889, 10 juillet. — Paris.
Eudes, à la requête d'Eudes, abbé de Vézelay, renouvelant le diplôme de l'empereur Charles [le Chauve] et le privilège du pape Jean [VIII], prend sous la protection de son immunité l'abbaye établie sur la Cure, dans le « pagus » d'Avallon, en l'honneur du Sauveur, de la Vierge et des saints Pierre et Paul. Il étend le bénéfice de l'immunité au château construit pour sa défense contre les païens, les contrevenants s'exposant en tout cas à une amende de 600 sous, payable moitié au fisc et moitié à l'église.
A. Original perdu.
B. Copie du xiie siècle dans le cartulaire de l'abbaye de Vézelay (Privilegia monasterii Vizeliacensis), Florence, Bibliothèque Laurentienne, Cod. Laur., Plut. XIV, Cod. XXI, fol. 169 (n° XIII, fol. 19-20 du cartulaire), d'après A.
a. A.-M. Bandini, Catalogus codicum latinorum bibliothecae Mediceae Laurentianae, t. I (Florence, 1774), col. 138 (éd. partielle), d'après B.
b. Favre, Eudes, p. 236-238, n° II, d'après B.
Indiqué : Favre, Eudes, p. 128.
Si l'on en croyait Favre qui a publié ce diplôme, le précepte impérial ici confirmé serait celui du 7 janvier 868, délivré à la demande de Girart [de Roussillon], fondateur de l'abbaye de Vézelay, et garantissant l'intégrité du patrimoine de cet établissement conformément au privilège accordé par le pape Nicolas I en 863. Mais en fait, ce diplôme de Charles le Chauve était destiné moins à fixer le statut de l'abbaye elle-même qu'à donner satisfaction, compte tenu des circonstances politiques, au puissant comte Girart ; celui-ci d'ailleurs, s'était réservé, pour lui et sa femme Berthe, leur vie durant, l'usufruit des domaines par lui affectés au monastère et la garde même de celui-ci. Aucune référence n'est faite par Eudes au privilège de Nicolas I, qui est à la base de celui de Charles le Chauve et qui, de plus, est d'une importance considérable dans l'histoire du droit ecclésiastique. Enfin, argument secondaire, il ne serait pas dans les habitudes de la chancellerie d'Eudes de donner à Charles le Chauve son titre impérial à propos d'un précepte délivré avant son avènement à l'empire.
Le diplôme visé est incontestablement celui du 10 septembre 877, par lequel, à la requête du même abbé Eudes, Charles le Chauve confirmait à l'abbaye le privilège concédé par le pape Jean VIII. Le fait que ce privilège pontifical est également visé par le diplôme d'Eudes, renforce cette opinion.
Il semblerait que cette bulle de Jean VIII soit le privilège pour Vézelay du 19 septembre 878. Pourtant diverses difficultés se présentent, que MM. Tessier et Louis ont exposées et résolues de façon différente.
Charles le Chauve confirme en effet, le 10 septembre 877, un privilège antérieur de Jean VIII, sans y rien ajouter, et, en des termes qui ne laissent aucun doute sur l'antériorité de ce dernier acte : « deprecatus est... quatinus privilegium sedis apostolicę ei suisque monachis super quasdam res sancti Petri quas ex dono apostolico tenent impetraremus... Confirmantes omnia ibi pertinentia, sicut in privilegio domni Johannis patris nostri continetur,... delegamus ut apostolice sedis privilegium... maneat inconvulsum ». Or la bulle connue de Jean VIII est datée de plus d'un an plus tard, le 19 septembre 878. M. Tessier estime « que Charles le Chauve a en effet présenté une supplique au pape, et que celui-ci l'a agréée. Escomptant prématurément que le privilège serait promptement rédigé, l'empereur fit expédier le diplôme comme si l'acte pontifical avait été déjà mis en forme ». S'il s'agissait d'une différence de quelques jours, cette hypothèse serait vraisemblable, mais plus d'un an s'est écoulé entre les deux actes : il faudrait alors admettre que la supplique de l'empereur, malgré l'entente directe entre les deux hommes, malgré la confirmation anticipée faite par un diplôme impérial, n'aurait eu aucun résultat. La bulle pontificale fut en effet expédiée pendant le voyage du pape en France, sans doute pendant le concile de Troyes qu'il présida (août-septembre 878) et après qu'il eut procédé à la consécration des abbayes de Pothières et de Vézelay. Cette bulle n'a donc plus aucun lien avec le diplôme de Charles le Chauve ; elle fut sollicitée directement par l'abbé Eudes, ne se réfère nullement au diplôme impérial antérieur d'un an, mais au contraire à la bulle de Nicolas Ier de 863, et elle consacre la substitution des moines aux moniales à l'abbaye de Vézelay.
Gêné par la difficulté, M. Louis a affirmé que la bulle de Jean VIII, délivrée « XIII kalendas octobris, anno VI... Johannis papae VIII, indictione XI », devait être datée de 877 et non pas de 878. Certes le pontificat de Jean VIII, reconnaît-il, avait commencé le 14 décembre 872 ; « la 6e année de son pontificat n'a donc commencé, à strictement parler, que le 14 décembre 877 » ; mais l'indiction XI s'étant écoulée, dit-il, du 1er septembre 877 au 1er septembre 878, il concluait que la bulle, ayant été obtenue en même temps que le diplôme de Charles, sa date, « sans aucun doute », est du 21 septembre 877.
Il publie pourtant aussitôt après la bulle de Jean VIII pour l'abbaye de Pothières, expédiée en même temps que la bulle pour Vézelay ; sans doute seul un texte falsifié nous en a été conservé, mais la date, donnée en toutes lettres, ne laisse pas de place au doute : « datum tercio decimo kalendas octobris..., anno... pontificatus domini nostri Johannis... sexto..., indictione duodecima ». Ici année du pontificat et indiction XII concordent : il s'agit bien de 878.
Ceci étant établi, il convient encore d'éliminer un point secondaire de l'argumentation de M. Louis. Admettant que le privilège de Jean VIII était du 21 septembre et le diplôme confirmatif de Charles du 10 septembre, il imaginait qu'on pouvait « retarder de deux ou trois semaines la délivrance du diplôme de Charles le Chauve ». Il s'appuyait sur le lieu de datation du diplôme, Rubiana villa, et sur l'identification de cette localité avec Rubiana, entre Turin et Suse, à 4 km à vol d'oiseau de la Doire Ripaire. M. Tessier qui avait fait ce rapprochement, avait noté que cette localité se trouvait à proximité de la route du Mont Cenis que prendra l'empereur deux ou trois semaines plus tard. En fait Rubiana est située en dehors de la route, sur un chemin muletier en cul-de-sac, à 300 mètres au-dessus du torrent, au pied d'une montagne de plus de 2 000 mètres d'altitude : passage ou séjour de l'empereur en ce lieu seraient absolument inconcevables, alors que la grande route traditionnelle passait par les étapes classiques : Avigliana, Saint-Michel de la Cluse, etc.
Le 9 septembre, la chancellerie expédiait un diplôme de la cité de Verceil où l'empereur et le pape s'étaient réunis. Quelques jours plus tard, tous deux étaient à Pavie, puis à Tortona. Le 10 septembre, Charles devait donc se trouver non loin de Verceil. De fait, nous trouvons sur la grande voie qui de Verceil gagne le Montferrat l'importante localité de Stroppiana, ancien chef-lieu de comté, où une route secondaire par Langosco, Lomello (ancienne capitale lombarde, puis chef-lieu de la Lomellina) et S. Nazzaro de' Burgondi, atteignait Pavie. A 12 kilomètres de Verceil, Stroppiana doit avoir été la « Rubiana villa » de 877, d'autant plus que la copie de cet acte qui nous est parvenue présente une mutilation dans la date : le mot Actum manque avant le nom de lieu et il est fort possible que le scribe ait lu par erreur Actum est Rubiana villa au lieu de Actum Estrubiana villa, et abrégé en conséquence la date en Rubiana villa.
En résumé, nous pensons donc que la bulle de Jean VIII confirmée par Charles le Chauve pourrait fort bien n'être pas celle de 878 dont le texte nous a été conservé, mais une autre, aujourd'hui disparue.
Le diplôme d'Eudes ne se réfère à aucun autre acte qu'à ce diplôme de Charles le Chauve et à cette bulle de Jean VIII. On peut pourtant douter que ces actes aient été communiqués à la chancellerie : il est beaucoup plus vraisemblable que celle-ci les a connus par l'intermédiaire d'un autre diplôme, qu'elle ne cite pas : ce diplôme expédié de Compiègne au nom de Louis le Bègue le 15 décembre 877, lequel avait déjà été reproduit par Carloman qui s'y référait expressément dans son diplôme du 21 mars 881. Eudes suit en effet très exactement le diplôme de Louis le Bègue, y ajoutant seulement ce qui concerne le château construit pour la défense contre les Normands. D'ailleurs c'est par là que l'importance de son acte est grande, car il permet de fixer avec précision, donc entre 881 et 889, le moment où l'abbaye, fondée sur les bords de la Cure, s'est repliée devant l'invasion normande sur la colline fortifiée qui reprendra du premier site du monastère le nom de Vézelay.
Le texte du diplôme d'Eudes sera à son tour repris littéralement par Louis IV le 26 juillet 936, bien que celui-ci ne l'ait pas cité plus qu'Eudes ne l'avait fait pour celui de Louis II. Il est seulement curieux de constater que Louis IV prétende se référer à un diplôme de Louis le Pieux et à un privilège de Léon III, ces noms de Louis et de Léon remplaçant ceux de Charles et de Jean des diplômes antérieurs : or de tels actes de Louis le Pieux et de Léon III ne nous sont pas parvenus et on peut fortement douter qu'ils aient jamais existé, d'autant plus que, selon toute vraisemblance, le monastère n'était pas encore fondé à leur époque. Nous pensons donc qu'il y aura eu assimilation abusive de Louis le Bègue avec Louis le Pieux et falsifications prétendues au nom du pape et de l'empereur qui doivent être mises en relation avec le développement des légendes dont s'est arbitrairement ornée par la suite l'abbaye de Vézelay.
In nomine sanctę et individue Trinitatis. Odo clementia Dei rex. Si servorum Dei justis postulationibus aurem nostrę serenitatis accommodamus easque ad effectum pie peticionis opem ferendo perducimus, hoc nobis profuturum fore ad eternę remunerationis premium facilius optinendum et ad presentem vitam liberius transigendam nullo modo dubitamus. Quocirca noverit omnium sanctę Dei Ecclesię fidelium nostrorumque, tam presentium quamque futurorum, industria quoniam Eudo, venerabilis abbas Virzelliacensis monasterii, adiens celsitudinem nostram, deprecatus est ut idem cenobium cum omnibus appenditiis suis sub immunitatis nostrę tuicione et regali defensione acciperemus, eo videlicet modo ut ea quę in precepto predecessoris nostri dive recordationis Karoli, imperatoris augusti, et in privilegio domni ac patris nostri quondam Johannis, universalis papę, continentur, inviolata et inconvulsa permaneant ; castellum quoque, quod propter persecutionem paganorum inibi constructum est, sub eodem immunitatis tenore reciperemus et semper manere juberemus absque alicujus inquietudinis contradictione ; quod cenobium situm est in pago Avalensi, super fluvium dictum Coram, et est constructum in honore Dei et Salvatoris nostri Jhesu Xpisti, ejusdem genitricis semper virginis Marie beatorumque apostolorum Petri et Pauli principum. Cujus pie peticioni diligenter annuimus et libenter assensum prebemus ac prefatum cenobium, suprafatum quoque castellum cum omni integritate sua, seu ea que a fidelibus, divina gratia ordinante, olim ibi fuerint oblata, sub nostra immunitate seu tuicione recipiendam decrevimus. Precipientes ergo jubemus ut nullus comes seu vicecomes aut aliquis ex secularibus judicibus vel ex missis nostris discurrentibus in prefato cenobio vel pretitulato castello cum omnibus villis ad ipsum locum pertinentibus potestative mansiones accipiat aut paratas seu freda aut cespitaticum aut pontaticum aut rotaticum vel inferendas ab eo exigere presumat, set liceat servis Dei in eodem sepedicto cenobio degentibus secure ac quiete vivere et pro nobis regnique nostri statu necnon pro patre ac genitrice nostra seu pro dilecta conjuge nostra, absque alicujus inquietantis molestia, Domini misericordiam exorare. Sin autem, quod minime futurum credimus, aliquis hominum, qualibet seculari preditus potestate, contra hoc nostrę altitudinis et immunitatis preceptum venire aut illud temerare seu in aliquo violare presumpserit, sexcentorum solidorum multa coactus exsolvat, medietatem scilicet fisco nostro, alteram vero ęcclesię cui litem intulerit. Et ut hoc nostrę celsitudinis inviolabile pactum firmum et stabile futuris maneat temporibus, precamur successores nostros ut, sicut sua que legitime statuerint, firma a subsequentibus tenere et esse voluerint ita et hec que a nobis modo corroborantur, firma et inconvulsa perpetualiter custodire studeant. Ut autem hoc nostrę auctoritatis preceptum, in Dei nomine, pleniorem firmitatis obtineat vigorem, manu nostra illud firmavimus et anuli nostri inpressione subter sigillari jussimus.
Signum Odonis glo-(Monogramma)-riosissimi regis.
[Th]roannus notarius ad vicem Eblonis recognovit.
Datum VI. id. julii, indictione VI., anno Incarnationis dominicae DCCC LXXXVIII., anno II° regnante domno Odone gloriosissimo rege. Actum Parisius civitate. In Dei nomine, feliciter. Amen.