847, 5 décembre. — Compiègne.

Charles le Chauve, à la demande de Bernard, abbé du monastère de Sainte-Colombe [de Sens], qui lui a présenté un privilège épiscopal, confirme ce privilège et décrète que le dit monastère, autonome et gouverné par son propre abbé, jouira, comme les monastères d'Agaune, de Lérins et de Luxeuil, du privilège de l'exemption (libertatis privilegium) et qu'aucun évêque, pas même l'ordinaire, n'y exercera l'autorité en violation de la règle de saint Benoît, et ne touchera à ses biens, ni ne pourra y entrer, sinon pour prier et prêcher, et que, si, en cas de nécessité et appelé par l'abbé ou les moines, l'ordinaire entre dans le monastère, cette visite n'occasionnera ni dépenses ni charges à l'abbé et aux moines, mettant, en outre, les biens du dit monastère sous la protection de l'immunité.

Référence : Arthur Giry, Maurice Prou, Georges Tessier et Ferdinand Lot (éd.), Recueil des actes de Charles II le Chauve, roi de France (840-860), Vol. 1, Paris, 1943, no102.

A. Original perdu.

B. Copie de l'année 1648, par Dom Cotron, dans le Chronicon rerum magis notabilium coenobii Sanctae Columbae Senonensis, Bibliothèque d'Auxerre, ms. 217 (anc. 184), p. 121, «ex transsumpto legitime collato anno 1382 et signatum D'Ostun.»

C. Copie du xviie s., Bibliothèque nationale, ms. lat. 12777 (anc. Saint-Germain 577), p. 644.

D. Copie du xviiie s., Bibliothèque nationale, Collection de Champagne, vol. 43, fol. 36 v°.

E. Copie du xviie s., par Dom Estiennot, Fragmentorum historiae tomus XVIIus, Bibliothèque nationale, ms. lat. nouv. acq. 2057 (anc. Bibliothèque de l'Arsenal, ms. 1009), p. 318, d'après un fragment de cartulaire de Sainte-Colombe.

F. Copie de l'année 1648, par Dom Cotron, dans le Chronicon... Sanctae Colombae, ms. appartenant à une bibliothèque privée, à Sens, p. 127, mise au net de B.

a. Baluze, Beati Servati Lupi... opera, Appendix, 1re éd. (1664), p. 508, «ex schedis mss. bibliothecæ S. Germani de Pratis, quorum mihi copiam fecit Domnus Claudius Chantelovius monachus benedictinus»; 2e éd. (1710), p. 512.

b. Gallia christiana, t. XII, instrumenta, col. 8, n° vii, d'après C.

c. Recueil des historiens de la France, t. VIII, p. 494, n° lxxv, «ex schedis mss. bibliothecæ S. Germani a Pratis», d'après C, mais avec des corrections.

d. Quantin, Cartulaire général de l'Yonne, t. I, p. 57, n° xxix, d'après a b c.

e. Prou, Le privilège de Charles le Chauve pour Sainte-Colombe de Sens du 5 décembre 847, dans les Mélanges d'histoire du Moyen-Age offerts à M. Ferdinand Lot, p. 677.

Indiqué : Bréquigny, Table chronologique, t. I, p. 224.

Indiqué : Böhmer, Regesta, n° 1599.

Indiqué : Lot et Halphen, Le règne de Charles le Chauve, p. 184, n. 3.

Maurice Prou a longuement étudié ce diplôme à la suite de la publication indiquée sous la lettre e. Il n'a pas eu de peine à y discerner «des marques évidentes de falsification». On peut relever dans la rédaction l'influence d'un formulaire mérovingien depuis longtemps abandonné par la chancellerie royale. Cette influence est particulièrement sensible dans l'énoncé de l'adresse, qui rappelle celui du diplôme de Dagobert Ier confirmant le privilège du monastère de Rebais. On retrouve l'écho de ces archaïsmes au début du dispositif. L'allusion aux monastères d'Agaune, de Lérins, de Luxeuil existe en particulier dans la formule I, 1 de Marculf, et dans le privilège d'Emmon pour Saint-Pierre-le-Vif. La concession de l'immunité juxtaposée à la confirmation du privilège est ici articulée de la même façon que dans la formule I, 2 de Marculf: «Illud nobis pro integra mercede nostra placuit addendo...». On lit dans cette formule l'expression «sub omni emunitate» critiquée par Maurice Prou, mém. cité, p. 684. D'autres indices témoignent contre la sincérité du texte: sainte Colombe et saint Loup sont qualifiés respectivement de domna et de domnus; «l'invitation du roi à ses successeurs de respecter sa décision, si elle se rencontre dans plusieurs diplômes de Charles le Chauve non suspects, ne s'y présente pas comme ici, sous forme d'interpellation à la seconde personne»; les clauses comminatoires semblent une adaptation de formules analogues d'un acte ecclésiastique mérovingien. En tout cas, elles «n'appartiennent pas au style de la chancellerie de Charles le Chauve». L'abbé Bernard, «vir inlustris et fidelis noster», est substitué au recteur Lambert nommé dans les deux diplômes du même jour pour le même établissement.

Cependant Maurice Prou conclut ainsi son étude (p. 690): «Nous tenons le diplôme de Charles le Chauve confirmant l'autonomie du monastère de Sainte-Colombe pour un diplôme remanié et non pour un diplôme faux.» Il fonde sa conviction sur une lettre que Loup de Ferrières adressait à l'évêque de Laon, Pardoul (Pardulfus), pour lui demander «de s'employer auprès de Charles le Chauve en faveur des moines sénonais» Voici les termes de cette lettre: «Monachi sanctae Colombae, privilegio et antiquorum et praesentium muniti episcoporum, regumque et imperatorum et priscis et recentibus instructi edictis, spem recuperationis aliquam nacti, pietatis regiae portum petunt, ubi tutum perfugium vestra intercessione cupiunt invenire. Dignemini, quaeso, legere quae ferunt et ut a rege clementer audiantur efficere; et, prudentiae vestrae laudabili acumine, ne gravemini aperire hii, qui ante eum feliciter regnaverunt, quam proficuum sibi et patriae judicaverunt, si Dei servis postulata concederent. Ferte opem indigentibus, praestate refrigerium laborantibus, sit vestrum memoriale saltem aliquorum Dei servorum instaurata libertas» (Loup de Ferrières, Correspondance, éd. Levillain, t. II, p. 8, lettre 71). Or les deux diplômes du même jour, portant l'un restitution à Sainte-Colombe de la villa de Cuy, l'autre confirmant au monastère le droit de prendre deux charretées de bois par jour dans une forêt voisine «ne suffisent pas à rendre compte des expressions de Loup», du «privilegium et antiquorum et praesentium episcoporum» dont sont munis les moines et de la «libertas» dont ils ont soif. On doit admettre qu'ils sollicitaient l'expédition d'un précepte d'objet identique à celui du diplôme publié ci-dessous.

Que les moines aient sollicité la confirmation de leur indépendance à l'égard de l'évêque ne signifierait pas que leur requête ait été écoutée. Maurice Prou donne deux arguments pour établir que la démarche des requérants a été couronnée de succès. C'est tout d'abord l'analogie entre le préambule du diplôme et la suggestion présentée par Loup à Pardoul. Celui-ci rappellera au roi «combien ses prédécesseurs ont estimé profitable à eux et au royaume de faire droit aux demandes des serviteurs de Dieu». L'expression postulata concedere se rencontre dans l'un et l'autre document. D'autre part un des griefs de Charles le Chauve contre l'archevêque Ganelon (Wenilo), griefs «consignés dans le libellus présenté au concile tenu à Savonnières, le 14 juin 859, était que l'archevêque eût obtenu du roi Louis [le Germanique] un précepte lui concédant l'abbaye de Sainte-Colombe». Ce précepte laisserait supposer que le roi avait garanti par un précepte antérieur l'indépendance de Sainte-Colombe à l'égard de l'archevêque et que celui-ci avait contrevenu aux dispositions de son souverain légitime.

Ces deux arguments ne sont pas absolument décisifs. Ils n'excluent pas la possibilité d'une fabrication de toutes pièces, au moyen de modèles mérovingiens, du diplôme mis sous le nom de Charles le Chauve. Ils donnent néanmoins un certain degré de probabilité à l'opinion émise par Maurice Prou et peuvent autoriser des critiques indulgents à ne pas rejeter sans appel ce document. Nous respectons la restitution proposée par notre maître de la prière du roi à ses successeurs.


Texte de e, établi d'après les copies B à E.

In nomine sanctae et individuae Trinitatis. Carolus Dei gratia rex, omnibus apostolicis episcopis, ducibus et inlustribus viris tam praesenti tempore quam et futuro in regno nostro ubique in Dei nomine constitutis. Congruit per omnia et in omnibus regali potestati semper quae pie et opportune postulantur libenter obaudire et pro amore divini cultus et augmento justitiae postulata concedere, quatenus regni nostri stabilitas magis ac magis confirmetur et in futuro nobis a Domino aeterna merces recompensetur, quia, dum pro quiete servorum Dei et sancta religione conservanda hoc in praesenti nostra authoritate confirmamus quod perpetuis temporibus inviolabiliter custodiatur, exinde ampliorem gloriam a rege regum nos recepturos fideliter credimus. Igitur vir inlustris et fidelis noster Bernardus, abbas de monasterio domnae Columbae virginis et martyris seu domni Lupi confessoris, divino amore succensus, domnorum episcoporum, venerabilium patrum nostrorum, privilegium obtutibus nostris obtulit ut ipsum nostra auctoritate plenius in Dei nomine confirmaremus. Cujus petitioni libenter annuentes statuimus ut, sicut antiquitus per constitutiones pontificum regumque praeceptiones monasteria sanctorum Acaunensium, Lirinensium et Luxoviensium sub libertatis privilegio constare videntur, ita nunc per nostram regalem authoritatem supradictum monasterium domnae Columbae sub libertatis privilegio manere censemus, non quasi nova aut recto ordini contraria constituentes, quia de canonica authoritate nihil minuitur quicquid pro tranquillitate vel pace servorum Dei domesticis fidei conceditur. Volumus itaque ut jam dictum monasterium sui juris omni tempore et proprii abbatis gubernatione consistat, ut nullus episcopus omnino aut alicujus potestatis persona, tam nostris quam et futuris temporibus, ordinationem aut potestatem contra regulam sancti Benedicti in eo exercere praesumat neque de rebus ipsius monasterii aliquid contingere, nec ad ipsum monasterium, nisi aut orandi aut exhortandi gratia, aliquo modo accedere praesumat, neque episcopus in cujus parrochia saepe dictum consistit monasterium in sui juris dominatione vel nostrae largitionis beneficio eum aliquando usurpare attemptet; si vero necesse fuerit ut, ab abbate aut congregatione loci ipsius illuc evocatus, venerit, absque dispendio eorum accedat et recedat, quatenus nulla inquietudine abbas vel sui monachi praegraventur, et, quoniam impedimenta saeculi ideo fugerunt ut inter claustra monasterii solitariam ducerent vitam, liceat eis per nostram largitatem inibi sine alicujus personae impedimento soli Domino famulari. Si quis vero haec quae devota mente <cum consilio procerum nostrorum, episcoporum videlicet atque ducum,> jam dicto monasterio indulsimus aliquo modo succedente tempore violaverit, sicut sanctorum pontificum, quorum decreta confirmamus, anathemate condemnatur, ita et regia censura mulctetur, honore proprio privetur et cum rerum suarum amissione perpetuis dampnis subjaceat. Obsecramus <et vos posteros> omnes <que> successores nostros <ac per invocationem terribilis Dei tremendumque judicium ejus contestamur> ut, quemadmodum statuta <vestra> a successoribus <vestris> conservari <vultis>, ita et hoc decretum pro amore Christi et pro tranquillitate servorum ejus a nobis constitutum per futura tempora inviolabiliter <conservetis>. <Et si, quod absit, aliquis huic munificentiae nostrae contraire temptaverit, pro Deo viriliter stetis et causam Dei in illum ut praevaricatorem divinae constitutionis terribiliter evindicetis, ut mercedis nostrae, quam nos et vos percepturos credimus, sitis participes, cum fueritis clementiae nostrae imitatores servorumque Dei justissimi defensores>. Illud etiam pro integra mercede nostra placuit inserere ut omnes res quae sive a parentibus nostris seu a coeteris fidelibus supradicto monasterio delegatae sunt aut inante fuerunt condonatae absque ulla diminutione vel separatione inibi permaneant et sub omni emunitate semper consistant, ut nullum impedimentum vel damnum a judicibus publicis pars ipsius sancti loci sustinere pertimescat, quatenus pro felicitate regni nostri seu regis constantia immensam Domini misericordiam jugiter delectet exorare. Et ut haec auctoritas nostrae largitatis firmior habeatur et perenniter conservetur, manu nostra subter firmavimus et annuli nostri impressione adsignare decrevimus.

Signum Caroli illustrissimi regis.

Gislebertus notarius ad vicem Hludovici recognovit.

Data nonis decembris, anno VIII regnante Carolo gloriosissimo rege, indictione X. Actum in Compendio regio palatio. In Dei nomine feliciter. Amen.


Localisation de l'acte

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