891, 16 juin. — Verberie (Palais).

Eudes, à la prière du comte Robert exprimée en présence d'une foule de grands du royaume et du consentement du comte et abbé Richard, concède aux moines de l'abbaye de Sainte-Colombe et Saint-Loup, sise au faubourg de Sens, un terrain étroitement délimité à l'intérieur de l'enceinte urbaine pour y élever une église et d'autres bâtiments, et en outre un clos de vigne de douze « anzinge » hors de la cité ; il leur permet également d'avoir, toujours ouverte à leur disposition, une poterne dans la portion de l'enceinte attenant au terrain concédé.

Référence : Georges Tessier et Robert-Henri Bautier (éd.), Recueil des actes d'Eudes roi de France (888-898), Paris, 1967, no25.

A. Original perdu.

B. Copie de la fin du xviie siècle par Dom V. Cottron, dans son Chronicon rerum magis notabilium coenobii Sanctae Columbae Senonensis, Bibliothèque municipale d'Auxerre, ms. 217 (ancien 184), p. 147, « ex transumpto debite collato ad originale anno 1382, die 10 maii, signatum Dostun ».

C. Copie du xviiie siècle, Bibliothèque nationale, Collection de Champagne, vol. 43, fol. 41, sans doute d'après la même source que B (ou d'après B).

D. Copie de la fin du xviie siècle, par Dom Cl. Estiennot, Fragmentorum historiae, t. XVII, Bibliothèque nationale, nouv. acq. lat. 2057 (anc. Bibliothèque de l'Arsenal, ms. 1009), p. 323, « ex cartulario Sanctae Columbae Senonensis ».

a. Recueil des historiens de la France, t. IX, p. 457, n° XIX, d'après D.

b. Quantin, Cartulaire général de l'Yonne, t. I, p. 128, n° LXV, d'après B et a.

Indiqué : Böhmer, Regesta, n° 1887.

Indiqué : Favre, Eudes, p. 136, n. 3 ; p. 159, n. 4 ; p. 206.

Indiqué : Abbé H. Bouvier, Histoire de l'église et de l'ancien archidiocèse de Sens, t. I, 1906, p. 298-299.

Indiqué : G. Chastel, Sainte-Colombe de Sens, 1939, p. 151-152.

Le cadre dans lequel s'insère ce diplôme est parfaitement conforme aux usages de la chancellerie du roi Eudes et il ne faut point douter de l'existence d'un diplôme authentique de ce roi, sans doute délivré le 16 juin 891 en faveur de l'église de Sainte-Colombe de Sens. Le seul point délicat est celui de l'année du règne, puisque les copies qui nous en ont conservé le texte portent par erreur anno LII regnante domno Odone : il faut évidemment corriger, avec les éditeurs, anno IIII, ce qui répond à l'indiction VIIII. La lecture III pour LII serait certes plus conforme aux habitudes du notaire Throannus qui plaçait volontiers un I long parmi les chiffres des nombres romains (cf. Introduction, p. xliv). Pourtant ceci ne se peut pas ici, puisque le 22 juin 890, le roi délivrait un diplôme à Meung-sur-Loire (n° 22) et deux autres à Orléans les 25 et 26 juin (nos 23 et 24) ; la correction que nous proposons (iIii) s'impose donc. Remarquons aussi l'absence de l'année de l'Incarnation, carence exceptionnelle chez le notaire Troannus, mais qui dès l'année suivante deviendra de règle chez son successeur.

Sur l'objet même de ce diplôme — sur lequel personne jusqu'ici n'a pourtant élevé le moindre soupçon — nous devons exprimer des doutes formels : à nos yeux le texte en est ou très fortement interpolé ou même complètement inventé à une date tardive. Une multitude d'indices jettent en effet la suspicion sur la concession faite par le roi et fait éclater l'invraisemblance des termes dans lesquelles elle est octroyée.

Il n'est certes pas impossible que le roi Eudes ait concédé un terrain à l'abbaye de Sainte-Colombe : en effet dans l'hiver de 886-887, les Normands, expulsés de la région parisienne, avaient ravagé les environs de Sens et il est fort vraisemblable que les moines d'une abbaye située à 2 kilomètres à l'extérieur des remparts aient profité d'une occasion pour solliciter du roi l'octroi d'un terrain qui leur permettrait de se retirer à l'intérieur de l'enceinte à la moindre alerte. De fait, on sait que, à une date inconnue, Sainte-Colombe fit construire à cet emplacement une église dédiée à saint Benoît, laquelle subsista jusqu'au xviiie siècle. Il est également fort possible que le roi ait ajouté à cette donation un clos de vigne : le fait qu'il ait porté jusqu'à nos jours le nom de « Clos du roi » peut être considéré comme un témoignage valable, et plus encore peut-être la nature de la mesure de superficie utilisée, l'anzinga, terme rare et dont le sens n'eut sans doute plus guère été compris ultérieurement.

En revanche, il est rare qu'un diplôme royal carolingien fixe avec autant de précision les tenants et aboutissants d'un terrain, en indiquant ses dimensions en perches et en pieds, en long, en large et en travers. Qui plus est, les confronts indiqués portent déjà les noms qu'ils auront aux siècles postérieurs : le Cloître (a Claustro canonicorum, sans qu'on précise à quelle église appartenaient ces chanoines), la Porte Saint-Didier.

Mais surtout nous ne pouvons admettre l'authenticité d'une décision du roi donnant à une abbaye une poterne de l'enceinte, poterne qui serait toujours ouverte, qui fournirait aux moines un chemin plus secret pour aller au monastère, par laquelle ils auraient liberté complète d'introduire et de sortir leurs marchandises, la potestas de cette poterne demeurant en tout temps soustraite à toute autre autorité et en dehors de tout contrôle d'un quelconque judex et de toute inquietudo popularis. Toute cette page sonne faux et son style est bien embarrassé. En pleine période d'insécurité due aux bandes normandes, le fait de confier une poterne, sans contrôle du comte, à des moines et de les autoriser à la maintenir toujours ouverte (statuimus... posternam... semper habere apertam) est difficilement concevable. Et plus encore le maintien de ce privilège en dehors de l'inquietudo popularis, anticipant ainsi de près de trois siècles sur le développement du pouvoir communal !

Il est une époque où ces clauses auraient puissamment servi les intérêts de l'abbaye, celle du milieu du xive siècle. En 1358, le Dauphin s'est enfui de Paris jusqu'à Sens et il décide de redonner toute sa valeur défensive à l'antique enceinte de l'époque romaine : il fait creuser un double fossé en avant des murs et pour cela on doit raser une série de bâtiments établis contre les remparts, notamment la vénérable église de Saint-Pierre-le-Vif, l'église de Saint-Remi, l'hôpital, le couvent des Franciscains, etc. Bientôt les ecclésiastiques sont tenus de contribuer lourdement aux dépenses des travaux. Successivement les divers établissements religieux des faubourgs reçoivent des terrains en ville pour s'y replier : les moines de Saint-Pierre-le-Vif s'établissent à Saint-Pierre-le-Donjon ; les Dominicains font de même en 1360 et les Franciscains en 1362. En 1365, les routiers dévastent les environs de Sens ; en 1368-1370, une nouvelle campagne de travaux aux fortifications est entreprise et les gens de la banlieue sont requis pour les prestations de main d'œuvre. En 1379, une avance de bandes anglaises sème la panique. Des mesures sont prises pour la garde de la ville et des portes ; des taxes sur les entrées et les sorties de marchandises fournissent, au moins en partie, les sommes nécessaires à l'entretien des fossés et des remparts, sans parler des contributions directes sur le clergé, que Charles VI établit en 1385. Renouvelant sans doute des prescriptions antérieures, on fait boucher en 1410 toutes les « huisseries » pratiquées dans les murailles, y compris celles des chanoines de Sens.

Or c'est précisément par un vidimus de 1382 que nous est parvenu le texte du diplôme d'Eudes. Le contexte historique donne à chacune des clauses de ce prétendu diplôme carolingien un relief si singulier que la coïncidence ne saurait être fortuite.

Notons encore que si, dès la fin du Moyen Âge, le terrain adjacent à la poterne Saint-Benoît appartenait à Sainte-Colombe, il n'est pas absolument certain qu'il en ait été de même antérieurement, puisque G. Julliot rapporte le testament par lequel en 1163 Simon de Milly, cellerier, laissait au chapitre de Sens « cameram unam, cum terra adjacente, ad posternam prope S. Benedictum ».

Il est surtout d'autres éléments qui ôtent beaucoup de vraisemblance au diplôme d'Eudes tel qu'il nous est parvenu. La requête est en effet exprimée en ces termes : « adiens genua serenitatis nostrae... Robertus venerabilis comes, consentiente reverendissimo comite et abbate Richardo, humiliter petiit ». La formule genua adiens, qui certes a fait son apparition à la chancellerie de Carloman, est particulièrement rare. De plus quel est ce personnage du nom de Robert qui se traîne aux genoux du roi en présence des grands, « coram frequentia procerum primatumque nostrorum », et qui intervient en cette affaire sénonaise du consentement du comte Richard ? Évidemment, à cette date et en ce lieu, ce ne peut être personne d'autre que le propre frère du roi, le tout puissant marquis Robert, et il suffit, pour qu'on soit édifié sur l'authenticité de la formule, de la comparer à celle des divers autres diplômes royaux où il intervint. Quant à Richard, c'est Richard le Justicier, celui en qui on s'accorde à voir le fondateur du duché de Bourgogne ; mais à cette époque où bien peu d'événements sont connus avec certitude, une chose est sûre : c'est le 8 juin 895 que « Richardus princeps Burgundiae recepit Sennis contra Walterium archiepiscopum et Guarnerium comitem », aux termes mêmes des Annales Sanctae Columbae Senonensis. Ce fait et cette date nous sont confirmés par la bulle d'excommunication lancée par le pape Formose contre Richard et ses complices, coupables d'avoir aveuglé l'évêque de Langres et d'avoir jeté en prison l'archevêque de Sens. Flodoard et le speudo-Clarius de Sens parlent aussi du siège de Sens et de l'emprisonnement de l'archevêque qui se prolongea pendant neuf mois. Ces faits sont donc bien établis.

Or si Richard s'empare de Sens par la violence en 895, à quel titre le voyons-nous intervenir dans cette ville en 891 ? Le texte lui donne bien le titre d'abbé de Sainte-Colombe ; mais il est précisément isolé et les annales de Sainte-Colombe elles-mêmes sont muettes sur ce point. Et s'il était abbé, pourquoi n'aurait-il pas sollicité lui-même la mesure en question auprès du roi, au lieu d'approuver la démarche du comte Robert ? Aucune allusion n'est d'ailleurs faite au comte de Sens, premier intéressé à la défense militaire de la ville, un certain Garnier, comte de Sens et de Troyes, que nous connaissons par d'autres textes, non plus qu'à l'archevêque Gautier, et le fait est d'autant plus étrange que celui-ci était particulièrement bien en cour, puisqu'il avait couronné Eudes et que l'année même du diplôme en question, en 891, il présidait le concile réuni par le roi à Meung-sur-Loire sur l'ordre du roi.

Nous pensons donc que tout ceci a été rédigé longtemps après cette époque, à un moment où on voulait placer les mesures sous l'autorité d'un Richard, fondateur du duché, connu de tous et qui, ayant été enterré à Sainte-Colombe, pouvait passer pour bienfaiteur de l'abbaye. Or les annales mêmes de Sainte-Colombe unissaient les noms des comtes Richard et Robert (ce dernier non autrement qualifié) dans le récit d'une victoire remportée en commun sur les Normands sous les murs de Chartres au début du xe siècle, épisode rapporté d'ailleurs par l'Historia Francorum Senonensis et par le Continuateur d'Aimoin : ce rapprochement dans les annales de ces deux noms — qui sont aussi les deux seuls noms de comtes cités dans le texte — ne pourrait-il pas suffire à expliquer le préambule du prétendu diplôme d'Eudes ?

En résumé, nous estimons que, dans le cadre d'un diplôme authentique du roi Eudes, a été forgé de toutes pièces par les moines de Sainte-Colombe un texte portant des concessions exorbitantes et dont l'esprit même ne saurait être antérieur au temps de la guerre de Cent ans.


In nomine Domini Dei aeterni et Salvatoris nostri Jesu Christi. Odo clementia Dei rex. Si utilitatibus locorum divinis cultibus mancipatorum servorumque Dei necessitatibus in eisdem degentium opem nostrae celsitudinis impendimus, regium procul dubio [exercemus morem] ac per hoc ad aeternam beatitudinem capessendam omnino venturos nos minime dubitamus. Qua de re esse notum volumus omnium sanctae Dei Ecclesiae nostrorumque fidelium, praesentium scilicet ac futurorum, industriae quod adiens genua serenitatis nostrae coram frequentia procerum primatumque nostrorum Robertus venerabilis comes, consentiente reverendissimo comite et abbate Richardo, humiliter petiit ut quibusdam postulatibus monachorum monasterii Sanctae Columbae virginis et Sancti Lupi confessoris, quod est constructum in suburbio Senonensi, assensum praeberemus. Itaque, ut normam sui propositi liberius observarent et pro statu regni nostri ac nostris relaxandis piaculis divinam valeant clementiam exorare, omni tempore habendam eis concessimus aream intra muros civitatis constitutam ad ecclesiam et aedificia illis necessaria aedificanda, quae habet de uno latere a claustro canonicorum usque ad portam Sancti Desiderii per murum particas triginta quinque et dextrum, de alio latere particas triginta unam, de una fronte quae est ad portam Sancti Desiderii particas decem et octo et dimidiam, ex alia fronte particas quindecim, per medium in transverso particas duodecim et dimidiam ; et foris civitatem de terra quae fuit vinea indominicata ad eandem pertinente anzingas duodecim. Statuimus etiam, in Dei amore et sanctorum ejus veneratione atque monachorum congrua utilitate et imminenti necessitate, posternam ad praefatam aream pertinentem semper habere apertam, quae iter secretius eis ad monasterium praebeat et totius substantiae intus mittendi aut foras expellendi aditum absque cujuslibet contradictione tribuat. Et quia sanctorum patrum decreta et antecessorum nostrorum statuta monachorum vitam in omni quiete degere censuerunt, constituimus atque ita in perpetuum manere censemus ut neque abbas neque episcopus nec comes neque ulla judiciaria aut cujuscumque dignitatis vel potestatis persona ullo unquam tempore aliquod impedimentum in supradicta area commanendi aut commorandi vel cujuscumque rei negotium peragendi facere praesumat, manente sub eadem auctoritate jamdicta posterna, ut nullus ab eis praescriptam valeat de ea auferre potestatem. Itemque decernimus ut nullus judex eis contradicere possit de omni substantia quidquid eis visum fuerit necessarium et sint remoti ab omni inquietudine populari, ut valeant pacifice Domino famulari. Ut autem hoc praeceptum nostrae auctoritatis inviolabile sempiternum in Omnipotentis nomine optineat vigorem et diuturnis valeat durare temporibus, manu propria subter firmavimus atque annuli nostri impressione insigniri jussimus.

Signum Odonis gloriosissimi regis.

Troannius notarius ad vicem Ebbonis recognovit.

Data sexto decimo kalendas julii, indictione nona, anno IIII regnante domino Odone gloriosissimo rege. Actum apud Vermeriam palatium. In Dei nomine, feliciter. Amen.


Localisation de l'acte

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