869, 24 novembre. — Gondreville.
Charles le Chauve, devant qui, en son palais de Gondreville, a été évoquée la cause des moines de Saint-Èvre [de Toul], prescrit la reconstitution de leur patrimoine, dilapidé par la négligence de certains recteurs, tel que l'évêque Frotier (Frotarius), réformateur du monastère au temps de Louis le Pieux, en avait déterminé la consistance, et conformément au privilège du dit évêque et au précepte confirmatif de Louis; il énumère les biens dont se compose la fortune territoriale de l'établissement, le «vicus» de Saint-Èvre, «Caviacus» (alias «Camiacus»), le manse d'Auron (Auronis mansum), les vignes d'Alnodion (vineas Alnodionis, alias Alnodi ou Alnoni), situées soit sur la montagne de Bar (alias de Saint-Michel), soit sur celle de Barine, la plantation d'Edenulfus et de Leutmundus à Bruley, tout ce qui à Savonnières dépend de Saint-Èvre, ce qu'Archembertus a donné au monastère à Jaillon, un moulin à Naix, le manse Saint-Mesmin (mansum sancti Maximini) situé devant l'entrée du monastère et affecté à la porterie, Villey[-le-Sec], Velaine[-en-Haye], Allain [-aux-Bœufs] et ses dépendances, sauf l'église de Colombey, Saulxures[-lès-Vannes], la «villa Stephani», restituée à Saint-Èvre en échange de Bainville, Selaincourt sauf «Grimaldi vicinum» et une basilique à Crépey, «Siccum vidum» sans son église, Manoncourt[-en-Woëvre], Atton, Blénod[-lez-Pont-à-Mousson], «Masellos», tout ce qui des biens de Saint-Èvre sur les territoires d'Ourches et de Naives[-en-Blois] a été possédé par Guntardus, Martigny [-les-Bains] qui avait été tenu en précaire, un manse à Bovée, jadis tenu en précaire par Silvestre, deux manses à Moyenvic destinés à l'établissement de salines et donnés par Cristofora; quant aux autres «villae» de Saint-Èvre, la moitié du produit de leurs dîmes sera donnée à la porterie; les dîmes des vignes de Bruley et des monts de Bar et de Barine, tant de celles qui sont exploitées directement que de celles qui sont concédées en bénéfice, seront données au monastère; les bénéfices contribueront aux constructions des murs et bâtiments; deux nuits par semaine, les moines jouiront de la pêcherie de l'évêque à Pierre; ils auront en outre un manse à Chaudeney avec le pêcheur et sa femme qui y sont domiciliés. L'évêque devra éviter d'être à charge à la communauté par sa présence ou celle des siens. Si quelque évêque prenait une mesure préjudiciable aux intérêts des moines, ceux-ci pourraient recourir au métropolitain et, en cas de carence de celui-ci, au roi lui-même. Le monastère restera néanmoins un monastère épiscopal.
A. Original perdu.
B. Copie de la fin du xviie s., sous le titre: «Lettres du roi Charles le Chauve communiquées par le R.P. Benoît de Toul, gardien des capucins de Toul», Bibliothèque nationale, ms. fr. nouv. acq. 7392 (collection De Camps, vol. 62), fol. 392.
a. Benoît de Toul [Benoît-Picart], Histoire ecclésiastique et politique de la ville et du diocèse de Toul, pièces justificatives, p. i, d'après la même source que B.
b. Recueil des historiens de la France, t. VIII, p. 620, n° ccxxii, d'après a.
Indiqué : Bréquigny, Table chronologique, t. I, p. 287.
Indiqué : Böhmer, Regesta, n° 1762.
Le diplôme de Charles le Chauve pour le monastère de Saint-Èvre s'insère dans une série dont le premier échelon est constitué par une charte de l'évêque de Toul Frotier (813-847). Ce document non daté a été publié d'après l'original par Mabillon (De re diplomatica, p. 524, n° lxxix) et attribué par lui aux environs de l'année 836. Frotier avait connu un temps où Saint-Èvre était un établissement florissant. Mais par suite de l'incurie de certains recteurs et de la diminution du temporel, la déchéance était venue. S'étant ouvert à Louis le Pieux de son désir de rendre au monastère son éclat primitif, il s'est mis à l'œuvre avec les encouragements et la garantie de l'empereur. Il a donc réformé la communauté et confirmé l'affectation aux besoins de celle-ci des biens qui faisaient déjà partie du patrimoine de l'établissement en y ajoutant un certain nombre d'autres. Suit l'énumération de ces biens dont on retrouve les noms dans le diplôme de Charles le Chauve. Après quoi, Frotier définit le statut de l'établissement, fixe la nature et la quotité des prestations et services dus par le monastère à l'évêque, le mode d'élection de l'abbé, etc... Il ressort nettement de l'ensemble de ces dispositions que Saint-Èvre était un monastère épiscopal, tout en jouissant d'une certaine autonomie. La charte de Frotier fut confirmée par un diplôme de Louis le Pieux aujourd'hui perdu (Böhmer-Mühlbacher, Die Regesten, verlorene Urkunden, n° 141). Quelques années plus tard, Lothaire Ier mit la main sur le monastère et en distribua le patrimoine à ses fidèles à titre bénéficiaire, puis à l'article de la mort le rendit à l'église de Toul. La restitution devait être solennellement confirmée par Lothaire II le 6 août 858 (Böhmer-Mühlbacher, ibidem, n° 1285, anc. 1250; diplôme publié d'après l'original par Mabillon, De re diplomatica, p. 533, n° xcii). Les démêlés de l'évêque de Toul Arnoul avec le roi de Lorraine (Parisot, Le royaume de Lorraine..., p. 154, n. 2) ne favorisèrent pas le rétablissement de l'ordre. Cette situation troublée explique l'intervention de Charles le Chauve au lendemain de son couronnement à Metz. Moins de vingt ans plus tard, le 21 juin 885, Charles le Gros confirmait à son tour le précepte de Louis le Pieux. Le diplôme de Charles le Gros, publié par Mabillon, De re diplomatica, p. 552, n° cxiv, d'après l'original, aujourd'hui perdu, et en dernier lieu par P. Kehr, Karoli III diplomata, p. 199, n° 125, est d'une sincérité certaine. Sans faire aucune allusion au diplôme de Charles le Chauve, il en reproduit le texte avec une telle fidélité qu'on y trouve transcrits des passages qui ne sauraient s'appliquer à Charles le Gros: «consistentibus nobis in Gundulfi villa palatio nostro», alors que le diplôme est daté d'Étrepy; «nos denique, qui miseratione divina heredes regni patris extitimus», alors que le diocèse de Toul n'avait jamais fait partie du royaume de Louis le Germanique. Les énumérations et les dispositions des diplômes de Charles le Chauve et de Charles le Gros se retrouvent dans une série de diplômes postérieurs, d'Othon Ier (947, 3 août et surtout 965, 2 juin; Diplomata regum et imperatorum Germaniae, t. I, p. 174, n° 92, et p. 406, n° 290), de Conrad le Salique et d'autres encore.
Arthur Giry a relevé dans une note manuscrite un certain nombre d'anomalies dans la rédaction du diplôme de Charles le Chauve «... D'après le début de l'exposé, ce privilège semble s'annoncer comme un jugement: consistentibus nobis... delata est causa monachorum sancti Apri; de cette causa il ne sera plus question, puisque l'acte est une confirmation de privilèges». On ne relève aucune mention de requête. «Le roi s'approprie certaines dispositions qui ne pouvaient appartenir qu'à l'évêque et qu'un rédacteur soigneux n'aurait pas manqué de corriger... Les clauses finales comminatoires sont beaucoup plus développées qu'elles ne le sont d'ordinaire dans les diplômes royaux de cette époque...». Il n'est pas question de méconnaître les irrégularités diplomatiques de la teneur. La seule façon de les expliquer est d'admettre que le diplôme n'a pas été rédigé par un notaire de la chancellerie, mais qu'il est l'œuvre soit d'un rédacteur local, soit d'un notaire du comte du palais, cette dernière conjecture étant susceptible de rendre raison de la tournure «consistentibus nobis...». Mais on ne saurait au nom d'une critique étroitement formelle nier purement et simplement la sincérité d'un acte dont la date de lieu s'accorde pleinement avec l'itinéraire connu de Charles le Chauve, le séjour du souverain à Gondreville au mois de novembre 869 nous étant attesté par Hincmar (Annales Bertiniani, éd. Waitz, p. 107). À tort ou à raison, il nous semble que la proposition «qui miseratione divina heredes regni paterni extitimus», au lendemain du couronnement à Metz, est une allusion à la prise de possession de la Lorraine. Enfin si le diplôme de Charles le Gros délivré moins de vingt ans plus tard est sincère, comme tout semble l'indiquer, on ne voit pas comment se justifieraient des soupçons contre l'acte de Charles le Chauve, exactement reproduit par la chancellerie de son neveu.
Dernière observation: le chiffre de l'indiction n'est exact que si on suppose l'emploi du style indictionnel de septembre.
In nomine sanctae et individuae Trinitatis. Carolus gratia Dei rex. Si necessitatibus servorum Dei opem ferimus et ut liberius Domino vacare possint, hoc nobis ad praesentem vitam transiendam et ad futuram capescendam profuturum liquido credimus. Itaque notum sit omnibus fidelibus sanctae Dei Ecclesiae [et] nostris, praesentibus scilicet atque futuris, quia, consistentibus nobis in Gundulfi villa palatio nostro, delata est causa monachorum monasterii sancti Apri quod situm esse constat in suburbio, ubi ipse sanctus confessor Christi tumulatus agnoscitur, in quo quidem monasterio Frotarius quidam ejusdem civitatis episcopus monasticum ordinem penitus destitutum tempore domini genitoris nostri pii augusti, eodem principe satagente, praefati pontificis instantia [et] sollicitudine procurante, in pristino statu reformaverat privilegio episcoporum suorum ac praecepto ejusdem sanctae recordationis imperatoris scilicet Ludovici confirmaverat, tam ex rebus suae ecclesiae beati protomartyris Stephani quamque ex ejusdem monasterii sancti Apri deputatis usibus [et] necessitatibus monachorum ibidem Domino famulantium quibusdam villis sufficienter ditaverat, sed, negligentia quorumdam rectorum interveniente, quod pie statutum fuerat ex parte subtractum ac minoratum aliterque quam in privilegio episcoporum [et] praecepto genitoris nostri continebatur, missis nostris investigantibus quos ad hoc inquirendum illuc direximus manifestissimo claruit. Nos denique, qui miseratione divina heredes regni paterni extitimus, in praefato monasterio reformare cupientes quod negligentia seu malevolentia rectorum ablatum fuerat, in integrum perspecto atque relecto privilegio [et] praecepto, praefatis monachis restitui ac reformari jussimus, id est vicum sancti Apri cum omnibus vineis, pratis, silvis, farinariis, servitoribus suis et appendiciis ejus, id est Caviacum cum integritate sua, Auronis mansum cum omni integritate, vinearum scilicet, pascuarum, agrorum, silvarum, nec minus vineas Alnodionis in monte Barro vel Barricino constitutas, in Bureriaco quoque plantariam Edenulfi [et] Leutmundi cum quibusdam vineis aliis, quidquid [eti]am in Saponariis de parte sancti Apri habet[ur], quidquid in G[avalo]ngis Ar[che]mbe[r]t[u]s s[ed] et eidem mona[steri]o dedit, necnon farinarium in Nasio, mansum sancti Maximini cum sorte ejus qui ante fores monasterii consistit, quem ad portam monasterii ejusdem concedimus, item villam quae dicitur Vitilacus, Villenas ex integro, Alanum cum omnibus appenditiis suis, excepta ecclesia quae est in Columbario cum appenditiis suis, cum omnibus servitoribus, exceptis paucis pratis quibus utuntur eidem monasterio deserviunt, pro ratione vero sui capitis episcopi usibus ministeria impendunt, sicut Salfurias cum omni suo appenditio, exceptis his qui simili conditione tenentur. Addimus vero villam Stephani cum appenditiis suis et basilica ejusdem, quam villam pro commutatione alterius villae ad eandem cellulam respicientis quae dicitur Babani villa eidem restituimus, Siglini quoque curtem cum ecclesia praeter Grimaldi vicinum cum appenditiis [et] praeter basilicam in Crepiaco cum appenditiis suis. Adnectimus Siccum vidum praeter ecclesiam cum appenditiis suis, Manmonis curtem cum ecclesia ex integro, similiter Stadonis, Bladenenacum [et] Masellos, quidquid [eti]am in fine Ordensi vel Navensi de parte sancti Apri a Guntardo possessum est, Martiniacum quoque quae Amilberta per praestariam tenebat cum ecclesia ejusdem, et scilicet mansum in Bauviaco ex toto quem Silvester per praestariam tenuit, duos quoque mansos in Medianovico ubi salinae eorum usibus fiant, quos eis Cristofora dedit. Statuimus quoque, secundum quod in privilegio decretum est, ut ex cunctis reliquis villis beati Apri medietas decimae frugum [et] animalium ad portam monasterii detur, ex Brueriaco vero et monte Barro vel Barricino tam de dominicis vineis quam de beneficialibus monasterio decimae dentur, in beneficiis autem clausurae [et] aedificia [t]ectorum juxta facultatem uniuscujusque circa monasterium constru[a]ntur. Concedimus quoque illis, sicut in privilegio episcoporum continetur, in villa quae dicitur Petra, ex piscaria episcopi unaquaque hebdomada duas noctes, quin etiam in Cadiniaco mansum, scilicet piscatorem supra manentem, nomine Archantecum, cum uxore sua Aglanae, sicut statutum esse constat. Neque presentia sua vel suorum praefatis monachis pontifex in aliquo oneri sit, sed quotienscumque pro aliqua ordinatione vel correctione ad idem monasterium accesserit, paupertati eorum si voluerit participet, alias autem, ut praefati sumus, nec ipse, nec sui in aliquo praefatis monachis oneris sint. Si vero ex his quae illis indulsimus, quae in privilegio [et] praecepto illorum contine[n]tur, quispiam pontificum succedentium minuere aut auferre vel commutare injuste, quod absit, conatus fuerit, habeant licentiam metropolitanum dioecesis adire [et] necessitatis suae causas exponere. Si vero ipse opem ferre neglexerit, quod perperam actum est corrigere vel noluerit vel neglexerit, adeant libere nostram serenitatem vel qui nobis in regno Domini dispositione successerint et causam necessitudinis suae principi innotescere. Ipse vero corrigere quod male gestum esse constat nullatenus differat intuitu respectus divini, ne forte, si distulerit, sententiam damnationis quam in privilegio statui fortassis incurrat. Neque vero abba aut quisquam monachorum praedictum monasterium quolibet ingenio aut machinatione vel p[er] se vel qualibet objecta persona ab episcopi potestate subtrahere vel submovere moliatur, sed, salva libertate monasticae religionis, urbi Leuchorum vel ipsi pontifici absque aliqua contradictione semper maneat subjectum atque subjunctum. Hoc vero praeceptum nostrum vel privilegium episcoporum ac praeceptum domini genitoris nostri, sicut hactenus actum esse constat, quod pro tuitione ac defensione acquirere illis concessum est, ullus pontificum aut minister ipsius aliquando illis aufferre praesumat. Quod si quis temerario [au]su facere praesumpserit, districtissime a nobis, simul cum sententia canonum quae talia patrantibus promulgata est, feriatur, ut monachis per tempora ibidem Domino militantibus sub conditionibus[in] jam dicto privilegio et in hoc praecepto nostrae au[c]toritatis taxatis quiete regulariterque vivere [et] pro nobis et stabilitate imperii ad nos commissi atque conservandi jugiter Domini misericordiam exorare delectent. Ut autem hujus constitutionis nostrae au[c]toritas firmior habeatur potioremque in Dei nomine per succedentia tempora firmitatis mereatur obtinere vigorem, propria manu eam subter firmavimus annulique nostri impressione subter sigillari jussimus.
Datum VIII kalend. decembris, indictione III, anno XXX et post successionem Lotharii I regnante Carolo gloriosissimo rege. Actum Gundulfi villa. In Dei nomine feliciter. Amen.