[866, fin d'août – 870, avril].

Charles le Chauve détache de «l'abbatia» pour les affecter aux besoins des moines du monastère de Saint-Médard de Soissons les «villae» de Berny, Crouy, Damery, Soilly, Berzy avec le moulin de Berzy, les deux Marizy et Epieds, ainsi que Morsain, «Cerviacus» et Vez, y ajoute entre autres choses un manse à Morsain, des viviers au bord de la mer, des terres à Bouvancourt, Romeny et dans la «villa» de «Lengerivicinium», affecte les «villae» de Chivres, Augy (?), Essômes au vestiaire, Choisy et les usages forestiers de Pinon à l'hôtellerie des nobles, Hattencourt à l'hôtellerie des pèlerins, le tout aux conditions suivantes: deux fois par an, pendant les octaves de Noël et de Pâques, un repas sera fourni aux moines par le trésorier, le portier, l'hôtelier et le chambrier; les mêmes devront prendre à leur charge les réparations des locaux affectés à leurs offices; le trésorier fournira un autre repas le jour de la translation des saints Tiburce et Gildard; des repas seront servis aux moines sur les revenus de la «villa» de Berny les jours des fêtes de saint Médard et de saint Sébastien, les jours anniversaires de Louis le Pieux, de Judith, du roi, de sa femme et de ses enfants, un repas complet sur les revenus des autres «villae» susdites le jour anniversaire de la naissance de son fils Carloman et après la mort de celui-ci, le jour anniversaire de son décès, enfin le jour anniversaire de Berthe, sa tante, un repas sur les revenus de la «villa» royale de Berneuil, lesquels serviront également au luminaire des églises de sainte Sophie et de la sainte Trinité. Le roi défend en outre aux recteurs de soustraire quoi que ce soit aux moines qu'il prend sous sa protection.

Référence : Arthur Giry, Maurice Prou, Georges Tessier et Ferdinand Lot (éd.), Recueil des actes de Charles II le Chauve, roi de France (840-877), Vol. 2, Paris, 1955, no338.

A. Original. Parchemin autrefois bullé. Hauteur, 650 mm. à gauche, 670 mm. à droite; largeur, 504 mm. en haut, 490 mm. en bas. Archives nationales, K 14, n° 92.

B. Copie de la fin du xiiie s., dans le Cartularium antiquum de Saint-Médard, Archives de l'Aisne, H 477, fol. 128, sous la rubrique: «Carta Karoli regis Francorum qui dedit has villas Berneyum, Crovyacum et multa alia que continentur in carta», probablement d'après A.

C. Copie du xviiie s., probablement par Dom de Vaines, Bibliothèque nationale, Collection Moreau, vol. 1, fol. 142, d'après A et une copie aujourd'hui perdue faite à Saint-Médard d'après A et B par un notaire apostolique, le 3 avril 1354 (n. st.).

D. Copie du xviiie s., Archives nationales, K 14, n° 92 (carton), d'après A.

E. Copie de l'année 1649, Archives nationales, LL 1021, p. 316, d'après B.

F. Copie du xviie s., par Du Chesne, Bibliothèque nationale, ms. fr. nouv. acq. 7433 (Collection de Camps, vol. 103), fol. 177, «ex chartulario S. Medardi Suess.».

G. Copie de l'année 1662, dans Dom Gilson, Antiquitez de Soissons, Bibliothèque nationale, ms. fr. 18769, fol. 57, d'après B.

H. Copie du xviiie s., Bibliothèque nationale, Collection de Picardie, vol. 233, fol. 49, peut-être d'après C.

I. Copie du xviiie s., Bibliothèque nationale, ms. lat. nouv. acquis. 2295, fol. 40, d'après la même source que F.

J. Copie incomplète du xviiie s., Bibliothèque nationale, ms. fr. nouv. acquis. 22210 (papiers de Dom Bouquet), fol. 180, d'après la même source que F et I.

a. J. Tardif, Cartons des rois, p. 135, n° 212, d'après A.

b. Jusselin, dans Le Moyen Âge, t. XXXIX (1929), p. 232 et fig. 43.

Fac-similé : de l'original: Lot, Lauer et Tessier, Diplomata Karolinorum, V, pl. vii.

L'original de cet acte est très endommagé et la date en est depuis longtemps devenue illisible. On ne peut savoir si elle était déjà effacée lorsque le copiste du Cartularium antiquum transcrivit le diplôme à la fin du xiiie siècle; elle l'était certainement en 1354, date de la copie notariée qui a servi à l'auteur de la copie C pour l'établissement de son texte. Un premier terminus ad quem est donné par un diplôme synodal du mois d'août 871. Les évêques réunis à Douzy confirmèrent à cette date le diplôme de Charles le Chauve et l'acte qu'ils délivrèrent à cette occasion en reproduit le texte (Dom Michel Germain, Histoire de l'abbaye royale de Notre-Dame de Soissons, p. 432). Il est possible de reculer ce terme. En 870, probablement vers le mois d'avril, Carloman, fils de Charles le Chauve, ayant trahi son père, fut dépouillé de ses abbayes, par conséquent de celle de Saint-Médard dont il était abbé depuis 866, et incarcéré à Senlis (Annales Bertiniani, édit. Waitz, p. 109). Si le diplôme avait été expédié immédiatement après cet événement, la qualification de dilectissimus filius (l. 13) appliquée à Carloman ne se justifierait guère. Mais surtout il est fait allusion à notre diplôme dans une lettre adressée au roi par les moines de Saint-Médard pendant le rectorat de Carloman, donc entre 866 et 870: «... magnitudine malorum addicti, adversus filium vestrum seniorem nostrum K[arlomannum] ejusque sequaces pro innumeris quas nobis intulere violentiis querelam vix explicabilem agitare compellimur. Postquam enim vestrae pietatis largitas nostrae parvitatis usibus villas villarumque reditus suae praecepto majestatis concedere pariter et delegare dignata est..., non aliter a supra nominato seniore nostro obtinere potuimus ut praecepto vestrae altitudinis in reddendis villis adquiesceret nisi...» (Epistolae karolini aevi, t. IV, p. 179). Dans une lettre en date du 5 juillet 1932 et adressée à Léon Levillain, qui nous l'a communiquée, Ferdinand Lot expose une hypothèse très séduisante concernant la date à laquelle a été expédié notre diplôme. «L'acte, dit-il, a été rédigé lorsque Carloman n'était pas encore abbé de Saint-Médard». Nulle part, en effet, dans le corps du diplôme, ce personnage n'est qualifié d'abbé ou de recteur et les dispositions royales ont été prises «divino nutu et voluntate sanctorum Medardi... necne... Gildardi atque... Sebastiani» sans qu'il y ait eu intervention explicite de Carloman, ni d'ailleurs des moines. Il semble que le roi dispose de l'abbatiat. Or le recteur qui avait précédé Carloman n'était autre que Vulfadus, le fameux clerc rémois ordonné par Ebbon et qu'Hincmar poursuivait de sa vindicte tenace. Le 18 août 866 se réunissait précisément à Saint-Médard de Soissons un important concile destiné à en finir avec l'affaire des clercs d'Ebbon. «Avant la dissolution du concile», donc avant le 25 août, Charles le Chauve fit don de l'archevêché de Bourges à Vulfadus qui dut se démettre du rectorat de Saint-Médard. C'est à ce moment, avant que Carloman ait pris officiellement la succession de son maître Vulfadus, que viendrait s'insérer tout naturellement le diplôme de Charles le Chauve. L'acte aurait donc été expédié pendant que le roi était à Saint-Médard à la fin du mois d'août, peut-être le 25. «La solennité de cet acte bullé rendu sur l'intervention des saints Médard, Gildard, Sébastien me porterait à le croire, ajoute Ferdinand Lot, en rapport avec le couronnement de la reine Ermentrude, 25 août 866». (Sur la chronologie des événements, voir F. Lot, Une année du règne de Charles le Chauve. Année 866, dans Le Moyen Âge, t. XV, 1902, page 414 et suivantes, surtout p. 417 à 419 et p. 418, n. 2.) On n'hésiterait pas à se rallier à cette manière de voir, si on avait la preuve qu'à cette date précoce, le recognoscens Adalgarius exerçait déjà son activité à la chancellerie de Charles le Chauve. Or ce n'est que plus d'un an après le 25 août 866 qu'on lit le nom d'Adalgarius au bas du diplôme expédié le 30 octobre 867 (n° 304).

On a appelé l'attention plus haut (p. 249, n. 1) sur le fait que l'expédition originale semblait avoir été écrite par un moine de Saint-Denis et probablement par celui qui avait écrit le diplôme du 19 septembre 862 (n° 247). Or ce dernier document a la même nature juridique que le diplôme pour Saint-Médard. C'est aussi une partitio bonorum et des formules identiques se retrouvent de part et d'autre. On comparera notamment les adjurations rédigées en termes exceptionnels qu'adresse le roi aux futurs abbés ou recteurs pour leur interdire de soustraire quoi que ce soit à la mense conventuelle.: «... praecipientes regia potestate et per sanctam inviolabilem Trinitatem atque examen tremendi judicii angelorumque ac sanctorum omnium reverentiam conjurantes...» et la clause comminatoire, fort insolite au temps de Charles le Chauve.

L'écriture san-dionysienne et dans une moindre mesure, car on retrouve les mêmes formules dans le diplôme de partitio expédié pour Saint-Germain-des-Prés le 20 avril 872 (n° 363), les analogies rédactionnelles suggèrent une hypothèse différente de celle de Ferdinand Lot. C'est que le diplôme aurait été rédigé et écrit à Saint-Denis pendant un des séjours du roi dans ce monastère et au cours du rectorat de Carloman dont la célébration de l'anniversaire est prescrite dans le dispositif et avant le 6 octobre 869, date de la mort d'Ermentrude (voir plus haut, p. 250 n. 2) On ne s'étonnera pas que Carloman ne soit pas présenté explicitement comme recteur, si l'on songe à ce que pouvait être la situation de ce jeune mauvais sujet que son père avait gratifié de la mense abbatiale de Saint-Médard comme d'un des éléments de sa dotation, tout en gardant la haute main sur le monastère. Rien ne s'oppose du reste à ce que le roi ait pris sa décision «voluntate sanctorum Medardi etc...» à l'occasion des fêtes du 25 août 866 et qu'il ait tardé quelque peu à la faire mettre par écrit.

Pour restituer les lettres, mots ou groupes de mots altérés ou disparus sur l'original, on s'est servi de B et de C. Le copiste de D n'ayant eu sous les yeux aucune copie ancienne n'a proposé que des restitutions fantaisistes.

(Chrismon) In nomine sanctae et individuae Trinitatis. Karolus gratia Dei rex. Patrum avitumque morem sequentes, amicos Dei sua gratia honoratos quorum principatus ab eo per quem reges regnant [nimis est con-][2]-fortatus, nostrae administrationis liberalitate honorare studemus, quia eorum sola[tio] et reges et regna salutem atque virtutem ampliari confidimus, praesertim cum omnis honor illis exibitus ejus cultui deservire noscatur cujus sunt omnia jura regnorum quique [c]un[ctarum] m[ax]ime [3] sibi subjectarum auctor et conservator est potestatum, cujus nos etiam regimen obtinemus consilio et regni gubernacula moderamur auxilio. Igitur noverit omnium fidelium Dei ac nostrorum, praesentium scilicet et futurorum, industria, divino nutu et voluntate sanctorum Medardi confessoris Christi nec-[4]-ne germani sui atque confessoris Dei [G]ildardi atque incliti martiris Sebastiani nostram inflexam [c]l[em]entiam quatinus sibi devote die noctuque famulantium atque sub norma regulae beati Bedicti monastice degentium coenobitarum utilitatibus consuleremus qualiterque vitam praesentis evi [5] [t]ranscurrere pro[que] salute nostra, conjugis [ac] prol[i]s [at]que s[ta]tu reg[ni nost]ri totiusque sanctae [Dei] Ecclesiae liberius sine p[e]nuria ali[cujus rei valeant exorare], ex reditibus abbatiae predictorum sanctorum re[s usibus] et stipendiis ipsorum necessarias deputa[remus et] deputa[ta]s perpetim [6] firmiterquer habendas auctoritatis nostrae praecepto confirmaremus. Omnipotentis itaque et cunctitenentis opperientes aeternam remunerationem et sibi digne placitorum tam pro abl[u]tione scelerum quamque pro adipiscendis praemiis [re]gni caelorum desiderantes pium [7] interventum sanctorum, has villas diversis necessitatibus illorum aptas cum integritate sui s[i]ne aliqua diminutione regia liberalitas censuit deputandas, Berneium videlicet, Croviacum, Domnoregium, Sodoleium, Berziacum una cum mulino Berziso, Marisiacos duos atque [8] Spicarium, et praeter has Murocinctum, Cerviacum, Vadum, sicut Hildwinus anti[q]u[i]or abba ad suum tenuit dominicatum, superaddentes in Murocincto mansum unum, Malras etiam et piscinas supra mare, et in Boviniaci curte de terra bunuaria viginti quatuor et [9] in Rominiaco mansos quinque et partem prati de Locogeio, et mansos duos in villa quae dicitur Leugerivicinium. Camera vero [ve]stimentorum praefatorum monachorum habeat tres villas, Capram, Albiacum et Solmam, et hospitalis nobilium, accipiens nonam ex [10] villis ipsius abbatiae secundum antiquam consuetudinem, habeat Cautiacum simul cum lignariis de Pinone, et hospitalis peregrinorum, accipiens decimam, habeat Attonis curtem. Thesaurarius autem et portarius, hospitalarius et camerarius intra octo [11] dierum dominice Nat[ivi]t[atis] et Resurrectionis spatia bis in anno plenar[iam ref]ectionem praefatis monachis a[eternatim imp]ertiant; insuper et thesaurarius in trans[latio]ne sanctorum Tiburtii et Gildardi plenariam fratribus exhibeat refectionem; [12] et omnium domatum eis p[er]tinentium ruinis subveniant. Statuimus etiam ex villa Berneio festi[vi]tatibus sancti Medardi [et sancti Sebastiani, et] genitoris nostri ac genitoricis, nostro quoque ac conjugis et prolis nostrae anniversariis ipsi monachi refectiones accipiant. [13] Insuper ex prefatis aliis villis termino nativitatis dilectissimi filii [nostri C]arlomanni plenariam refectionem habeant [et post ips]ius obitum diem nativitatis transferant [in] diem depositionis. Similiter ex villa nostra Bernoilo decrevimus refectionem [14] abundanter fieri eisdem monachis in aniversario Bertȩ amitȩ nostrae et luminaria exhiberi ecclesiae sanctae Sophiae infer[iori et] sanctae Trinitatis superiori. Quicquid autem a Deum timentibus pro animarum remediis eisdem monachis collatum est et [15] in futuro conferetur firmiter absque alicujus rectoris contradictione teneant atque possideant. Ex omnibus itaque suprascriptis rebus hoc altitudinis nostrae praeceptum fieri eisdemque monachis dari jussimus, per quod praefatas res cum ecclesiis, domibus, [16] edificiis, viridiariis, hortis, vineis, terris, silvis, pratis, pascuis, aquis aq[uarum]ve decursibus, piscinis, molendinis, mancipiis utriusque sexus desuper commanentibus vel a[d e]asdem res juste pertinentibus, ad sui victum et potum, et domos atque officinas [17] sibi pertinentes reficiendas et continendas et alias [eorum] necessitates sub[plendas firmiter] h[abendas] deputamus et dep[utando confir]mamus, praecipientes regia potestate et per sanctam inviolabilem Trinitatem atque examen tremendi judicii angelorumque ac sanctorum omnium [18] reverentiam conjuran[tes] ut nemo rectorum per successiones quod nostro rob[oratum est edicto subtrahere vel minuere audeat aut ad] usus suos retorqueat vel alicui quiddam [inde in] beneficium tribuat, sed neque servitia exactet. [Qui] vero aliter facere prae-[19]-sumpserit aut hanc nostr[am] confirmationem violare voluerit, a Deo cujus [exti]tit [c]on[t]empt[or] poenis aeternalibus se dampnan[d]um cognoscat, ipsi vero monachi omnesque eorum res et mancipia cunctaque [su]bp[e]llex in nostro successorumque nostrorum munimine ac mundebur-[20]-do [in]desinenter maneant. Et ut hȩc auctoritas quam ob Dei amorem et animȩ nostrae [reme]dium statuimus atque roboravimus firmiorem obtineat v[igorem], manus nostrae conscriptione subter eam firmavimus et i[mpres]sione bullae nostrae insigniri jussimus.

[21] Signum (Monogramma) Karoli gloriosissimi regis. ☩ Legimus ☩.

[22] Adalgarius notarius ad vicem.................. et s. (Signum recognitionis cum notis inclusis: Domnus rex fieri jussit. A-dal-ga-rius clericus scripsi et subscripsi).

[23] Data............................. Actum monasterio .......


Image de l'acte

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Cliché Archives nationales de France.