884, 10 décembre. — [Grand-]Andely (Monastère).

Carloman, à la demande de son « illustre » fidèle Erfon (Erifonnus), donne aux saints Crépin et Crépinien (Saint-Crépin-le-Grand) de Soissons, pour la rémission de ses péchés, deux manses dépendant de Verberie, occupés par Richou (Richoldus) et Gérard, à charge d'assurer le luminaire et une réfection, « caritas », pour les frères le jour anniversaire de la mort du roi. Le prêtre Hermoin (Hermoinus), fidèle du roi, sera le maître des deux manses sa vie durant et, après sa mort, en aura la jouissance celui en faveur de qui il en aura disposé.

Référence : Félix Grat, Jacques de Font-Réaulx, Georges Tessier et Robert-Henri Bautier (éd.), Recueil des Actes de Louis II le Bègue, Louis III et Carloman II, rois de France (877-884), Paris, 1978, no79.

A. Original. Parchemin autrefois scellé. Hauteur, 464 mm. à gauche, 480 mm. à droite ; largeur, 387 mm. en haut, 371 mm. en bas. Bibliothèque nationale, Collection de Picardie, vol. 294, pièce 37.

B. Copie du xviiie s., par Dom Grenier, Bibliothèque nationale, Collection de Picardie, vol. 177 bis, fol. 28, « pièce originale dans les archives de Saint-Crépin-le-Grand, coté AAA », d'après A.

C. Copie du xviiie s., dans le cartulaire de Saint-Crépin-le-Grand, Archives de l'Aisne, H 455, fol. 56 v°, « collationné à l'original par nous, escuier, conseiller secrétaire du roy, maison, couronne de France et de ses finances, Cousin », d'après A.

D. Copie fautive du xviie s., Bibliothèque nationale, ms. lat. 13817, fol. 36, d'après A.

E. Copie du xviiie s., Bibliothèque nationale, Collection Clairambault, vol. 561, p. 486, peut-être d'après A.

F. Copie du xviiie s., Bibliothèque nationale, Collection de Picardie, vol. 233, fol. 67, mise au net de B, d'après B.

G. Copie du xviiie s., Bibliothèque nationale, ms. lat. 17189, fol. 327, d'après C.

H. Copie très partielle du xviie s., Bibliothèque nationale, Collection Baluze, vol. 379, fol. 1, probablement d'après A.

I. Copie du xviiie s., exécutée pour Dom Bouquet, Bibliothèque nationale, ms. fr. nouv. acq. 22211, fol. 14, d'après a.

J. Copie partielle du xviiie s., Bibliothèque nationale, Collection de Picardie, vol. 64, fol. 118 v°, d'après b.

a. Mabillon, Annales ordinis sancti Benedicti, t. III, p. 686, « ex authentico », d'après A.

b. Recueil des historiens de la France, t. IX, p. 438, n° xx, d'après a.

Fac-similé : de l'original : Lot, Lauer et Tessier, Diplomata Karolinorum, V, pl. xxxviii (Carloman 6).

Indiqué : Bréquigny, Table chronologique, t. I, p. 333.

Indiqué : Böhmer, Regesta, n° 1869.

Indiqué : Grat, Catalogue n°.

La sincérité de ce diplôme ne pose aucun problème : il s'agit d'un original indiscutable, écrit tout entier de la même main qu'un acte pour Marseille le 2 février précédent, pourvu d'une ruche en tous points identique et dont le sceau était encore apposé au xviie siècle (n° 72). Sa date ne fait pas davantage question : ses éléments coïncident et le mot idus est écrit en toutes lettres. Le diplôme n'en soulève pas moins une réelle difficulté, car Carloman passe pour être décédé le 6 décembre au palais de Bézu et l'acte est daté du 10 aux Andelys.

Il faudrait donc : ou bien que la date du décès de Carloman soit controuvée, ou bien que l'expédition de l'acte, sa validation et sa datation aient eu lieu postérieurement à la mort du souverain.

1. Date du décès de Carloman. — Nous avons déjà dit dans notre Introduction (p. liv-lv) que la date du 5 ou du 6 décembre est attestée par des sources d'une valeur indiscutable. Ce n'est que pour compte du présent diplôme que Dümmler a entendu placer le décès du roi au 12 décembre en s'appuyant sur l'unique témoignage de l'obituaire tardif de Saint-Remi de Reims.

2. Procédure d'expédition post-mortem. — A première vue, deux éléments sembleraient pouvoir être opposés à l'hypothèse d'une expédition postérieure à la mort du roi : la marque de la manus propria du souverain, annoncée par la formule de corroboration et apposée au cœur du monogramme, et la formule anno sexto regnante qui s'appliquerait à un roi qui ne règnerait plus, étant décédé.

Sur le premier point, l'opinion de G. Tessier était formelle : « Tout entier, le monogramme, assez gauchement tracé, est de la même encre jaunie que le reste du précepte ; on ne discerne pas de “Vollziehungstrich”. On en pourrait conclure que le notaire-chancelier Norbert, en apposant le monogramme, a également simulé l'apposition de la main du roi. »

Sur le second point, si curieuse que puisse être la situation, elle ne saurait exagérément surprendre. Car au lendemain de la disparition de Carloman, il n'y a aucun souverain désigné, et il va falloir plusieurs semaines pour que Charles le Gros, alerté, se déclare, vienne en France occidentale et y soit reçu par les grands. Dans les premiers jours de l'interrègne, un acte qui aurait été commandé par le souverain défunt, non encore enseveli, et qui aurait exprimé sa volonté, pouvait être daté de son règne fictif. Avec la mentalité de l'époque, il est vraisemblable que le problème n'aura même pas été senti par les contemporains.

Deux éléments de l'acte peuvent, en outre, être allégués en faveur de cette procédure exceptionnelle d'expédition :

a. Le requérant de la mesure, le fidèle Erifonnus, en est également l'ambasciator et, fait aberrant, il accomplit cette démarche auprès de la chancellerie sur l'ordre de l'archichancelier lui-même : Erifonnus, jubente Gauslino, hoc ambasciavit. On pense à l'exécution de la dernière volonté du roi par celui qui, en raison de ses fonctions à la tête de la chancellerie, était en mesure d'assurer, jusqu'à la proclamation du nouveau souverain, l'expédition des affaires courantes. La formule permet également de supposer que l'archichancelier ne se trouvait pas lui-même aux Andelys où étaient sans doute demeurés les « services du palais », tandis que le roi se rendait à la chasse avec ses familiers les plus proches, près de son palais de Bézu où on le transporta après son accident et où il décéda.

b. La brève formule indiquant la motivation de la mesure est, sous ses apparences banales, peu habituelle à la chancellerie : le roi déclare agir pro relaxandis nostrorum facinorum culpis. De plus, cette formule étonne dans un acte qui, en dépit de sa présentation comme une donation à Saint-Crépin, est en réalité une affectation particulière à un fidèle du roi, le prêtre Haimon, qui ne paraissait pas jouir auparavant du bien en question. Ce bien sera placé sub potestate, munimine, dicione et tuitione de ce personnage, qu'on note la redondance de ces termes. Mieux même, non seulement il en aura la jouissance viagère, mais il pourra en disposer librement à sa mort. Remarquons cependant qu'il finira par en faire abandon à Saint-Crépin, puisque le précepte nous est parvenu par les archives de ce monastère.

On notera aussi qu'il est fait obligation aux religieux de Saint-Crépin de célébrer l'obit du roi : il n'est fait mention que de cet obit et non pas aussi de l'anniversaire de l'avènement, ce qui se produit quand il s'agit de prières pour le roi, et qu'il n'est pas question de prières pour les membres de sa famille ou pour la paix et la stabilité du royaume.

En conclusion, nous pensons que le prêtre Hermoin, qui appartient au milieu des fidèles du roi, pourrait être celui qui l'a assisté dans ses derniers moments au palais de Bézu le 6 décembre. Ce n'est d'ailleurs pas lui qui demande personnellement une faveur : celle-ci est décidée par le chancelier qui, usant de ses pouvoirs (jubente), a commandé à un fidèle de l'entourage royal Erifonnus de transmettre l'ordre d'expédition (ambasciavit) à la chancellerie demeurée au monastère d'Andely, tandis que lui-même doit assurer le transport du corps à l'abbaye de Saint-Denis.


(Chrismon) In nomine Domini Dei aeterni et Salvatoris nostri Jhesu Christi. Karlomannus gratia Dei rex. Si utilitatibus locorum divinis [2] cultibus mancipatorum servorumque Dei necessitatibus in eisdem degentium opem nostrae celsitudinis impendimus, regiae celsitudinis operam frequentamus ac per [3] haec aeternae beatitudinis gloriam facilius assecuturos omnino confidimus. Qua de re notum esse volumus omnium sanctae Dei Aecclesiae nostrorumque [4] fidelium, praesentium scilicet ac futurorum, industriae quia, adiens genua serenitatis nostrae, illuster fidelis noster Erifonnus, coram frequentia [5] procerum primatumque nostrorum, humiliter petiit ut, pro relaxandis nostrorum facinorum culpis, sancto Crispino et Crispiniano aliquid ex rebus [6] nostrae proprietatis omni tempore habendum sub dicione et potestate Hermoini sacerdotis, fidelis nostri, concederemus. Placuit itaque nostrae celsi-[7]-tudini ejus saluberrimis adquiescere postulatibus et jamdictis Dei martyribus Crispino et Crispiniano in suburbio Suessionico sistentibus [8] sub potestate, munimine, dicione et tuitione Hermoini, jamdicti fidelis nostri, mansos duos ex Vermeria ubi Richoldus et Gerardus comma-[9]-nere videbantur, cum vineis et terris omnibus ac mancipiis ad eosdem pertinentibus, necnon et cum aliis terris nostri fisci ubi rigas [10] aut aliquam redibitionem facere solent, in proprietatem delectabili voluntate condonavimus omni tempore habendum, ea videlicet [11] [ratione ut annuatim die obitus nostr]i aecclesia ipsa luminaria et fratres ejusdem loci caritatem accipiant fraternam, qualiter illis delectet [12] [pro nobis Dei misericordiam impl]orare. Statuimus autem et regio more delegamus ut quamdiu jamdictus Hermoinus vixerit, eosdem [13] [mansos nemine inquietante teneat] et post suae vitae excessum cuicumque maluerit eosdem dimittat, salvo tamen jure aecclesias-[14]-[tico qui superius est praenotatus]. Ut autem hoc nostrae auctoritatis inviolabile praeceptum in Dei nomine firmius habeatur [15] [et diligentius custodiatur], manu propria illud subter firmavimus et dehinc anulo nostro subsignari jussimus.

[16] Signum Karlomanni (Monogramma) gloriosissimi regis.

[17] (Chrismon) Norbertus notarius ad vicem Gauzlini recognovit et subs. (Signum recognitionis et locus sigilli).

[18] Datum IIII idus decembrii, anno sexto regnante Karlomanno gloriosissimo rege, indictione tertia. Actum apud Andelei monasterium. In Dei nomine feliciter. Amen (Nota. Amen).

[19] Erifonnus, jubente Gauslino, hoc ambasciavit.


Localisation de l'acte

Make this Notebook Trusted to load map: File -> Trust Notebook