842, 25 septembre. — Bétheniville.
Charles le Chauve, accédant, grâce à l'intercession de la reine Ermentrude, à la prière de l'abbesse Bertrade, met à l'exemple de ses prédécesseurs le monastère de Faremoutier sous la protection royale et celle de l'immunité.
A. Original perdu.
B. Copie du xiiie s., dans un cartulaire de l'abbaye de Faremoutier, Bibliothèque nationale, ms. lat. nouv. acq. 928 (Ms. Thomas Phillips 9535), p. 46.
C. Copie du xvie s., dans un cartulaire de l'abbaye de Faremoutier, Bibliothèque Sainte-Geneviève, ms. 358, fol. 10v° (anc. fol. 20), n° 24.
D. Copie du xviie s., par André Du Chesne. Bibliothèque nationale, collection Du Chesne, vol. 56, fol. 257, «ex cart° Farem[onasterii]», d'après B.
a. Toussaint du Plessis, Histoire de l'église de Meaux, t. II, p. 3, «ex tabulario monasterii Eboriacensis», édition partielle, probablement d'après C.
b. Recueil des historiens de la Franée, t. VIII, p. 431, n° vi, «ex archivo hujus monasterii [Farensis]» (année 841).
Indiqué : Bréquigny, Table chronologique, p. 205 (année 841).
Indiqué : Lot et Halphen, Le règne de Charles le Chauve, p. 57, n. 8.
Ce diplôme ne saurait être utilisé qu'avec une extrême précaution. Il soulève en effet plusieurs difficultés. Il est accordé «per deprecationem carissime atque amantissime conjugis Hirmentrudis». Or Charles ne devait épouser Ermentrude que le 13 ou 14 décembre 842 et le diplôme est daté du 25 septembre. La faveur royale est accordée à la requête de l'abbesse Bertrade. Un diplôme de Lothaire publié par Dom Bouquet, t. VIII, p. 377, et daté avec vraisemblance par Böhmer-Mühlbacher, Die Regesten, n° 1075 (1041), du mois d'octobre 840, mentionne l'abbesse Rothilde, tante de l'empereur. Rothilde, fille de Charlemagne et de sa concubine Madelgarde, naquit après le 4 juin 800 et mourut un 24 mars, comme en font foi plusieurs obituaires et notamment l'obituaire de Faremoutier publié dans les Obituaires de la province de Sens, t. IV, p. 134. Or une table pascale comprenant les années 804-873 et conservée au Vatican (mss. de la reine Christine, n° 141) porte d'une main du ixe s. en regard de l'année 852: «Domna Ruothild abbatissa obiit» (Archiv der Gesellschaft für ältere Geschichtskunde, XII, 1874, p. 269). Cette mention, vu l'ancienneté du manuscrit, semble digne de foi. On conclura de tout ce qui précède que le présent diplôme n'a pu être délivré le 25 septembre 842.
Pourtant la présence de Charles le Chauve «près de la voie romaine menant de Reims à Verdun» (Lot et Halphen, ouvr. cité, p. 57) à cette date précise coïncide avec l'itinéraire du souverain qui, venant d'Aquitaine, se rendait à Metz où il devait arriver le 30 septembre. De plus, la formule «Christo propitio» insérée parmi les éléments de la date indique un diplôme délivré dans les premières années du règne. L'erreur dans le compte de l'indiction (4e au lieu de 5e ou même 6e selon le style indictionnel employé) est un phénomène trop fréquent pour que nous puissions nous y arrêter. Toute correction de la date serait donc arbitraire. Il y a eu, croyons-nous, un diplôme délivré par Charles le Chauve le 25 septembre 842 à Bétheniville. Mais ce n'était pas celui dont on lira plus bas le texte. Il est possible et même probable que Charles le Chauve ait fait expédier un diplôme à la prière d'Ermentrude et de Bertrade en faveur de Faremoutier à une date postérieure à 852. On pourrait même préciser davantage. Le préambule exprime le souci d'améliorer la situation des églises dans des termes qui rappellent les préambules de certains diplômes souscrits par Folchricus. De plus, la formule de corroboration, avec les mots in Dei nomine per supervenientia tempora, porte en quelque sorte la signature de ce notaire. Or Folchricus n'a exercé son activité qu'en 859. En tout cas, le texte primitif a été retouché et on a donné à cet acte remanié la date que portait un autre diplôme.
Pour prouver le remaniement, il est inutile de s'attarder à l'incorrection de la formule: «Signum Karoli magni regis Francorum», qui peut s'expliquer par un accident de tradition. Le texte lui-même légitime plus sérieusement les soupçons. Pour ne retenir que l'essentiel, on notera que les préceptes antérieurs, d'ailleurs totalement inconnus de nous, dont celui-ci ne serait que la confirmation, n'ont pas été mis sous les yeux du roi; on remarquera le caractère tout à fait insolite de la tournure «sub nostrae tuitionis ac defensionis sive provisionis immunitate»; de la proposition «quicquid intra claustra per villas scilicet et diversos pagos sui juris diffusum esse cognoscitur»; du début, d'autre part grammaticalement incorrect, de la clause d'immunité «ita ut nullius judiciariae vel fiscalis potestatis aut etiam quaelibet reipublicae juridica administratio intra vel extra in mansionibus illorum...» etc.
Un incendie détruisit le monastère de Faremoutier et, semble-t-il, une partie de son chartrier en 1139-1140 (Maurice Lecomte, Le privilège de Saint-Faron..., dans le Bulletin de la conférence d'histoire et d'archéologie du diocèse de Meaux, I, 1897, p. 286 et références de la n. 1). Il est possible que la reconstitution maladroite de notre diplôme ait eu lieu à cette occasion. Quoi qu'il en soit, un diplôme délivré par Louis VII entre le 26 mars et le 31 juillet 1144 en faveur de Faremoutier (Luchaire, Études sur les actes de Louis VII, n° 132) reproduit exactement dans sa première partie les termes de l'acte de Charles le Chauve dont il s'approprie même le préambule. Le roi y rappelle les préceptes de ses prédécesseurs Charles, Louis et Henri [Ier] son bisaïeul. Ces trois préceptes sont également mentionnés dans un acte du même souverain délivré entre le 24 avril et le 31 juillet 1166 pour sanctionner un accord intervenu entre l'évêque de Meaux et l'abbesse de Faremoutier (Luchaire, n° 528). Celle-ci semble avoir fait valoir le diplôme de Charles le Chauve à l'appui de ses prétentions contre le diocésain.
In nomine sancte et individue Trinitatis. Karolus gratia Dei rex. Si secundum magnitudinis ac celsitudinis nostre sublimitatem ecclesiarum Dei provectus magnifice procuramus earumque tuicioni omnimoda ordinacione providere satagimus, profuturum nobis id quoque ad eternam beatitudinem facilius obtinendam procul dubio confidimus. Quapropter notum esse volumus omnibus sancte Dei Ecclesie fidelibus et nostris, presentibus atque futuris, quia venerabilis abbatissa ex Fare monasterio, nomine Bertrada, necnon etiam tocius congregacionis sibi commisse, tam clericorum quam etiam sanctimonialium inibi Domino obsequiis inserviencium, generalis unanimitas, per deprecacionem carissime atque amantissime unanimisque conjugis nostre Hirmentrudis gloriosissime regine, pecierunt devotis precibus nostram serenitatem quatinus ad ipsum monasterium cum omnibus ad se inpresenciarum jure pertinentibus rebus sub nostre tuicionis ac defensionis sive provisionis immunitate suscipere ac firmiter tenere dignaremur ut predecessores nostri reges videlicet fecisse et habuisse noscuntur. Quam peticionem justam et ratam ac salutiferam cognoscentes, ob amorem Dei et sancte ejus Ecclesie reverenciam eternorumque remuneracionem premiorum, magnitudinis ac celsitudinis nostre hoc preceptum supradicte ecclesie rectoribus sive inservientibus fieri darique jussimus, quod jam dictum monasterium, quicquid intra claustra per villas scilicet et diversos pagos sui juris ubique diffusum esse cognoscitur, omnesque insuper res jure legitimo pertinentes, que a predecessoribus nostris regibus videlicet vel ab aliorum nobilium virorum manibus ibidem collate sunt vel conferende erunt, tam in mobilibus quam in immobilibus rebus, sub immunitatis nostre regia tuicione suscipimus ac retinemus ac retinenda perpetuo decernimus et eternaliter confirmamus, ita ut nullius judiciarie vel fiscalis potestatis aut etiam quelibet reipublice juridica administracio intra vel extra, in mansionibus illorum vel in agris, ad aliqua ibidem placita tenenda, aut homines illorum distringendos, vel freda exigenda, sive fidejussores tollendos reosque capiendos, vel thelonea requirenda, vel mansiones sive paratas recipiendas aut illicitas occasiones objiciendas vel componendas seu requirendas, ingredi audeat nec licencie habeat facultatem, sed, hac regia nostra tuicione eadem ecclesia cum suis omnibus defensa atque munita, omnipotentis Dei misericordiam famulantes ibidem pro nobis caraque conjuge ac prole necnon etiam regni divinitus nobis commissi statu et pace sacris oracionibus vacando uberius exorare delectet. Et ut hec nostre immunitatis atque tuicionis seu corroboracionis auctoritas majorem in Dei nomine per supervenientia tempora obtineat vigorem, manu propria subter eam firmavimus anulique nostri impressione sigillari jussimus.
(Monogramma) Signum Karoli <magni> regis <Francorum>.
Data VII kl. octobr., anno Christo propicio III regnante Karolo gloriosissimo rege, indictione IIII. Actum Betiniaca villa. In Dei nomine feliciter. Amen.