843, 29 décembre. — Saint-Martin de Tours.

Charles le Chauve, à la prière de Renaud (Rainaldus), abbé de Marmoutier, confirme les préceptes par lesquels Charlemagne et Louis le Pieux ont mis le monastère sous la protection royale et celle de l'immunité <et accède à la requête de l'abbé que les frères ne se voient enlever aucun des colons ou des serfs du monastère qu'ils auraient élevés ou instruits et qu'ils aient la liberté de faire promouvoir au sacerdoce ceux qu'ils jugeraient dignes de cet honneur>.

Référence : Arthur Giry, Maurice Prou, Georges Tessier et Ferdinand Lot (éd.), Recueil des actes de Charles II le Chauve, roi de France (840-860), Vol. 1, Paris, 1943, no31.

A. Original perdu.

B. Copie du xviiie s., par Dom Étienne Eyme, avec calque des mots: «In nomine sanctae et individuae..... rependi minime dubitamus», Bibliothèque nationale, Collection Moreau, t. I, fol. 154, d'après A.

C. Copie du xviie s., exécutée par ou pour Gaignières, Bibliothèque nationale, ms. lat. 54414, fol. 1, d'après A.

D. Copie du xviie s., par Dom Martène, Bibliothèque nationale, ms. lat. 12878, fol. 23, «ex autographo», d'après A.

E. Copie du xiiie s., dans le cartulaire du prieuré de Chemillé, Archives de Maine-et-Loire, série H, non coté, fol. 75 v°.

a. Mabillon, Annales ordinis sancti Benedicti, t. II, p. 746, n° lxv, «ex archivo Majoris Monasterii».

b. Recueil des historiens de la France, t. VIII, p. 449, n° xxvii, d'après a.

c. Gallia christiana, t. XIV, instrumenta, col. 31, n° XXV, «e chartulario Majoris Monas terii» (année 844).

d. A. Giry, Un diplôme royal interpolé de l'abbaye de Marmoutier, dans les Comptes rendus de l'Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, année 1898, p. 193, d'après BCDE.

Indiqué : Georgisch, Regesta, t. I, col. 102.

Indiqué : Bréquigny, Table chronologique, t. I, p. 210.

Indiqué : Böhmer, Regesta, n° 1548.

Indiqué : Lot et Halphen, Le règne de Charles le Chauve, p. 88, n. 1.

Que Charles le Chauve, se trouvant à Saint-Martin de Tours le 29 décembre 843, ait réellement délivré à cette date un diplôme confirmant les préceptes accordés par ses prédécesseurs au monastère de Marmoutier, la concordance des éléments chronologiques avec l'itinéraire du souverain, la convenance et la correction d'un certain nombre de formules ne sauraient permettre d'en douter raisonnablement. Que d'autre part le texte ait subi des additions postérieures, Arthur Giry l'a démontré dans la dissertation qui précède l'édition du diplôme indiquée sous la lettre d. Ces additions portent sur l'exposé, le dispositif et les clauses finales. Dans l'exposé, l'expression «quisque in tempore magnae suae potentiae», inconnue dans les diplômes carolingiens, semble avoir été ajoutée après coup, mais l'interpolation manifeste porte sur la seconde partie de la requête de l'abbé Renaud. Celui-ci demande au roi que les frères ne courent pas le risque de se voir enlever les colons ou serfs qu'ils auraient élevés dans un des services de l'établissement et qu'après avoir instruit un de ces hommes, ils aient la liberté de lui faire conférer les ordres sacrés, s'ils l'en jugent digne. Outre que la syntaxe de tout le passage est barbare et que la formule innotuit..... quatinus concederemus est inusitée, le premier point de la requête n'avait pas de raison d'être, puisque les dispositions de la formule d'immunité interdisant à quiconque de pénétrer sur les domaines de l'immuniste pour y exercer une mesure de contrainte sur ses hommes libres ou non libres y faisait droit par avance. Giry signale à propos de ce diplôme certains actes du xe et du xie siècle insérés dans le cartulaire de Marmoutier connu sous le nom de cartulaire De servis, qui font allusion soit à des revendications de serfs, soit à l'admission de serfs dans la cléricature. Il semble qu'à Marmoutier les religieux aient répugné à affranchir sans réserve, comme ils auraient dû le faire, leurs serfs admis dans les ordres. Quoique clerc, l'homme restait attaché au service de l'abbaye. La nature du service changeait, le lien n'était pas rompu. On peut conjecturer que «pour appuyer les nombreuses revendications de serfs qu'elle poursuivait, pour justifier surtout la manière dont elle procédait à l'égard de ceux d'entre eux qu'elle faisait entrer dans les ordres, l'abbaye de Marmoutier dut juger utile d'avoir et de pouvoir au besoin produire un titre. Un moine ingénieux mais maladroit eut, dans les dernières années du xe siècle ou les premières du xie, l'idée de l'insérer, sous forme de disposition spéciale, dans l'une des confirmations générales de ses privilèges que possédait l'abbaye» (Giry, mémoire cité, p. 185).

Le dispositif ne reprend pas explicitement la deuxième partie de la requête de l'abbé Renaud, mais le rédacteur s'est contenté d'y faire allusion en ajoutant gauchement le complément circonstanciel «cum praedictis alumnis eorum et servientibus omnibus» à la clause de concession de tout ce que le fisc était en droit de percevoir sur les domaines du monastère. La clause pénale est également suspecte.

L'interpolation ne saurait être intervenue avant le 7 octobre 931, date proposée par Giry pour un diplôme de Raoul qui confirme les préceptes de ses prédécesseurs et y joint d'autres clauses, mais ne fait aucune allusion aux dispositions spéciales concernant les hommes du monastère élevés par les frères (Recueil des historiens de la Franve, t. IX, p. 571, n° xi et Giry, dans le mémoire cité, p. 197). Il est plus difficile de fixer le terminus ad quem. Le cartulaire de Chemillé, compilé au milieu du xiiie siècle, contient tous les passages suspects, mais leur introduction est beaucoup plus ancienne. Giry la datait, on l'a vu, de la fin du xe ou du commencement du xie siècle. Elle doit être de peu postérieure au diplôme de Raoul. La mention des coloni implique une date ancienne et les caractères externes du pseudo-original dont il nous reste à parler, laissent supposer, dans la mesure où nous les connaissons, qu'il a été écrit à une époque où les traditions de la chancellerie carolingienne n'étaient pas encore perdues.

L'original du diplôme primitif a disparu de bonne heure. Toute la traduction manuscrite repose sur le texte de l'original prétendu qui était encore conservé au xviiie siècle dans les archives du monastère. Dom Eyme en a calqué quelques mots. Autant qu'on peut en juger, le faussaire a copié très fidèlement l'écriture du modèle qu'il avait sous les yeux, les souscriptions en caractères allongés, le monogramme et la ruche. Il est certain d'autre part que le parchemin mis sous les yeux de Dom Eyme et avant lui, de Gaignières et de Dom Martène, n'était pas le diplôme original falsifié par des grattages et des surcharges, mais un acte nouveau, destiné à remplacer l'original (Giry, mém. cité, p. 188).

Le diplôme de Charlemagne auquel fait allusion l'acte de Charles le Chauve ne se retrouve plus. Par contre, le diplôme de Louis le Pieux, daté du 3 décembre 814, nous est connu par des copies (Böhmer-Mühlbacher, Die Regesten..., n° 555 (536); publié dans le Recueil des historiens de la France, t. VI, p. 468, n° xviii, et par Giry, mém. cité, p. 190). Les passages imprimés ci-dessous en petit texte sont empruntés à ce document.


Texte établi d'après BCDE et a.

In nomine sanctae et individuae Trinitatis. Karolus gratia Dei rex. Si erga loca divinis cultibus mancipata ob amorem Dei eorumque necessitatibus consulentes qui in eisdem locis supernae pietati sedulo famulantur beneficia oportuna largimur, premium nobis a Domino sempiternae remunerationis rependi minimae dubitamus. Proinde comperiat omnium fidelium sanctae Dei Ecclesiae, tam praesentium quam et futurorum, industria quia vir venerabilis Rainaldus, abbas monasterii sancti Martini Majoris quod est constructum prope Turonis civitatem super alveum Ligeris, obtulit obtutibus nostris auctoritates immunitatis augustorum, id est gloriosae memoriae avi nostri Karoli beateque recordationis genitoris nostri Ludowici, in quibus erat insertum qualiter idem gloriosissimi imperatores praefatum monasterium propter amorem Dei tranquillitatemque fratrum ibidem consistentium sub plenissima tuitione et immunitatis defensione, <quisque in tempore magnae suae potentiae>, consistere fecissent. Sed pro rei firmitate postulavit clementiam nostram predictus abbas ut, parentum morem sequentes, hujuscemodi nostrae immunitatis praeceptum ob amorem Dei et reverentiam divini cultus erga ipsum monasterium fieri censeremus, quo et antecessorum nostrorum auctoritates erga memoratum locum pietatis gratia ordinatas inviolabiliter decerneremus mansuras et a pravorum inlicitis infestationibus et a callidis occasionibus redderemus securum. <Insuper supplici voce innotuit culmini dignitatis nostrae quatinus concederemus memorato sancto loco ut quisquis ex fratribus ejusdem congregationis de colonis aut servis sancto Martino olim attributis aliquem nutrierit aut docuerit, ex quacumque sit villa aut beneficio, a nemine inde subtrahatur, sed cujus fuerit alumnus habeat licentiam, si dignus fuerit, ad sacerdotale onus provehere sine aliqua alicujus insultatione, et hoc ob id postulavit quia quamplurimi ex ipsis fratribus ex villis sancti Martini erant diversis, etiamsi in officinis eorum aliquem habuerint servientem, cujuscumque sit conditionis, tantum ut de potestate sit sancti Martini, a nemine invadatur aut subtrahatur>. Cujus petitionibus libenter assensum prebuimus et hoc nostrae auctoritatis praeceptum, inmunitatis atque tuitionis gratia, pro firmitatis studio et anime nostrae emolumento fieri decrevimus, per quod precipimus atque jubemus ut nullus judex publicus neque quislibet ex judiciaria potestate aut ullus ex fidelibus nostris, tam presentibus quam et futuris, in ecclesias aut loca vel agros seu reliquas possessiones quas moderno tempore in quibuslibet pagis et territoriis intra dictionem regni nostri possidet, quicquid ibidem propter divinum amorem conlatum fuit quaeque etiam deinceps in jus ipsius sancti loci a Deum timentibus hominibus voluerit pietas divina augeri, ad causas audiendas vel freda exigenda, aut mansiones vel paratas faciendas aut fidejussores tollendos aut homines ipsius monasterii tam ingenuos quam et servos super ejusdem terram commanentes distringendos, nec theloneum aut inferendas aut rotaticum vel ripaticum sive portaticum sive etiam exclusaticum aut nautaticum vel retiaticum aut herbaticum requirendum, nec ullas redibitiones aut inlicitas occasiones ingerendas, nostris nec futuris temporibus ingredi audeat vel ea quae supra memorata sunt poenitus exigere presumat, sed liceat prefato abbati suisque successoribus cum rebus omnibus ad memoratum monasterium pertinentibus, id est cum agris, vicis, villis, cum omni familia et universa possessione quae ad ipsam ecclesiam conlata est, vel undecumque moderno tempore quibuscumque provinciis, pagis, locis et territoriis noscitur habere dominium sub tuitionis atque defensionis inmunitatis nostrae, remota totius judiciariae potestatis inquietudine, quieto ordine residere; et quicquid de prefatis rebus monasterii jus fisci exigere poterat, in nostra aelemosina in integrum eidem concessimus monasterio <cum predictis alumnis eorum et servientibus omnibus>, scilicet ut perpetuo tempore ad peragendum Dei servitium augmentum et supplementum fiat, quatenus ipsis servis Dei, qui ibidem Deo famulari videntur, pro nobis et conjuge proleque nostra et stabilitate totius regni a Deo nobis conlati et ejus clementissima miseratione per inmensum conservandi Dei inmensam clementiam delectet jugiter exorare. <Si autem quis nostrorum sua cupiditate aut aliqua maligna suggestione hujus precepti inmunitatis temerarius violator extiterit, primitus multetur nostra offensione, deinde sociato fisco ac regali lege auri libras xxx coactus exsolvat.> Hanc itaque auctoritatem, ut pleniorem in Dei nomine obtineat vigorem et a fidelibus sanctae Dei Ecclesiae et nostris diligentius conservetur, manu propria subter firmavimus et anuli nostri impressione signari jussimus.

Signum (Monogramma) Karoli gloriosissimi regis.

Aeneas notarius ad vicem Hludowici recognovit et s. (Signum recognitionis). (Locus sigilli).

Data IIII kld. januar., indictione VI, anno IIII regni Karoli gloriosissimi regis. Actum in Turonis in monasterio sancti Martini. In Dei nomine feliciter. Amen.


Localisation de l'acte

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