890, 30 janvier. — Ernée [?] (In villa Lernegia).

Eudes, renouvelant à la demande de l'abbé de Sainte-Marie [de Lagrasse], Suniefredus, un précepte de Charles le Chauve, son « seigneur », prend cette abbaye sous la protection royale, en place les biens présents et futurs sous la seule juridiction de l'abbé à l'exclusion de toute autorité épiscopale ou comtale et lui confirme la liberté de l'élection abbatiale, le privilège de l'immunité et l'exemption de tonlieux et autres redevances.

Référence : Georges Tessier et Robert-Henri Bautier (éd.), Recueil des actes d'Eudes roi de France (888-898), Paris, 1967, no18.

A. Original. Parchemin jadis scellé. Hauteur : 468 mm ; largeur ; 546 mm. Bibliothèque nationale, ms. lat. 8837, fol. 71, pièce n° 19 (anc. 21).

B. Copie collationnée par Gratian Capot, le 23 novembre 1668, Bibliothèque nationale, Collection Doat, vol. 66, fol. 96, d'après A.

C. Copie par Dom Jean Trichaud, Bibliothèque nationale, ms. lat. 12857 (Chronicon seu historia regalis abbatiae beatae Mariae de Crassa, 1677), fol. 532, d'après A.

a. Histoire générale de Languedoc, t. II, preuves, col. 25, n° X ; nouv. éd. t. V, col. 81, n° XI d'après A.

b. Recueil des historiens de la France, t. IX, p. 451, n° XIII, d'après A.

Fac-similé : Lot et Lauer, Diplomata Karolinorum, fasc. VI, pl. V (Eudes, n° 2).

Indiqué : Bréquigny, Table chronologique, t. I, p. 344.

Indiqué : Böhmer, Regesta n° 1883.

Indiqué : Mahul, Cartulaires et archives des communes de l'ancien diocèse et de l'arrondissement administratif de Carcassonne, t. II, p. 217.

Indiqué : Favre, Eudes, p. 78, n. 1, p. 131 et n. 1.

Cet acte appartient au groupe des actes écrits et reconnus par le notaire-chancelier Throannus de sa propre main : l'écriture en est facilement identifiable ; le chrismon, la souscription de chancellerie, le dessin du monogramme sont aisément reconnaissables.

Bien que ce diplôme prétende renouveler (renovari) un précepte antérieur de Charles le Chauve — celui du 28 juin 870 — il en est bien différent, comme le révèle dans notre édition la simple apparence des petits caractères d'impression qui signalent les emprunts textuels. Tandis qu'en 870 étaient énumérés tous les biens et dépendances de l'abbaye. Eudes se contente d'une confirmation d'ordre général ; mais surtout, à la protection royale, à l'immunité et à l'exemption de tonlieux qui figuraient déjà dans d'autres diplômes antérieurs, il ajoute — outre la désormais classique liberté de l'élection abbatiale — le privilège exorbitant de l'exemption de toute autorité autre que celle du roi et nommément de celles de l'évêque et du comte (nec in ullius redigerentur aut episcopi sive comitis) et y insiste (liberti ab omni dicione, omnimodis liberi).

On notera aussi que Charles avait demandé aux moines de prier pro nobis et regno nostro, mais qu'Eudes, développant sans doute la formule en raison des circonstances, demande des prières de jour et de nuit pour lui, pour la stabilité du royaume et pour la paix de l'Église.

Il convient encore de signaler que ce diplôme donne à Charles le titre d'empereur, bien qu'à la date de délivrance de son précepte, en 870, il ne l'ait point encore été, ce qui n'est pas dans les usages de la chancellerie ; en revanche Eudes le désigne, selon la formule habituelle, comme domnus et senior noster.

Soulignons enfin la très proche parenté de ce diplôme avec celui délivré à l'abbaye voisine de Saint-Martin du Mont-Redon, dont la date est aujourd'hui mutilée, mais qui écrit de la même main, celle du notaire Throannus, pourrait fort bien avoir été expédié en même temps que celui-ci (cf. infra, n° 32).

L'acte est passé in villa Lernegia. Diverses conjectures ont été faites sur l'identification de cette localité. Kalckstein (Geschichte des französischen Konigsthums, p. 66, n. 1) « date à tort ce diplôme de 891 et place à tort Lernegia près de Senlis », comme le dit Favre (op. cit., p. 131, n. 1). Lauer (Diplomata Karolinorum, VI, notice de la pl. V) identifie Lernegia avec Larnay (Vienne) ; il s'agit, d'après le Dictionnaire topographique du département de la Vienne, de L. Rédet (p. 223), d'un ancien fief dépendant de la tour Maubergeon de Poitiers, en l'actuelle commune de Biard, limitrophe de celle de Poitiers. Mais les anciens documents du xiiie siècle le mentionnent sous la forme Nernay ou Narnay, Larnay n'étant attesté qu'à la fin du xvie siècle. Philologiquement et historiquement cette identification est peu défendable. Favre de son côté (p. 131) place Lernegia à Lerné, « au sud-ouest de Tours » ou plus précisément entre Chinon et Loudun, et il imagine qu'Eudes, qui, selon lui, se trouvait à Orléans le 10 janvier et à Tours le 22 mars, aurait pu faire entre ces deux dates une démonstration contre Poitiers ; mais, dit-il, « malheureusement on ne peut faire que des conjectures sur le but de son séjour dans ces parages ». Nous devons exprimer des doutes sur cette identification et sur les conséquences qui en ont été tirées ; d'ailleurs les formes en , fréquentes dans cette région, proviennent normalement du suffixe -acum et non de -egia.

Nous suggérons pour notre part d'identifier Lernegia avec Ernée, chef-lieu de canton de la Mayenne, localité sise sur « l'Ernée » qui devait marquer la frontière historique de la Bretagne, et qui apparaît dès 922 sous la forme Erneia. Le déplacement d'Eudes vers cette région s'explique très aisément. On sait en effet qu'en juillet 889 d'après Favre, ou mieux circa autumni tempora — si l'on en croit les Annales Vedastini — les Normands, dont le roi avait acheté le départ, quittèrent la région parisienne et gagnèrent la Bretagne, les uns par mer, les autres par voie de terre ; ils allèrent mettre le siège devant Saint-Lô, dont ils s'emparèrent et dont ils tuèrent les habitants au début de 890 (Annales Vedastini, années 889 et 890). Puis ils firent campagne en Bretagne où ils rencontrèrent une forte résistance (Brittani viriliter suum defensavere regnum). Battus, les Normands reprirent la direction de la Seine. On comprend aisément qu'Eudes, apprenant la chute de Saint-Lô et ignorant les intentions des Normands comme celles des Bretons, se soit avancé de Chartres où il était le 30 décembre jusqu'à l'Ernée, à la frontière même de son royaume, couvrant ainsi les routes vers Angers, Le Mans et Tours. Si l'on adopte cette interprétation, une bonne partie des hypothèses de Favre, échafaudées sur l'itinéraire supposé du roi, s'effondrent.


(Chrismon) In nomine Domini Dei eterni et Salvatoris nostri Jhesu Xpisti. Odo clementia Dei rex. Si necessitatibus servorum Dei opem ferendo libenter consulimus, regie dignitatis morem imitamur [2] et ob id nobis Deum fore propitium non dubitamus. Quamobrem notum sit omnibus sanctae Dei Ecclesiae fidelibus et nostris, presentibus scilicet atque futuris, quia Suniefredus, abbas venerabilis Sanctae Mariae, adiit nostram clemenciam, deprecans [3] excellentiam nostram renovari sibi preceptum quod olim ipse abbas nomine Suniefredus a dive memoriae imperatore Karolo impetravit, scilicet ut omnes res quae im prefata abbatia continebantur, tam ipsas que tunc ibi, Domino [4] largiente, conlate erant quam etiam illas quae postea a religiosis hominibus vel etiam commutate vel concamiate vel quocumque modo aucte fuerunt, jure proprii abbatis continerentur nec in ullius potestate redigerentur aut episcopi [5] sive comitis, sed semper mundeburdo imperiali sive regali, liberi ab omni extranea dicione, omnimodis liberi, fulcirentur, necnon etiam auctoritatem in electione proprii abbatis a regali potestate illis concederetur. [6] Quapropter, annuentes ejus juste petitioni, concedimus atque precepto nostrae auctoritatis confirmare jubemus ut quicquid in predicto precepto domni videlicet et senioris nostri Karoli continere videtur tam [7] in electione proprii abbatis quam etiam in rebus ipsius abbatiae quae tunc ibi conlate erant vel postea aucte sunt sive futuris temporibus adicientur, totum absque ullius violentia perenniter possideant, solo [8] mundeburdo regio contenti. Jubemus autem atque precipimus ut, omni judiciaria potestate sublata, nullus in rebus eorum pote[statem h]abeat fidejussores tollere aut aliquem distringere aut paratam [9] sive mansionaticum accipere neque teloneum ab eorum hominibus neque etiam pontaticum aut rotaticum vel cespitaticum vel pulveraticum sive pascuaticum aut salaticum aut aliquid redibitionis ab illis ullomodo [10] exigatur, secundum quod im precepto jam prefato domni et piissimi imperatoris Karoli continetur insertum, quatinus pro nobis et regni nostri stabilitate sive pace sanctae Dei ecclesiae attentius et liberius [11] divinam clementiam, die et nocte invigilantes, omnimodis exorare studeant. Et ut hoc per omnia tempora inviolabiliter conservetur veriusque credatur, manu propria [12] subter firmavimus atque anuli nostri impressione insigniri jussimus.

[13] Signum Odonis (Monogramma) gloriosissimi regis.

[14] Throannus notarius ad vicem Eblonis recognovit et subscripsit (Signum recognitionis et locus sigilli).

[15] Datum III. kl. febr., indictione VIII, anno tertio regnante domno Odone gloriosissimo rege. Actum in villa Lernegia. In Dei nomine, feliciter. Amen.