844, 1er novembre. — Thionville.
Acte faux
Charles le Chauve donne au monastère de Saint-Pierre de Joncels, situé sur le territoire de Lunas, dans le comté de Béziers, et gouverné par l'abbé Fructueux (Fructuosus) deux églises, l'une dédiée à Notre-Dame, à «Fulcuhanus», et l'autre dédiée à saint Cyr (ou saint Cirice), à Boisset (?). Il met le monastère sous sa protection et accorde aux moines la liberté des élections abbatiales.
A. Original du faux perdu.
B. Copie de l'année 1680, par Dom Estiennot, Bibliothèque nationale, ms. lat. 12772 (Fragmenta historiae Aquitanicae, t. X), p. 16, n° xii, sous le titre: «Praeceptum Caroli regis anno dccclxxii ..... quo Fructuoso abbati et coenobio Juncellensi cedit quasdam ecclesias...», «ex cartulario Juncellensi».
Nous ne connaissons le texte de ce diplôme que par la copie de Dom Estiennot signalée sous la lettre B. Cet érudit l'a tirée du cartulaire de l'abbaye, aujourd'hui perdu, où l'acte était transcrit sous le n° 8 (Bibliothèque nationale, ms. lat. 12761, p. 477) et attribué à Charlemagne. L'abbaye de Joncels possédait aussi dans ses archives un diplôme de Pépin Ier d'Aquitaine publié par Léon Levillain, Recueil des actes de Pépin Ier et de Pépin II, rois d'Aquitaine, p. 127, n° xxx, et mis sous le nom de Pépin le Bref (cf. ibidem, p. 286, n° lxv) et un diplôme du roi Eudes en date du 21 novembre 890 (Recueil des historiens de la France, t. IX, p. 455, n° xvii). Eudes y mentionne les deux préceptes de Pépin et de Charles qui accordaient aux moines la liberté des élections abbatiales et qui lui avaient été présentés pour être confirmés. Cette attestation et la mention du diacre Jonas dans la souscription de chancellerie suffisent à prouver que Charles le Chauve a fait expédier un diplôme en faveur de l'abbaye de Joncels concernant au moins la liberté des élections et mettant très probablement le monastère sous sa protection. L'expédition se place nécessairement entre le 5 avril 844, date à laquelle Jonas commença à souscrire comme diacre, et l'année 850, où le même Jonas fut promu à l'évêché d'Autun. Les données précises que fournit la date, Datum kalendis novembris, anno V... Actum Throdonis villa, sont à première vue tout à fait acceptables. On ne reprochera à personne de reconnaître Thionville sous la forme altérée Throdonis villa. Il suffirait de placer à la fin d'octobre de l'année 844 l'entrevue que Charles le Chauve eut avec ses deux frères Lothaire et Louis au palais de Yütz (Krause, Capitularia, II, p. 112, n° 227) pour ne pas s'étonner de le voir à Thionville, tout à côté de Yütz, le 1er novembre. Pareille coïncidence ne semble guère pouvoir être une invention. Cependant le chiffre 3 ne convient pas à l'indiction de l'année 844. Il faudrait 7 ou 8 selon le style indictionnel employé. On s'étonnera surtout d'une intervention de Charles le Chauve à la date indiquée, en faveur d'une abbaye située dans le ressort des rois d'Aquitaine, après avoir été vaincu par Pépin II au cours des mois précédents. — Quelle que soit la substance réelle du diplôme primitif, celui-ci a été remanié comme en font manifestement foi les formules fantaisistes du protocole et l'addition d'une date d'année destinée à le faire passer pour un diplôme de Charlemagne. — L'insistance avec laquelle le rédacteur emploie le mot libertas doit être mis, semble-t-il, en relation avec l'épisode de la sujétion temporaire de Joncels vis-à-vis de l'abbaye de Psalmodi (cf. le diplôme de Charles le Simple du 5 juin 909, dans Ph. Lauer, Recueil des actes de Charles III le Simple, p. 132, n° lxi.)
In nomine Domini. Ego Carolus, Dei gratia rex, universis catholicis salutem. Si postulationibus servorum Dei justis et rationabilibus benignum assensum praebemus, regiae celsitudinis opera imitamur ac per hoc superna nos muniri gratia non diffidimus. Idcirco notum esse cunctis sanctae Dei Ecclesiae fidelibus volumus, praesentibus scilicet et futuris, quia pro abolendis delictis nostris, beatae et perpetuae vitae praemiis consequendis, complacuit nobis ad monasterium Juncellensis ecclesiae quod in honorem sancti Petri principis apostolorum [est] constructum in comitatu Biterrensi et in terminio Lunatensi, cui tempore praesenti Fructuosus abbas ad Dei servitium praeesse dignoscitur, quasdam ecclesias nostrae proprietatis conferre, id est ecclesiam sanctae Dei genitricis Mariae quae est constructa in loco qui dicitur Fulcuhanus cum fisco regali et cum omnibus appendiciis suis et legaliter sibi pertinentibus, et ecclesiam sancti Ciricii episcopi et martiris quae est sita in loco qui dicitur Bessetus ab integro cum rebus omnibus adjacentibus sibi, ut sint in perpetualiter Dei servis ibidem degentibus et Christi militiam exercentibus in supplementum pro necessitatibus eorum largimur, quas etiam ecclesias taliter damus ad jam dictum locum sancti Petri Juncellis ut nullo umquam tempore abstrahere vel minuere aliquis eis umquam pertentet, sed liceat jam dicto abbati vel successoribus monachisque ibi commanentibus quiete tenere ac perpetuo jure possidere. In regia etiam libertate nostraque tuitione praedictum monasterium et loca sibi pertinentia perpetualiter volumus persistere, eo videlicet modo ut nulli comiti neque cuilibet homini liceat a potestate sive dominatione ipsius monasterii aliquid subtrahere, sed liceat eidem Fructuoso abbati successoribusque ejus ipsas res quieto ordine tenere et absque cujuspiam contradictione aut minoratione integerrime possidere. Fructuoso autem ejusque successoribus de hac vita migratis, per hanc nostram authoritatem et concessionem licentiam habeant ipsi monachi per se eligendi abbates ex se ipsis quandiu pot[u]erint tales inveniri qui ipsam congregationem regere possint secundum regulam sancti Benedicti, quatenus pro nobis et stabilitate totius nostri regni cum congregatione sibi submissa misericordiam nostri Domini exorare non cessent. Et ut haec authoritas nostrae largitionis et libertatis omni tempore ab universis timentibus Deum conservetur, manu nostra firmavimus et de annulo proprio sigillari jussimus.
Signum Caroli gloriosissimi regis.
Jonas diaconus ad vicem Ugonis recognovit.
Datum kalendis novembris, anno V Caroli regis. Actum Throdonis villa, indictione IIIa, anno DCCLXXII Incarnationis Domini.