'une des formules le plus souvent utilisées en ce temps-là que, pour assurer à un monastère ou à une église et à tout ce qui en dépend, hommes et choses, la protection royale, le prince écarte par une « immunitatis auctoritas » tout trouble que pourrait apporter un représentant quelconque de l'autorité publique. C'est donc bien à un diplôme royal de protection et d'immunité que nous avons affaire.
Mais ce diplôme de protection et d'immunité est un faux, comme va nous le montrer l'étude même des formules.
L'invocation littérale « In nomine sanctae et individuae Trinitatis » — qui est celle des diplômes de Charles le Chauve — n'apparaît dans aucun des actes de Pépin Ier. Les formules des diverses parties constitutives de la teneur ne se retrouvent absolument semblables dans aucun autre diplôme de Pépin Ier, et cependant elles sont d'une langue diplomatique bien carolingienne. Ainsi, la formule du préambule se divise en deux parties. La première, « Si petitionibus servorum Dei justis et rationabilibus divini cultus amore favemus », que nous lisons dans deux diplômes pour l'abbaye de Montolieu et pour le monastère des Fossés, n'est pas ordinairement accolée à la seconde, « id nobis procul dubio et ad praesentem vitam feliciter transigendam et ad aeternam perpetualiter capessendam profuturum nullatenus dubitamus » qui est cependant de style et qu'on rencontre presque mot pour mot, avec d'autres débuts, dans les formules en usage dans les chancelleries sous Louis le Pieux et ses successeurs. La formule de notification, « quapropter notum fieri volumus omnibus sanctae Dei ecclesiae fidelibus et nostris, praesentibus scilicet ac futuris », est en soi excellente ; mais ordinairement la proposition principale est suivie d'une subordonnée que commande la conjonction « quia » ou « quod », ou « eo quod », ou « qualiter » ; nous avons dans notre document une proposition infinitive : il n'y a qu'un exemple d'une telle dérogation à la syntaxe diplomatique dans les diplômes de Pépin Ier et je n'ai pas le souvenir de l'avoir souvent observée dans les actes authentiques des autres Carolingiens du ixe siècle. Quant la formule initiale du dispositif « praecipientesque jubemus jubentesque decernimus ut... » dont on voit à peu près la similaire dans un diplôme du même roi pour l'abbaye de Saint-Hilaire-le-Grand de Poitiers, c'est elle qui introduit la formule immunitaire qu'il suffit de citer pour en montrer la singularité : « in suprascripto monasterio nullus regius aut abbatialis aut episcopalis aut comitalis homo mansiones sine fratrum consensu accipere praesumat neque in villabus praedicti coenobii, ubicumque locatae fuerint, quas nunc habet vel quae, Deo donante, aucturae esse potuerint, ut nullus judex publicus... » Nous ne croyons pas qu'on puisse fournir un autre exemple d'une telle rédaction dans les diplômes authentiques des Carolingiens, sauf dans un document du même chartrier de Saint-Julien dont nous allons nous occuper tout-à-l'heure. Enfin, dans la date, l'indiction n'occupe pas la place où nous la trouvons dans les autres actes de Pépin Ier.
A certains indices, il semble que le rédacteur de cet acte se soit servi de deux modèles dont il aurait adroitement amalgamé les formules, et que, si l'un de ces modèles était certainement un diplôme de Pépin Ier, l'autre pouvait être un diplôme de Charles le Chauve. Cette supposition se trouve confirmée par l'existence d'un prétendu privilège qui aurait été donné par Charles le Chauve aux chanoines de Saint-Julien de Brioude, à la requête de Frotharius, archevêque de Bordeaux, « canonicalis rector » de la collégiale brivadoise, le 16 novembre 874 à Attigny : ce privilège, qui n'est pas une confirmation de notre diplôme de Pépin, en reproduit mot pour mot la teneur, mutatis mutandis ; seulement il intercale son emprunt entre un protocole et un eschatocole qui viennent en droite ligne d'un diplôme de Charles le Chauve : « In nomine sanctae et individuae Trinitatis. Karolus, gratia Dei rex » et « Signum (Monogramma) Karoli gloriosissimi regis. — Adalgarius notarius ad vicem Gauzleni recognovit ». On ne peut guère douter que les deux diplômes de Pépin Ier et de Charles le Chauve soient sortis de la même officine. Du diplôme de Charles, il existe une copie figurée sur parchemin qui a passé pour un original à un moment donné, et qui, en définitive, peut bien être l'original du faux présenté lors de sa confection comme une copie figurée d'un original inexistant : tout en haut du parchemin, nous lisons, en capitales : « Exemplar precepti Karoli gloriosissimi regis ad munificentiam beati Juliani datum sub tempore venerabilis Frotharii archiepiscopi » ; cette qualification du document semble contemporaine de la confection. La pièce est donc bien présentée comme une copie, et son auteur ne paraît pas avoir voulu nous donner le change : s'il a dessiné assez grossièrement un chrismon, il n'a pas tracé la première ligne en minuscule allongée, ni la souscription royale, bien qu'il ait dessiné, inexactement du reste, le monogramme ; il n'a pas essayé de reproduire la ruche de chancellerie. Mais il a cru devoir imiter l'écriture diplomatique carolingienne ; sans aller jusqu'à déclarer qu'il y a parfaitement réussi, on doit avouer qu'il n'a pas été trop maladroit. Toutefois son écriture est mal assurée, et les lignes dansent au-dessus des traits tracés à la pointe sèche. Certaines lettres, les e surtout et celles qui comportent une haste, sont d'une main inhabile. L'auteur semble avoir évité les ligatures trop difficiles à imiter, ce qui ne l'a point empêché de nous livrer son secret quand, par exemple, voulant serrer de trop près son modèle et ne lisant pas la ligature de « suprascripto » que lui donnait celui-ci, il a écrit, au début de la ligne 5, quelque chose d'intraduisible, quelque chose qui, paléographiquement, donne « suprasasso ». Il est difficile de dater une écriture contrefaite : cependant le copiste semble avoir eu lui-même l'habitude d'ouvrir ses a par le haut, tant le tracé de cette lettre a de fermeté et de régularité dans tout le corps de l'acte, tandis que les e, au contraire, mal imités du modèle, montreraient qu'il avait coutume de les écrire comme nous les présentent les chartes de la fin du xe ou du commencement du xie siècle ; on peut admettre qu'il travaillait soit au xe siècle, soit dans la première moitié du siècle suivant. C'est postérieurement, croyons-nous, que l'on a songé à faire passer ce parchemin pour l'original, d'abord en salissant le parchemin après la souscription du notaire pour faire croire à l'apposition d'un sceau rond, mais sans pratiquer d'incision, ensuite en ouvrant deux fentes parallèles dans le sens de la largeur pour y faire passer une languette de parchemin qui subsiste et dont les deux extrémités devaient être prises dans la cire d'un sceau pendant : ce dernier mode de scellage n'apparaît qu'à l'extrême fin du xie siècle dans des documents faux.
La critique interne des deux documents nous conduit à un résultat très voisin et nous permet de faire le discrimen veri ac falsi.
Le diplôme de Pépin Ier a été requis par l'évêque de Clermont, « canonicalis rector » du monastère de Saint-Julien. Quelques-unes de nos sources nous autoriseraient peut-être à adopter la leçon « canonicus rector », si le diplôme de Charles le Chauve n'avait été lui aussi rendu à la requête de Frotharius, archevêque de Bordeaux, « canonicalis rector » dudit monastère. Le sens de « canonicus » et de « canonicalis » n'est pas ici le même. Dans les textes du ixe siècle où nous rencontrons l'expression de « canonicus abbas », il s'agit d'un abbé qui est mis à la tête d'un monastère de moines, « monasterium monachorum », et qui cependant n'est pas de la « religio monachica », comme cet abbé Sigulfus de Ferrières dont nous parle l'un de ses successeurs. Bien que Saint-Julien de Brioude soit une collégiale, un « monasterium canonicorum », on voit par là qu'un « canonicus rector » de ce monastère pourrait être un abbé séculier, surtout quand cet abbé est en même temps l'évêque de Clermont. Il en serait tout autrement si notre texte avait porté « canonicus et rector », ce qui semble être la leçon d'un de nos manuscrits : le recteur réunirait les deux qualités de membre et de chef de la congrégation. Et c'est à ce dernier sens que vient l'expression « canonicalis rector » : un recteur canonial fait partie de la communauté canoniale. Un recteur canonial, c'était certainement aux yeux des chanoines un abbé légitime.
Nous n'avons aucun moyen de contrôler si le renseignement est exact que ces deux prélats aient été abbés de la collégiale dans le même temps qu'ils étaient respectivement évêque de Clermont et archevêque de Bordeaux. Le fait n'est pas en soi invraisemblable : ainsi, au début du viiie siècle, l'abbaye de Saint-Denis avait eu pour « custos » l'évêque de Paris, Turnoaldus, et, à la mort de Charles le Chauve en 877, elle passa aux mains de Goslenus qui allait être évêque de Paris de 884 à 886 ; de même, l'abbaye de Saint-Hilaire-le-Grand, qui était comme Saint-Julien de Brioude une collégiale, eut, à la fin du viiie et dans la première partie du ixe siècle, trois abbés qui furent évêques sans cesser d'être abbés, Ato, évêque de Saintes, Fridebertus peut-être évêque d'Angoulême, et Ebroinus le diocésain. Mais de ce qu'un fait est vraisemblable, il n'est pas historiquement établi. Pour Frotharius, on peut apporter une présomption favorable que le diplôme de Charles le Chauve qui servit de modèle avait été obtenu par lui : il est notable, en effet, qu'à la date de 874 qui est celle de l'acte faux le siège métropolitain de Bordeaux était occupé par un personnage de ce nom qui allait être transféré à Poitiers, puis à Bourges, en 876. Mais, au contraire, pour l'évêque de Clermont, l'absence de son nom dans notre diplôme nous enlève une possibilité de contrôle et nous inquiète : on est porté à soupçonner que l'auteur n'avait pas trouvé dans son modèle de Pépin Ier le nom de l'évêque diocésain, ni même les titres d'évêque de Clermont et de recteur canonial, car nous allons constater que, pour donner l'apparence de la légalité à l'une des prétentions qu'affichent les chanoines dans les deux diplômes, il fallait que le diocésain parût ès-qualités dans le plus ancien de ces deux actes.
L'évêque de Clermont, diocésain et recteur canonial, obtient du roi que nul homme du roi, de l'abbé, de l'évêque et du comte ne puisse user du droit de gîte dans le monastère et dans les domaines des frères. Ce début du dispositif n'a son répondant dans aucun diplôme d'immunité : or nous avons vu que notre diplôme est une « immunitas ». Mais, en vertu de la confusion qui s'était produite entre la protection royale et l'immunité, nous devons nous adresser à tous les documents qui, à un titre quelconque, constituent un « praeceptum de mundeburdo ». Voici qu'un diplôme de protection royale délivré par Charlemagne au monastère de Hersfeld nous présente un cas assez analogue à celui dont nous nous occupons : l'évêque métropolitain de Mayence, Lull, demande au roi « ut nullus... episcopus aut archidiaconus in rebus eorum mansionaticus preparandum nec faciendum neque comis neque judex publicus neque missi nostri discurrentis in vilabus eorum nec in rebus eorum se praesumant aliquid contingere neque mansionaticus preparandum nec ullum impedimentum eos facere presumant ».
L'exclusion de l'abbé et de ses hommes qui n'est pas prévue dans le diplôme de Charlemagne pour Hersfeld ne pouvait se produire qu'à une époque où la mense abbatiale était distincte de la conventuelle : dans ce cas, le roi, à la requête de l'abbé lui-même, interdisait à l'abbé l'entrée des domaines qui échappaient désormais à l'administration du chef de la congrégation : ainsi, après l'institution de la mense conventuelle par l'abbé Hilduinus dans l'abbaye de Saint-Denis, à la requête dudit abbé, Louis le Pieux, en 832, prononçait contre l'abbé les formules d'exclusion que Charles le Chauve renouvelle en 862 lorsqu'il confirme, à la requête de l'abbé Hludowicus, le nouveau partage des biens entre les menses fait par l'abbé. On le voit, l'autorité qui se dépouille est aussi celle qui prend l'initiative de demander au prince l'acte protecteur contre elle-même. Et, dès lors, on s'explique la présence de l'évêque diocésain dans notre diplôme ; mais si le passage qui rendait nécessaire cette mention du prélat est faux, on peut légitimement craindre que l'intervention de l'évêque-recteur auprès du roi soit supposée.
La formule « nullus regius... » n'a pas seulement contre elle de n'être pas de style, mais elle s'intercale maladroitement entre la formule initiale du dispositif et la formule ordinaire de l'immunité, de telle sorte que l'immunité tout entière paraît être une conséquence de l'interdiction qui est faite à tout représentant du roi, de l'abbé, de l'évêque et du comte de prendre gîte sur les terres du monastère : le droit de gîte n'enferme pas toute l'immunité, mais il en est un élément, comme on peut s'en rendre compte en lisant la formule immunitaire qui est incluse dans les deux diplômes. Nous sommes donc en présence d'une interpolation.
La formule d'immunité qui suit cette interpolation nous paraît bonne. L'absence de la clause qui interdit à tout agent d'entrer sur les terres de l'immuniste pour y tenir des assises est, il est vrai, très rare à cette époque. Dans son consciencieux dépouillement des diplômes d'immunité de Louis le Pieux, M. Stengel n'a relevé que trois cas où les mots « ad causas audiendas » n'existent pas, et encore seraient-ils inaptes à servir de base à une opinion si l'on ne voyait plus tard des exemples analogues qui présupposent une tradition. Il n'est pas douteux qu'il y a eu des immunités où ce qui nous paraît être de prime abord la clause la plus importante n'était pas inséré. De ce fait, la formule de nos deux diplômes ne saurait être incriminée.
Elle est suivie d'une énumération de péages. Cette énumération, qui se trouve d'ordinaire dans les « tractoriae » et dans les « praecepta de navibus », se rencontre aussi dans des préceptes de mainbour ; et même on en signale quelques rares cas dans des immunités.
Reste la clause relative à l'avouerie. Elle est introduite par la formule « Sed, remota, procul, ut diximus, omni saeculari vel judiciaria potestate, liceat eis... ». On ne lit pas d'ordinaire le mot « saeculari » dans cette formule, et ce renvoi à l'interpolation du début (car, ici, « saecularis » opposé à « judiciaria » veut dire « du clergé séculier ») rend suspecte la faveur que les rois Pépin et Charles auraient octroyée d'après nos deux actes, d'autant plus que généralement la formule « Sed, remota totius judiciariae potestatis » est suivie de l'indication du but visé par la concession de la protection et de l'immunité, « liceat eis... quieto ordine possidere », et non pas de l'octroi d'un privilège nouveau, comme ici, « liceat eis qualemcumque sibi sua sponte elegerint advocatum habere... ». Nombreux sont certainement, au ixe siècle, les monastères qui ont obtenu la faculté d'élire en toute indépendance un avoué ; et le droit d'avoir un avoué peut rentrer dans le cadre des privilèges judiciaires qui sont généralement attachés à la condition de protégé royal et que nous trouvons exprimés dans des actes de mainbour de la même façon qu'ils le sont dans un diplôme original d'immunité de Pépin Ier. L'avoué avait pour mission de rechercher, de recouvrer, de défendre et d'acquérir les biens qui avaient fait ou qui faisaient ou qui devaient faire partie du temporel de l'église ou du monastère. C'est pourquoi il devait jouir d'une grande indépendance, et c'est pourquoi nous comprenons qu'on défende ici d'exercer contre lui une contrainte quelconque et de le soumettre au « tortus ». A cette condition seulement d'une complète indépendance de l'avoué, il était possible à l'église de Saint-Julien d'instruire une cause sans obstacle et sans délai par devant le comte du palais : c'est ce que disent expressément nos diplômes dans une langue qui n'est peut-être pas d'une parfaite correction syntaxique. C'est donc moins le fond que la forme qui rend suspecte cette partie de la teneur : amenée par une formule interpolée, exprimée dans une langue qui n'est point celle à laquelle nous ont habitués les rédacteurs des diplômes du ixe siècle, elle est sans lien réel avec la clause des prières qui la suit.
La clause des prières est suivie d'une clause pénale : le roi frappe d'une amende quiconque violera ce qu'il a établi et confirmé. Le passage est malheureusement altéré, et nous ne pouvons pas savoir la quantité de « pondera » d'argent qui avait été inscrite avant les deux livres d'or : « talenta pondera auri libras duas coactus persolvat » ne présente aucun sens, et le fait de trouver cette expression dans le diplôme de Charles le Chauve, comme dans l'acte de Pépin Ier, nous paraît établir que leur commun auteur copiait là encore de travers son modèle qu'il lisait mal. Mais si ce modèle comportait une clause pénale, là aussi, comme pour la formule d'immunité, le rédacteur n'avait pas suivi les usages les plus courants des chancelleries contemporaines : c'est d'ordinaire dans les actes privés qu'on rencontre l'énonciation d'une amende contre les infracteurs de la charte ; on en trouve pourtant quelques exemples dans les diplômes impériaux et royaux. Nous ne nous étonnerons même pas que nos deux actes ne nous disent pas à qui l'amende sera payée, car un diplôme original de l'empereur Lothaire Ier nous fournit un cas analogue ; et, du reste, l'abandon de tous les droits du fisc, consenti par le souverain, servait sans doute à interpréter le silence des documents sur ce point. En admettant que le modèle dont se servait le faussaire eût comporté la clause dont il s'agit, nous devons nous demander si l'on y pouvait lire le « statuere nobis nostrisque fidelibus placuit ut... ». Dans aucun des actes royaux contemporains, nous ne constatons chez le souverain la préoccupation de se couvrir du consentement de ses fidèles pour frapper d'une amende quiconque violera son privilège ; et rien dans la teneur ne peut laisser même supposer que la requête de l'évêque arverne ou celle du métropolitain bordelais avait été présentée dans des circonstances qui eussent permis au roi de prendre l'avis de ses fidèles. Faudrait-il donc admettre que, sous le gouvernement du prince ivrogne qui régnait alors en Aquitaine, l'autorité royale aurait déjà subi une telle éclipse que nous n'eussions pas à descendre jusqu'à cette époque du xe siècle où les rois amoindris ne prennent plus de décisions sans avoir obtenu l'assentiment des grands ? Combien il est plus vraisemblable, étant donné l'âge du parchemin conservé à la Bibliothèque nationale, que le « nostris fidelibus » nous ramène à cette fin du xe siècle ou au commencement du xie qui furent si fertiles en falsifications !
Pour ne rien omettre, nous relèverons l'expression « in comitatu Brivatense » qui est assez rare dans la première moitié du ixe siècle : ce n'est pas qu'on ne pourrait pas citer quelques exemples dans les diplômes les plus sûrs, même au viiie siècle, du mot « comitatus » employé pour « pagus » qui est le terme usuel dont se servent les rédacteurs des diplômes carolingiens ; mais c'est surtout dans la seconde moitié du ixe siècle que les diplômes usent de ce terme. Étant donné que le faussaire a utilisé un diplôme de Charles le Chauve, nous pouvons nous demander si l'acte de Pépin Ier également utilisé pouvait aussi contenir cette mention du comté de Brioude ; nous n'y voyons aucun empêchement, et même peut-être devons-nous croire qu'elle s'y trouvait : dans le courant du ixe siècle, le « pagus Brivatensis » cessa d'être une circonscription comtale : il s'était fondu dans le grand « pagus Arvernicus », et dès lors il n'y eut plus d'autre comte que celui d'Auvergne. Le Brivadois ne recouvra pas son indépendance administrative : au xie siècle encore, il était rattaché au comté de Velay et faisait partie du grand comté de Gévaudan mouvant du comté d'Auvergne. Si l'on trouve encore le Brivadois pourvu du titre de comté après l'unification administrative de l'Auvergne, c'est un souvenir d'un ancien état de choses qu'un diplôme de Pépin Ier pouvait constater.
Il nous est impossible de distinguer dans l'œuvre en partie double du faussaire l'apport des deux diplômes qu'il utilisait, d'autant qu'il est vraisemblable que ces deux diplômes étaient des immunités, celle de Charles le Chauve renouvelant celle de Pépin Ier, — je ne dis pas confirmant, puisque nous avons des cas où le premier de ces rois renouvelle des actes du second sans en faire mention. Mais qu'importe ? Il nous suffit d'avoir constaté que le faussaire leur a emprunté à tous les deux et qu'aux emprunts il a ajouté de son cru, pour que, tout en constatant l'existence d'un diplôme authentique de Pépin Ier à la base, nous soyons tenus de rejeter parmi les acta spuria celui qui nous est parvenu sous le nom de ce prince.
La date que se donne le diplôme faux répond au 12 mars 836 ; les trois éléments du synchronisme concordent. C'était peut-être la date du modèle authentique, comme la date du diplôme faux de Charles le Chauve peut, elle aussi, avoir été copiée textuellement sur l'acte authentique de ce prince.
In nomine sanctae et individuae Trinitatis. Pipinus, gratia Dei rex Aquitanorum. Si petitionibus servorum Dei justis et rationabilibus divini cultus amore favemus, id nobis procul dubio et ad praesentem vitam feliciter transigendam et ad aeternam perpetualiter capessendam profuturum nullatenus dubitamus. Quapropter notum fieri volumus omnibus sanctae Dei ecclesiae fidelibus et nostris, praesentibus scilicet ac futuris, venerabilem Arvernorum episcopum ad nostrae dignitatis accessisse clementiam humiliterque petiisse ut monasterium constructum in honore sancti Juliani in comitatu Brivatense, cui quoque ipse canonicalis rector Domino praeerat favente, sub nostro mundeburdo ac tuitionis ope acciperemus acceptumque nostra defenderemus praerogativa. Cujus religiosis suasionibus, ob Dei amorem, tanto libentius assensum praebuimus, quanto id ad nostrae remunerationis praemium amplius profuturum perspeximus. Praecipientesque jubemus jubentesque decernimus ut in suprascripto monasterio nullus regius aut abbatialis aut episcopalis aut comitalis homo mansiones sine fratrum consensu accipere praesumat neque in villabus praedicti coenobii, ubicumque locatae fuerint, quas nunc habeat vel quae, Deo donante, aucturae esse potuerint ut nullus judex publicus, nulla cujuslibet judiciariae potestatis persona aliquem distringere aut fidejussores tollere aut pascuaria accipere neque mansionaticos sive paratas aut parafredos vel teloneum aut pontaticum sive cespaticum exigere seu aliquid quod ad publicam districtionem pertineat agere aut inferre praesumat ; sed, remota procul, ut diximus, omni saeculari vel judiciaria potestate, liceat eis qualemcumque sibi sua sponte elegerint advocatum habere, ipsumque advocatum nemo praesumat temerario ausu distringere vel in tortum mittere, sed nostro coram comite palatii ecclesiam praelibati martyris, videlicet sacri Juliani, absque alicujus inquietudine vel morarum dilatione liceat inquirere ; et jamdictis clericis sub praetextu nostrae donationis ac pro incolumitate nostra uxorisque nostrae Ingeltrudae reginae et pro remedio animarum Hermeingardae quondam reginae genitricisque nostrae, Thetberti ac Nebelongi comitum, patris et avi ejusdem Ingeltrudae, et prole regnique statu libentius Dei misericordiam delectet implorare. Statuere nobis nostrisque fidelibus placuit ut qui haec statuta a nobis firmata violare tentaverit, talenta pondera, auri libras duas coactus persolvat. Quin etiam eidem monasterio donavimus quicquid de praefati rebus monasterii jus fisci exigere poterit, in integrum in usus congregationis ibidem Deo famulantis vel in alimoniam pauperum proficiat in augmentum. Ut autem hoc nostrae defensionis immunitatisque edictum validiorem in Dei nomine obtineat vigorem, manu nostra firmavimus anulique nostri impressione subter jussimus sigillari.
Signum Pipini gloriosissimi regis.
Data IV id. mart., anno XXIII imperii domni Ludovici serenissimi augusti et XXII regni nostri, indictione XIV.