848, 8 juin. — Vieux-Poitiers.
Acte faux
Charles le Chauve, voulant, avec l'aide de l'abbé Raoul (Radulfus), restaurer le monastère de Saint-Florent, incendié et ruiné par Nominoé, rappelle les libéralités de Charlemagne, de Louis le Pieux, de Nominoé et les siennes propres à l'égard de cet établissement, en particulier la donation qu'il lui a faite de l'abbaye de Saint-Jean en Anjou et de fiscs adjacents; — exempte de la taxe synodale, avec le consentement et même sur l'invitation des évêques de Poitiers et de Nantes, Didon et Actardus, les églises appartenant à Saint-Florent qui se trouvent dans les limites des deux diocèses; — abandonne en compensation aux susdits évêques des portions étendues de leurs cités respectives, sans que les comtes puissent faire valoir aucune exigence, soit en leur nom, soit au nom du roi, sur le patrimoine des églises de Poitiers et de Nantes.
A. Pseudo-original. Parchemin non scellé. Hauteur, 670 mm.; largeur, 490 mm. Archives de Maine-et-Loire, H 1835.
B. Copie du xie s., dans le Livre noir de Saint-Florent, Bibliothèque nationale, ms. lat. nouv. acq. 1930 (anc. Bibliothèque de Cheltenham, n° 70), fol. v, sous la rubrique: «Prȩceptum regis Karoli ubi abbatiam sancti Florentii ab omni publica exactione secundum decretum regum antecessorum suorum omnimodis absolutam esse constituit».
C. Copie du xiiie s., dans le Livre rouge de Saint-Florent, Archives de Maine-et-Loire, H 3715, fol. 20.
D. Copie du xiie s., dans le Livre d'argent de Saint-Florent, Archives de Maine-et-Loire, H 3714, fol. 26v°, sous la même rubrique qu'en B, d'après B.
E. Copie du xviie s., par André Du Chesne, Bibliothèque nationale, Collection Baluze, vol. 41, fol. 105, d'après B, avec référence à C.
F. Copie du xviie s., par Dom Huynes, Histoire de Saint-Florent, fol. 15v°, Archives de Maine-et-Loire, d'après B.
G. Copie du xviie s., par Baluze, Bibliothèque nationale, Collection Baluze, vol. 72, fol. 4v°, d'après B.
H. Copie du xviiie s., par frère Pierre Vincent Jarno, Bibliothèque nationale, Collection de Touraine, vol. 1, fol. 78v°, n° 63A, d'après B.
I. Copie du xviiie s., Bibliothèque nationale, Collection Bréquigny, vol. 46, fol. 65, d'après B.
J. Copie d'environ l'année 1851, par Marchegay, dans une copie du Livre noir, Archives de Maine-et-Loire, H 3712, fol. 6, d'après B.
K. Copie du xve s., dans un cartulaire en papier, Bibliothèque nationale, ms. lat. nouv. acq. 1931 (anc. Bibliothèque de Cheltenham, n° 10470), fol. 5, d'après C.
L. Copie du xviie s., Bibliothèque nationale, ms. lat. 13817, fol. 314v°, d'après C.
M. Copie du xviiie s., par frère Pierre Vincent Jarno, Bibliothèque nationale, Collection de Touraine, vol. 1, n° 63, fol. 77v°, d'après le Cartulaire noir de l'église d'Angers, fol. 22v°.
N. Copie du xviiie s., par Grandet, manuscrit de la bibliothèque du chanoine Urseau, à Angers, p. 49, sous le titre: «Exemplar praecepti Carolis regis de restitutione sancti Florentii», d'après le Cartulaire noir de l'église d'Angers, fol. 22v°.
O. Copie du xviiie s., Bibliothèque nationale, Collection Bréquigny, vol. 46, fol. 67, d'après le Cartulaire noir de l'église d'Angers.
a. Dom Morice, Mémoires pour servir de preuves à l'histoire ecclésiastique et civile de Bretagne, t. I, col. 276, publication partielle, d'après C.
b. Recueil des historiens de la France, t. VIII, p. 501, n° lxxxiv (année 849), «ex chartulario hujus monasterii», probablement d'après C.
c. A. Giry, Étude critique de quelques documents angevins de l'époque carolingienne, dans les Mémoires de l'Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, t. XXXVI, 2e partie, p. 246 (8 juin 849), d'après A.
d. Ch. Urseau, Cartulaire noir de la cathédrale d'Angers, p. 68, n° xxx.
e. M. Saché, Département de Maine-et-Loire. Inventaire sommaire des archives départementales, série H, t. II, p. 3, d'après A.
Fac-similé : phototypique du pseudo-original: A. Giry, mém. cité sous la lettre c, pl. II.
Indiqué : Bréquigny, Table chronologique, t. I, p. 227 (année 849).
Indiqué : R. Merlet, Guerres d'indépendance de la Bretagne, dans la Revue de Bretagne, t. VI (1891), p. 93 et note D (8 juin 849).
Indiqué : F. Lot, Mélanges d'histoire bretonne. VI. Nominoé et le monastère de Saint-Florent-le-Vieil, dans les Annales de Bretagne, t. XXII (1906-1907), p. 247, 254, n. 2, 259.
Indiqué : J.-F. Lemarignier, Étude sur les privilèges d'exemption et de juridiction des abbayes normandes..., p. 98 et suiv.
Sur la foi des cartulaires où la formule de date porte «anno VIIII Karoli gloriosissimi regis», on a le plus souvent daté ce diplôme du 8 juin 849. «Mais le chiffre de l'année, si effacé soit-il sur le prétendu original, ne l'est pas au point qu'on ne puisse y voir, avec M. Saché et le chanoine Urseau, un V de forme onciale, suivi de trois traits verticaux dont le dernier se prolonge au-dessous de la ligne. Le diplôme doit donc être rapporté non au 8 juin 849, mais au 8 juin 848. L'acte est daté de Vetus Pictavis, aujourd'hui Vieux-Poitiers, lieu dit de la commune de Cenon (Vienne, canton Vouneuil-sur-Vienne). On ne peut donc plus tirer aucun argument contre le diplôme de l'impossibilité de la présence du roi en ce lieu le 8 juin 849. Au contraire, sa présence à Vieux-Poitiers le 8 juin 848 se concilie parfaitement avec ce que nous savons de son itinéraire. Car, après s'être fait sacrer à Orléans le 6 juin 848, le roi entra en Aquitaine avec son armée.» Peu importe d'ailleurs que la date concorde ou non avec l'itinéraire, car les anomalies diplomatiques, les anachronismes et les invraisemblances historiques que révèle l'examen de ce diplôme concourent à le faire condamner comme un faux intégral. Pour éviter des redites, on se contentera de renvoyer aux observations présentées par A. Giry dans le mémoire cité sous la lettre c. — On ne saurait dire si le faux mis sous le nom de Charlemagne et publié par Giry, mém. cité, p. 67, et par Mühlbacher, Diplomata Karolinorum, t. I, p. 445, n° 298, existait déjà au moment de la fabrication du diplôme publié ci-dessous ou si la référence aux libéralités du grand empereur provient d'une autre source. En tout cas, le faussaire connaissait le diplôme d'immunité de Louis le Pieux du 30 juin 824 (Böhmer-Mühlbacher, Die Regesten, n° 786 [762]) et sans doute, bien qu'il n'y fasse pas clairement allusion, celui de Pépin II d'Aquitaine du 27 mai 847 (Levillain, Recueil des actes de Pépin Ier et de Pépin II, p. 207, n° LIII), sinon ceux de Pépin Ier et de Charles le Chauve (n° 93bis, textes complémentaires, ci-dessus, t. II, p. 518), aujourd'hui perdus, confirmés par Pépin II dans le diplôme qui vient d'être cité. Il n'est pas douteux non plus qu'il ait eu sous les yeux les Versus de eversione monasterii Glonnensis et les deux diplômes de Charles le Chauve en date du 13 juin 845 (n° 71) et du 13 juillet 848 (n° 109). À l'original du premier il a emprunté les particularités du chrismon et du protocole initial (voir plus haut, p. 554, n. 1), au second, le nom du notaire Aeneas. On sera même tenté de voir dans ce second diplôme le preceptum regium, par lequel Charles le Chauve aurait donné à Saint-Florent «abbatiam sancti Johannis in pago Andegavensi et quosdam fiscos adjacentes». Comment ne pas percevoir dans ces mots un écho dénaturé de la donation à Saint-Florent de «villam id pago Andecavo... quae appellatur Johannis villa cum ecclesia et... Canciaco et Andiliaco»? Le diplôme n° 109 aurait servi de source commune à notre faux et aux Versus: «Dat abbatiam loculi — Sancto Johanni dediti». F. Lot (mém. cité) suppose, il est vrai, qu'il y a eu un diplôme sincère de Charles le Chauve daté précisément de Vieux-Poitiers et qui avait pour objet la donation de Saint-Jean. Cependant, l'indication de Vieux-Poitiers peut provenir de n'importe quel autre diplôme perdu. — Au surplus, tout le début du diplôme n'est qu'une amplification sans rapport direct avec l'objet de la falsification, qui était de justifier la franchise des coutumes épiscopales que revendiquait Saint-Florent au profit des églises de son patrimoine. L'intention du faussaire date à peu près son œuvre: «Quant à l'époque de la fabrication du faux, écrivait Maurice Prou dans la dissertation manuscrite déjà citée, il est vraisemblable qu'elle est la même que celle où il a été écrit sur la feuille de parchemin conservée aux archives de Maine-et-Loire... Le faux serait donc du milieu de l'onzième siècle et plutôt même de la seconde moitié de ce siècle. Et d'ailleurs, à cette date, on pouvait imaginer qu'un roi eût qualité pour se substituer à l'Ordinaire afin de concéder l'exemption d'un droit ecclésiastique. C'est ainsi qu'en 1063 le roi Philippe Ier exemptait le chapitre de l'église de Harlebeke de la juridiction de l'évêque de Noyon et qu'en 1085 il accordait la même exemption à l'église de Cassel. Enfin, nous n'avons pas moins de cinq diplômes du même Philippe Ier où ce roi, tout comme Charles le Chauve dans le diplôme faux de Saint-Florent, invoque à la rescousse de son autorité contre ceux qui contreviendraient à sa volonté l'anathème des évêques qui ont souscrit son diplôme.» — Nous devons signaler ici l'opinion de J.-F. Lemarignier (ouvr. cité, p. 107), qui place la composition du faux entre 1026 et la moitié du xie siècle.
(Chrismon) In nomine sanctae et individuae Trinitatis. Karolus gratia Dei rex. Cum regni nostri quietem quorundam insidiis perturbatam ad nostrum germanum Ludovicum [2] defectionem meditantem componere tractaremus, quorundam etiam sanctorum loca vastata restaurare cuperemus, inter cetera orta est sepe numero [3] deplorata calamitas preclari et dilecti loci sanctissimi confessoris Christi Florentii, assistente nobis ejusdem loci venerabili abbate Radulfo. Nam cum [4] constet eundem locum a piȩ memoriae Karolo, avo nostro, preclaris edificiis et plurimis possessionibus nobilitatum ob innumera miracula jam dicti sancti [5] Florentii, a genitore quoque nostro Ludovico, cognomine et actu pio, monasticum ordinem inibi perfectius recuperatum et preceptis regalibus ab omni [6] publici juris exactione cum suis possessionibus absolutum atque roboratum, a rebelli nostro crudelissimo Nemenoio Brittone, nostri odii causa, incensus est [7] et plurimȩ ejus possessiones invasae. Licet ipse impius percussus ab eodem sancto multas pecunias ad restaurandum tribuerit, nos quoque illum persequentes [8] et nimium pro hac causa dolentes, eidem loco plura contulimus, scilicet abbatiam sancti Johannis in pago Andegavensi et quosdam fiscos adjacentes quȩ [9] precepto regio designavimus atque tradidimus. Ad haec autem Dei instinctu addere cupientes, consentientibus, immo potius hortantibus, venerabilibus episcopis [10] Didone, Pictavensi, cujus presulatui subjacet pagus Medalgicus, in quo supradictus locus situs est simulque Teofalgicus, Actardo quoque, Namnetensis [11] ecclesiae prȩsule, omnes ecclesias quȩ supra fati loci esse videntur per eorum episcopatus cuncta sinodali exactione absolvimus. Et pro eo quod quȩdam [12] cum ipso loco vastate fuerant, hoc nostrae munificentiae compendium tribuimus, data ipsis episcopis vicissitudine quam postulaverant, ampliores [13] scilicet et liberas partes ipsarum civitatum, sicut designatum a nobis est, et ut comites ipsorum pagorum nichil pro comitatu suo vel nostro [14] reditu ex aliqua eorum diocesi, quam jure sibi vindicare videntur, exigere presumant: variae enim seditiones propterea fiebant. [15] Anatematizantibus ergo supradictis et ceteris presentibus episcopis, Amalrico Turonensis archiepiscopo, Bernardo Lemovicensi, Dodone [16] Andegavensi, Aynardo Petragoricensi, Auzberto Engolesinensi, atque hoc ipsum in carta subscribentibus, ne quis hoc decretum [17] per succedentia tempora violare presumat, nos quoque regio testamento atque auctoritate pro animae nostrę commodo et filiorum [18] ac regni a Deo nobis collati propagatione et pace in perpetuum stabilimus, tradimus atque confirmamus. Quod ut solidius atque firmius in Dei [19] nomine semper existat, manu nostra subter firmavimus et anulo nostro sigillari jussimus (Crux).
[20] Signum (Monogramma) Karoli gloriosissimi regis.
[21] Aeneas ad vicem Ludovici recognovit.
[22] Data mense junio, VI idus ejusdem, anno VIII r[egni] Karoli gloriosissimi regis. Actum in loco qui dicitur Vetus Pictavis. In Dei nomine feliciter. AMHN.