866, 25 juillet.

Acte faux

Charles le Chauve, à la demande d'Onfroy (Hunfridus), évêque [de Thérouanne] et abbé [de Saint-Bertin], décide que deux «cellulae» du diocèse [de Thérouanne], dont l'une, fondée à «Stenetland» par Bertrude et son fils Goibertus, a été donnée par eux à leur petit-fils et fils Gundbertus, actuellement vivant, et l'autre, sise à Lysel, à côté du monastère de Saint-Bertin, est aux mains du même Gundbertus, seront unies dans une même consécration au Saint Sauveur sous l'autorité de Gundbertus, lequel désignera son successeur. Les biens de ces deux prieurés ne devront être affectés à aucun autre usage qu'à l'entretien des serviteurs de Dieu, au culte et aux besoins des pauvres et des hôtes.

Référence : Arthur Giry, Maurice Prou, Georges Tessier et Ferdinand Lot (éd.), Recueil des actes de Charles II le Chauve, roi de France (840-877), Vol. 2, Paris, 1955, no489.

A. Original du faux perdu.

B. Copie du xiie s., dans une transcription des Gesta abbatum Sithiensis coenobii, dits le Cartulaire de Folquin, livre II, n° 89, Bibliothèque de Boulogne, ms. 146 (anc. ms. 721 de la bibliothèque de Saint-Bertin), fol. 57, sous la rubrique: «Privilegium Karoli regis de cella Domini Salvatoris in Stenetland».

C. Copie du xvie s., dans une transcription du même ouvrage par Dom Alard Tassart, Bibliothèque de Saint-Omer, ms. 750, fol. 110, n° 120, d'après une autre source que B.

D. Copie du xviiie s., dans une transcription du même ouvrage, par Dom Dewitte, Bibliothèque de Saint-Omer, ms. 815, p. 331, d'après le manuscrit perdu des Gesta, dit le Vetus Folquinus, p. 134.

E. Copie des années 1775-1776 par Dom Dewitte, dans le Grand cartulaire de Saint-Bertin, Bibliothèque de Saint-Omer, ms. 803, t. I, p. 58bis, n° 42 «ex cartulario Folquini, p. 314 et ms. 721, p. 57», d'après le Vetus Folquinus cité en D.

F. Copie du xviiie s., certifiée par Dom Dewitte «conforme au cartulaire de Folquin..., pages 314, etc.», Bibliothèque nationale, Collection Moreau, t. II, fol. 58, d'après le Vetus Folquinus cité sous la lettre D.

G. Copie du xviiie s., par Dom Grenier, Bibliothèque nationale, Collection de Picardie, col. 29, fol. 63, d'après la même source que F.

H. Copie de l'année 1835, par E. Miller, dans une transcription diplomatique du ms. 146 de la Bibliothèque de Boulogne cité sous la lettre B, Bibliothèque nationale, ms. lat. 9928, fol. 57, d'après B.

I. Copie du xviiie s., Bibliothèque nationale, Collection Moreau, t. II, fol. 60, mise au net de G.

a. Guérard, Cartulaire de l'abbaye de Saint-Bertin, p. 162, n° lxxxix, d'après B.

b. Gysseling et Koch, Diplomata belgica ante annum millesimum centesimum scripta, p. 65, n° 36, d'après B D E.

Indiqué : Haigneré, Chartes de Saint-Bertin, n° 42.

Indiqué : F. Lot, Une année du règne de Charles le Chauve. Année 866, dans Le Moyen Âge, t. XV (1902), p. 405 et n. 4.

Ce diplôme a été transcrit par Folquin dans un appendice au livre II de son ouvrage. Entreprenant l'inventaire du patrimoine affecté au service de l'aumônerie, «ad elemosinae ministerium» (Guérard, ouvr. cité, p. 165, n° lxxxii), Folquin renvoie tout d'abord à la notice biographique du moine Gundbertus, insérée par lui au livre I (Ibidem, p. 79, n° lxi). Près d'un siècle après la mort de Gundbertus, au moment où écrivait Folquin, la reconnaissance des moines lui restait acquise pour les services qu'il avait rendus à la bibliothèque du monastère et les manuscrits dont sa main habile l'avait enrichie. Conduit à Rome dans son enfance, «in primeva juventute», par son père Goibertus, il y avait été reçu dans la cléricature par le pape Eugène II (824-827). À son retour, Goibertus avait voué son fils à la vie monastique dans l'abbaye de Saint-Bertin et avait gratifié cet établissement du monastère qu'il avait fait bâtir à Stenetland sous le vocable du Saint-Sauveur. Le monastère de Stenetland et son patrimoine constituant la pièce maîtresse de la dotation de l'aumônerie, les documents transcrits par Folquin dans son appendice au livre II font tous ou presque tous partie du dossier de Stenetland.

Le diplôme de Charles le Chauve paraît devoir être rangé parmi les documents entièrement supposés. Sans doute n'y a-t-il pas lieu d'attacher trop d'importance aux anomalies du sceau figuré sur la copie B des Gesta et reproduit par a. Mais le copiste de F nous a laissé le dessin du sceau qui figurait sur le manuscrit dit le Vetus Folquinus. La légende et le type sont également inadmissibles. On y lit en effet: «Signum domni Karoli imperatoris», et le souverain y est représenté de trois quarts, assis, barbu et couronné, tenant dans la main droite un long bâton terminé par une fleur de lis. D'autre part, en 866, l'archichancelier n'était pas encore Gauzlenus, mais Louis, qui ne devait mourir que le 9 janvier 867. Quant au notaire Audacher, son nom n'apparaîtra que plusieurs années après au bas des diplômes. Autre anachronisme: Onfroy, évêque de Thérouanne et abbé de Saint-Bertin, avait perdu cette dernière qualité le 19 juin 866 (Guérard, ouvr. cité, p. 112). Enfin, le formulaire n'est pas conforme au style de la chancellerie et l'incorrection de la syntaxe va jusqu'à nuire à l'intelligence du texte, particulièrement à partir des mots: «nisi victum vestitumque ...»

Le faussaire s'est servi d'un des diplômes de Charles le Chauve conservés dans les archives du monastère et d'une charte du 27 mars 857, intitulée au nom de l'abbé Alard (Guérard, ouvr. cité, p. 161, n° lxxxviii). Celui-ci y confirmait la tradition faite par Goibertus et son fils Gundbertus de la «cella Domini Salvatoris in Stenetland» et décidait que Gundbertus gérerait le patrimoine de la cella pour le compte de Saint-Bertin et pourrait choisir son successeur. C'est à cette charte que le rédacteur du diplôme a emprunté l'expression anormale vice Dei annexée aux verbes du dispositif: «Proinde vice Dei decernimus firmamusque...» Sans doute, le faux a-t-il été composé pour fournir une arme contre les abus de pouvoir des abbés enclins à détourner de son affectation Stenetland et son patrimoine. Arthur Giry, dans une note manuscrite, et Ferdinand Lot (mém. cité, sous la rubrique Indiqué) ont précisé davantage. Constatant que l'abbé Hilduin avait enlevé en 867 la cella de Saint-Sauveur à Gundbertus (Guérard, ouvr. cité, p. 164) et que celui-ci s'était disposé à partir pour Rome avec l'évêque Onfroy (ibidem, p. 167), A. Giry conclut: «Il se pourrait que l'acte de Charles le Chauve ait été fabriqué d'après la charte de l'abbé Adalard pour servir de base à leur revendication», et F. Lot: «Il me paraît évident qu'il a été fabriqué en 866-86 par le moine Gombert qui voulait se réserver la celle de Stenetland que le nouvel abbé Hilduin lui enleva».


Texte établi d'après B F et b. Orthographe de F.

In nomine sanctȩ et individuȩ Trinitatis. Karolus gratia Dei rex. Debitores nos esse regia excellentia novimus ut servorum Dei devotis constitutionibus et firmitatem et defensionem adhibeamus idque nobis vitam et futuram beatitudinem profuturum non dubitamus. Noverint igitur omnes fideles sanctȩ Dei Ecclesiȩ et nostri, presentes atque futuri, quia venerabilis vir Hunfridus episcopus et abbas, nostram petiit sublimitatem de cellulis quibusdam in diocesi sua, silicet in loco nuncupato Sancti Salvatoris sive Stenetland quam in honore Domini Dei Salvatoris Jhesu Christi venerabilis matrona Bertruda una cum filio Goiberto in dote sua statuit, Romam pergens ibidemque vitam finiens, et nepoti Gundberto, filio Goiberti, qui adhuc superest, conservandam et ad Dei servitium augmentandam deputari voluerunt, sed et in alio loco in Insula super Agnionam juxta monasterium sancti Bertini quam memoratus Gundbertus per ordinationem et adjutorium prescripti venerabilis episcopi perque aliorum sibi propinquorum et amicorum solatium ad ipsius Domini Salvatoris famulatum aptare contendit pene omnibus necessariis expertem ut ipsa loca sancta cum rebus parvulis appendentibus regio statuto et defensione roboraremus. Proinde vice Dei decernimus firmamusque et per futura tempora etiam divina conjuratione constringimus ut hȩc loca sancta ad honorem Domini Dei Salvatoris nostri Jhesu Christi una gubernatione inseparabiliter hereant et in eis Deo Salvatori famulantes obtata quiete fruantur, nichil contrarietatis vel a prelatis ecclesiȩ vel a seculari potentia sustinentes, resque a prefatis Bertruda, Goiberto, Gundberto, Deo Salvatori dicatȩ vel undecumque augmentatȩ et Dei gratia augmentandȩ nil omnino presentibus futurisque temporibus cuiquam personȩ vel dignitati exsolvant ulla occasione, quamvis valde necessaria judicetur, nisi victum vestitumque ibidem Deo servientium et luminaria cerȩ oleique reliquiis sanctis et necessariis restaurationis ac pro facultate cura pauperum hospitumque et omni studio prefatorum annuam commemorationem in elemosina servis Dei et pauperibus, et cum omni integritate et appendiciis suorum locorum tam in terris quam in mancipiis rebusque inexquisitis sicut nunc possidentur, sine aliqua subtractione vel diminutione memoratus Dei fidelis et noster orator Gundbertus clericusque sancti Petri apostoli ab Eugenio papa tonsus omni tempore vitȩ suȩ his sanctis locis custos cum summa quiete sine cujuslibet malivolentis perturbatione maneant et post eum quem in famulatu Domini Salvatoris a se enutritum probaverit dignum et optimum et deinceps omni tempore perpetualiter sancto conventu hoc conservetur, successoresque nostros rogamus per ipsum Dominum Salvatorem contestamurque ut hoc preceptum nostrum nulla machinatione in aliquo convelli patiantur, sed potius ipsi firmissime roborent. Ut autem hȩc precellentiȩ nostrȩ confirmatio perpetuum in Dei nomine optineat vigorem, anulo nostro subter eam jussimus sigillari.

Data VIII kl. aug., anno XXVII Karoli regis.

Audather notarius ad vicem Gauzlini recognovit et subscripsit.