840-854, 18 avril.

Acte faux

Charles le Chauve, à la demande de l'évêque Évrouin (Ebroinus), abbé de Saint-Germain-des-Prés, confirme l'immunité accordée au monastère par les empereurs Charlemagne et Louis le Pieux et le privilège pour les serfs de l'établissement d'être reçus à témoigner en justice contre les hommes libres.

Référence : Arthur Giry, Maurice Prou, Georges Tessier et Ferdinand Lot (éd.), Recueil des actes de Charles II le Chauve, roi de France (840-877), Vol. 2, Paris, 1955, no472.

A. Pseudo-original. Parchemin scellé. Hauteur, 528 mm.; largeur, 350 mm. en haut, 370 mm. en bas. Archives nationales, K 10, n° 8.

B. Copie exécutée vers l'année 1536, dans un Recueil de divers titres, Archives nationales, LL 1131, fol. 69, d'après A.

C. Copie incomplète, de la fin du xiie s., dans le Cartulaire ††† de Saint-Germain-des-Prés, Archives nationales, LL 1024, fol. 29, sous la rubrique: «Privilegium Karoli Calvi de libertate ȩcclesiȩ et hominum terrȩ tam capitalium quam aliorum super terram manentium ubicumque sint, tempore Ebroini episcopi et abbatis factum», d'après A.

D. Copie du xiiie s., dans le Cartulaire de l'abbé Guillaume, Archives nationales, LL 1026, fol. vii, sous la même rubrique qu'en C, d'après A.

E. Copie du xiiie s., dans un fragment de cartulaire, à la suite du Cartulaire de l'abbé Guillaume, Archives nationales, LL 1026, 2e partie, fol. 8, sous la même rubrique qu'en C et D, probablement d'après D.

F. Copie du xive s., dans le Petit Cartulaire de Saint-Germain-des-Prés, Archives nationales, LL 1077, fol. iiii, d'après un vidimus de Louis IX, donné à Lyon en avril 1270.

G. Copie de la fin du xiiie s., dans le Petit registre de Saint-Germain-des-Prés, Archives nationales, LL 1029, fol. 9, «XV capitulum», sous la même rubrique qu'en C et D avec la note marginale rubriquée «VIIa aud[ita]», d'après D.

H. Copie du xvie s., dans le Cartulaire de Villeneuve-Saint-Georges et Valenton, Archives nationales, LL 1087, fol. 2, d'après C.

I. Copie du xviie s., par André Du Chesne, Bibliothèque nationale, Collection Baluze, vol. 55, fol. 70, d'après D.

J. Copie du xviie s., Bibliothèque nationale, Collection Baluze, vol. 83, fol. 144, d'après un cartulaire de Saint-Germain-des-Prés.

a. Besly, Évesques de Poictiers, p. 32, «ex tabulario S. Germani Parisiensi[s]».

b. Recueil des historiens de la France, t. VIII, p. 485, n° lxiv, d'après a.

c. R. de Lasteyrie, Cartulaire général de Paris, t. I, p. 54, n° 37, d'après A et a.

d. R. Poupardin, Recueil des chartes de l'abbaye de Saint-Germain-des-Prés, t. I, p. 53, n° xxxiii, d'après A C D a.

Indiqué : Tardif, Cartons des rois, p. 95, n° 140.

René Poupardin (ouvr. cité sous la lettre d) a montré que le pseudo-original de ce diplôme est de la même main que deux autres documents apocryphes conservés aussi dans le chartrier de Saint-Germain, l'un intitulé au nom de Charlemagne, copie interpolée d'un acte sincère (Mühlbacher, Diplomata Karolinorum, t. I, p. 102, n° 71, et Poupardin, ouvr. cité, p. 25, n° xvii), l'autre mis sous le nom de Louis le Pieux (Böhmer-Mühlbacher, Die Regesten, n° 683 [663]; publié par R. Poupardin, ouvr. cité, p. 41, n° xxvii). Dans une dissertation manuscrite préparée en vue de l'édition du présent Recueil, Maurice Prou ajoute: «Il y a plus. Les trois diplômes sont dus au scribe qui a écrit un diplôme du roi Henri Ier de l'année 1058 (Poupardin, ouvr. cité, p. 101, n° lxiii; fac-similé partiel dans Mabillon, De re diplomatica, pl. XXXIX)... On remarquera l'analogie des lettres allongées dans les quatre diplômes, la forme de certains signes d'abréviation, la façon de recourber à gauche l'extrémité de la queue des lettres p, q, r, s, la forme très particulière de l's finale, etc. En outre, la couleur de l'encre est la même dans tous ces documents. Il y a entre ces quatre diplômes plus qu'un lien externe; ils sont apparentés par leurs dispositions. En effet, le diplôme d'Henri Ier a pour objet la concession aux serfs de Saint-Germain du privilège de pouvoir témoigner en justice contre les hommes libres: “homines jam dictȩ ecclesiȩ auctoritate regia in omnibus honestamus quatinus in quibuslibet causis, placitis et querelis contra liberos ut testes legitimi testimonium exaltati amodo et in sempiternum proferant.” Et Henri Ier déclare confirmer une disposition prise par Charlemagne en faveur de ces hommes: “inspecto privilegio Karoli magni.” Or, dans la copie interpolée du diplôme de Charlemagne, au milieu des clauses d'immunité, et maladroitement insérée, figure celle-ci: “aut homines de capite in juditio reprobare ullatenus presumant”, et, avec plus de précision, dans les diplômes de Louis le Pieux et de Charles le Chauve: “et homines de capite contra liberos in omni placito testimonium ferre concedimus”. Puisque les trois premiers documents ont été évidemment forgés dans le dessin d'introduire la clause concernant l'admission des serfs de Saint-Germain-des-Prés à témoigner en justice contre les hommes libres et que c'est aussi l'objet du privilège d'Henri Ier, écrit de la même main que les précédents, “n'est-ce pas là, continue Maurice Prou, de quoi nous mettre en défiance contre ce dernier, d'autant plus que, par le fond, il est isolé dans la série des privilèges royaux?” Pour trouver pareille disposition en faveur des hommes appartenant aux églises, il faut descendre jusqu'au règne de Louis VI. Alors, de 1108 à 1128, nous trouvons une suite de diplômes concédant aux serfs des diverses églises, et tout d'abord de celles de Paris, le droit de témoigner contre les hommes libres. Mais il n'y a aucun diplôme de Louis VI, de cette sorte, pour Saint-Germain-des-Prés. On doit donc envisager cette hypothèse que les moines de cette abbaye n'ayant pu obtenir pareil privilège de Louis VI, et désireux toutefois d'assurer à leurs hommes le même traitement qu'à ceux des autres églises parisiennes, auraient fabriqué, sous le règne de Louis VI, le diplôme d'Henri Ier et, pour l'appuyer, les diplômes de Charlemagne, de Louis le Pieux et de Charles le Chauve. Cette hypothèse nous paraît devoir être rejetée. Sans doute, le diplôme d'Henri Ier a été dressé et écrit d'un bout à l'autre, eschatocole compris, par le moine de Saint-Germain qui a forgé les diplômes carolingiens dont il n'apparaît que comme la confirmation. Mais on sait que sous les premiers Capétiens, et particulièrement sous Henri Ier et Philippe Ier, la plupart des privilèges royaux ont été dressés et écrits par les soins des églises qui les sollicitaient; les destinataires les présentaient au roi qui y faisait apposer par la chancellerie ou plusieurs signes de validation ou simplement le sceau royal, comme ce serait le cas pour notre diplôme. Le sceau du diplôme d'Henri Ier pour Saint-Germain-des-Prés est incontestablement authentique et normalement appliqué sur le parchemin. Si un faussaire l'y avait apposé, il eût réservé à cet effet une place suffisante. Nous voyons, au contraire, que le scribe étranger à la chancellerie, ignorant les dimensions exactes du sceau royal, n'avait pas ménagé pour l'appliquer un espace assez grand, car le bas du sceau recouvre le haut des lettres du mot regis, dans la date, et entièrement les chiffres XX qui viennent à la suite. Il y a là un indice que le sceau a été mis par le chancelier royal sur un parchemin écrit hors de la chancellerie. En outre, si le diplôme d'Henri Ier était faux et qu'il-eût été rédigé postérieurement à ceux de Louis VI, le faussaire n'eût pas manqué d'imiter, sinon de copier, la formule de Louis VI. Nous avons rapporté plus haut la clause essentielle du diplôme d'Henri Ier, or celle des diplômes de Louis VI de même nature en diffère, non seulement par les expressions, mais aussi dans le fond, puisqu'au droit de témoigner elle ajoute, pour les serfs, celui d'être admis au combat judiciaire: “ut servi sancte Parisiensis ecclesie..... adversus omnes homines tam liberos quam servos, in omnibus causis, placitis et negotiis liberam et perfectam habeant testificandi et bellandi licentiam”. Enfin, et cet argument est péremptoire: l'écriture du diplôme d'Henri Ier convient à l'année 1058, ou, si l'on aime mieux, au milieu de l'onzième siècle, et il ne nous paraît pas qu'on puisse la faire descendre jusqu'au premier quart du siècle suivant.»

«En résumé, conclut M. Prou, les privilèges de Charlemagne, de Louis le Pieux et de Charles le Chauve ont été forgés pour être présentés en 1058 au roi Henri Ier, afin d'obtenir de lui un privilège, alors insolite en faveur des hommes de Saint-Germain-des-Prés, et écrits, sinon rédigés, par le même moine qui dressa le diplôme auquel Henri Ier fit apposer le sceau royal».

Le faussaire s'est dispensé de mettre une date à l'acte de Charles le Chauve. Il le présente comme délivré à l'abbé Évrouin qui devint abbé de Saint-Germain-des-Prés «à une date qu'il n'est pas possible de fixer avec précision entre 840 et 845» (Léon Levillain, L'archichapelain Ébroin, évêque de Poitiers, dans Le Moyen Âge, 2e série, t. XXV, 1923, p. 193). D'autre part, Évrouin serait mort le 18 avril 854 (ibidem, p. 214). Nous n'abordons pas ici la question discutée de l'abbatiat de Gauzlenus, soit de 847 à 858, soit de 850 à 855 (ibidem, p. 216-218).

Les passages et mots imprimés en petit texte dans le diplôme ci-dessous lui sont communs avec celui de Louis le Pieux, signalé au début de la note critique.


In nomine Domini et Salvatoris nostri Ihesu Christi. Karolus divina ordinante providentia Francorum rex. Cum petitionibus [2] sacerdotum justis et rationabilibus divini cultus amore favemus, superna nos gratia muniri non dubitamus. Proinde noverit omnium [3] fidelium nostrorum, presentium scilicet et futurorum, sollertia quia Ebroinus venerabilis episcopus rectorque monasterii sancti Germani confessoris, ubi ipse [4] corpore requiescit, siti non procul ab urbe Parisiaca, detulit nobis emunitates avi nostri Karoli [et genitoris nostri] Hludovici piissimi augusti, in quibus invenimus [5] insertum quomodo ipsi et antecessores eorum priores reges Francorum prefato monasterio, propter divinum amorem et reverentiam sancti Germani, ubi plerique illorum, [6] ob nimium amorem, sua sepeliri corpora preoptaverunt, semper sub plenissima defensione et emunitatis tuitione habuissent. Ob firmitatem [7] tamen rei postulavit nobis predictus Ebroinus episcopus et abbas ut eorumdem regum auctoritates, ob amorem Dei et reverentiam ipsius sancti Ger-[8]-mani, nostra confirmaremus auctoritate. Cujus petitioni libenter adquievimus et ita in omnibus concessimus ac per hoc preceptum nostrum confirma-[9]-vimus ut nemo fidelium nostrorum vel quilibet ex juditiaria potestate in aecclesias aut loca vel agros seu reliquas possessiones memorati monaste-[10]-rii, quas moderno tempore tam in Frantia quam in Burgundia seu in Neustria sive etiam in Aquitania vel ubicumque in regnis, Christo propitio, nostris juste [11] et rationabiliter possidet vel quȩ deinceps a catholicis viris eidem collate fuerint ȩcclesiȩ, ad causas [audiendas] aut freda vel tributa exigenda, aut man-[12]-siones vel paratas fatiendas, nec fidejussores tollendos aut homines ejusdem aecclesie, tam ingenuos quam servos, super terram ipsius conmanentes distringen-[13]-dos, nec ullas redibitiones aut illicitas occasiones requirendas, nostris et futuris temporibus ingredi audeat vel ea que supra memorata sunt exigere presumat, [14] sed liceat jam dicto abbati suisque successoribus res predicti monasterii sub emunitatis nostre defensione quieto ordine possidere. Et homines de capite [15] contra liberos in omni placito testimonium ferre concedimus, ut in alimonia pauperum et stipendia monachorum ibidem Deo famulantium profitiat [16] perhennibus temporibus in augmentis, quatinus servos Dei qui ibidem Deo famulantur pro nobis et conjuge ac prole nostra atque stabilitate totius imperii [17] nostri a Deo nobis concessi atque conservandi jugiter [Dominum] exorare delectet. Et hanc auctoritatem, ut firmior in Dei nomine habeatur et a fidelibus sancte Dei [18] Aecclesie et nostris diligentius conservetur, manu propria subter firmavimus et anuli nostri impressione signari jussimus.

[19] Signum Karoli (Monogramma) regis gloriosissimi.

[20] Ebroinus episcopus et archicapellanus relegit et recognovit.

(Sigillum.)