892, 30 septembre. — Cosne-sur-Loire.

Eudes, à la requête de l'abbé de Montiéramey (monasterium ex Manso Corboni qui Nova Cella dicitur) Erchengerius et sur production des diplômes de ses prédécesseurs et de privilèges pontificaux, confirme les droits de cette abbaye sur le « monasteriolum » ou « cella » de Saint-Sauveur, dit Alfa, jadis obtenue de Charles [le Chauve] par l'abbé Sadrevertus ; il met ainsi fin aux prétentions du moine Aginus qui la revendiquait et avait refusé d'accepter la sentence prononcée au plaid royal de Verberie par les archevêques Fouque (Fulco) [de Reims], Gautier (Vualterius) [de Sens] et Gui (Vuido) [de Rouen] et par les évêques Dion (Dido) [de Laon], Honoré (Honoratus) [de Beauvais] et Ricou (Riculfus) [de Soissons].

Référence : Georges Tessier et Robert-Henri Bautier (éd.), Recueil des actes d'Eudes roi de France (888-898), Paris, 1967, no30.

A. Original. Parchemin jadis scellé. Hauteur, 604 mm ; largeur, 508 mm. Archives départementales de l'Aube, 6 H 2.

B. Copie du xviie siècle, avec monogramme figuré, Bibliothèque nationale, Collection Du Chesne, vol. XXI, fol. 237, d'après A.

C. Copie du xviie siècle, avec monogramme figuré, Bibliothèque nationale, Collection Baluze, vol. 4, fol. 130, d'après A et a.

D. Extrait du xviie siècle par Du Chesne, Bibliothèque nationale, Collection Baluze, vol. 39, fol. 238, « ex cartulario Aremarensis Monasterii ».

E. Copie du xviie siècle par Du Chesne, Bibliothèque nationale, Collection de Champagne, vol. 22, fol. 91 v°, « tiré sur le manuscrit dans le 4e recueil de M. de P. », celui-ci étant lui-même « ex scheda Nicolai Camusati, canonici Trecensis... ex cartulario monasterii Adremari ».

a. Gallia christiana, t. XII, instr., col. 250-251, n° VI, d'après A.

b. Recueil des historiens de la France, t. IX, p. 459-460, n° XXI, d'après a.

c. H. d'Arbois de Jubainville, Deux diplômes carlovingiens des Archives de l'Aube, dans Bibliothèque de l'École des Chartes, t. XXXIX, 1878, p. 197-198, d'après A.

d. Abbé Ch. Lalore, Cartulaire de l'abbaye de Montiéramey (Collection des principaux cartulaires du diocèse de Troyes, t. VII, 1890), n° 11, p. 16, d'après d.

Fac-similé : Lot et Lauer, Diplomata Karolinorum, fasc. VII, pl. XVI (Eudes, n° 6).

Indiqué : Bréquigny, Table des diplômes, t. I, p. 347.

Indiqué : Böhmer, Regesta, n° 1889.

Indiqué : A. Giry, Études carolingiennes. Documents carolingiens de l'abbaye de Montiéramey, dans Études d'histoire du Moyen Age dédiées à Gabriel Monod, (1896), n° 22, p. 132.

Indiqué : Favre, Eudes, p. 145, 149, 151, n. 3.

Le diplôme d'Eudes nous est conservé par un original indiscutable puisque nous y reconnaissons parfaitement la main caractéristique du notaire Throannus. Sa date d'autre part présente, ce qui est relativement rare, une concordance exacte entre l'an de l'Incarnation (892), le chiffre de l'indication (10) et l'année du règne (5). Il est d'autant plus intéressant de souligner la gaucherie de la rédaction : ce n'est pas en effet le nom du requérant qui figure en tête de l'exposé, mais précisément celui de son adversaire, qui a formulé une requête antérieure, celle qui a motivé la condamnation de ses prétentions par le synode de Verberie.

Ce diplôme présente à nos yeux une importance double : il fait d'une part une allusion directe au plaid réuni par le roi à Verberie et cite les noms des participants ecclésiastiques, pour la dernière fois assemblés avant la rupture d'une partie d'entre eux avec Eudes. D'autre part il nous fixe sur l'itinéraire royal et, partant, sur l'histoire générale du règne, si mal connue à partir de cette année et jusqu'à la mort du roi. Ces deux éléments nous amènent à reconsidérer les événements de l'année 892-893, notre interprétation étant toute autre que celle qu'a exposée Favre.

On sait en effet que l'année 892 fut marquée par deux faits principaux : la campagne d'Eudes contre le comte de Flandre Baudouin et ensuite par son séjour en Aquitaine. Favre, qui a apporté beaucoup d'ingéniosité à débrouiller l'histoire confuse de cette période, s'est heurté au dur obstacle de l'imprécision chronologique des textes. Il retenait donc quatre dates pour jalonner cette période : l'incendie du bourg de Saint-Vaast d'Arras, fixé par les Annales de Saint-Vaast au 17 avril 892, suivi du retour de Baudouin dans la ville ; le passage du roi à Tours qui serait signalé par une notice de Saint-Martin du 13 juin 892 ; puis le présent diplôme de Cosne-sur-Loire le 30 septembre 892 ; enfin le diplôme n° 33 du 28 mai 893 expédié de Chalon-sur-Saône, postérieurement à la rébellion de la France du nord et au couronnement de Charles le Simple à Reims.

Pour concilier ces éléments avec ce que nous apprennent par ailleurs les Annales de Saint-Vaast, Flodoard et Abbon et le récit quasi-légendaire de Richer, Favre imagine ainsi le déroulement des événements : la campagne contre Baudouin se déclenche au printemps (p. 141) ; Eudes s'empare de Laon sur les rebelles, sans doute dès avril [ceci pour permettre à Eudes d'être à Tours dès le début de juin, toute campagne achevée] (p. 143-145) ; puis il bat en retraite (p. 145), tient avec les évêques à Verberie un plaid où on le persuade de se rendre en Aquitaine (p. 145) [ce plaid étant celui auquel fait allusion le présent diplôme] ; il passe à Tours au début de juin, puis à Limoges, Angoulême, Périgueux, se mêle des affaires d'Auvergne et du Berry (p. 148), délivre à Cosne-sur-Loire le 30 septembre le diplôme dont il est question ici même, repasse en Aquitaine au début de 893 pour finalement réapparaître à Chalon le 28 mai 893 où il délivre un diplôme pour l'abbaye de Cormery.

Mais ce schéma ne résiste pas à l'examen. La notice datée de Tours le 13 juin 892 ne dit pas que le roi était à cette dernière date dans la ville, elle mentionne que les moines ont voulu à un certain moment de la procédure porter plainte devant le roi qui tunc praesens aderat in ipsa civitate Turonus, ce qui n'implique pas une date précise pour le passage du roi. De plus cette notice présente une regrettable discordance de date : elle est datée de la quatrième année du roi Eudes, ce qui incontestablement doit la placer en 891 ; mais au début il est dit que la plainte a été portée devant le comte Bérenger au Mans le 8 des calendes de mai, feria II, soit le lundi 24 avril ; or un lundi n'est tombé le 24 avril qu'en 892. Il faut donc supposer une erreur soit dans le compte des féries (feria VII au lieu de II, si on la date de 891), soit — ce qui est bien peu vraisemblable — dans celui des années du règne. Mais L. Levillain, étudiant particulièrement ce document, avait conclu à une datation complètement erronée de la Pancarte noire. On peut bien penser que dans ces conditions, un tel document est insuffisant pour bâtir sur lui l'histoire d'une année entière du règne, quand d'autres éléments, beaucoup plus sûrs, s'y opposent.

Les Annales de Saint-Vaast placent en effet tempore autumni le départ des Normands hors du royaume, circonstance qui va permettre à Eudes de gagner de son côté l'Aquitaine hiemandi causa. Favre rejette ces indications précises comme des erreurs (p. 147, n. 3), parce qu'elles ne s'accordent pas avec sa notice de Tours. Acceptant d'autre part en principe le témoignage de Richer sur le séjour d'Eudes dans les différentes villes d'Aquitaine (p. 232), il fait suivre au roi un itinéraire inverse de celui qu'indique Richer, toujours pour le concilier avec le point de départ du voyage supposé être Tours.

Si nous suivons les Annales de Saint-Vaast, le guide le plus sûr pour cette époque, nous voyons que Baudouin de Flandre s'est emparé d'Arras ; or le bourg de Saint-Vaast brûle le 17 avril 892. Baudouin a le temps de s'y rendre et de refortifier le bourg avant que la campagne du roi ne se déclenche, ce qui suppose déjà un certain temps. Le roi réunit ses contingents militaires et fait excommunier le comte par les évêques. Ceci correspond donc au plaid de Verberie où les archevêques et évêques prononcent à la demande du roi leur sentence dans l'affaire de Montiéramey, objet de notre diplôme de Cosne. Avant d'attaquer Baudouin, Eudes commence par assiéger Laon et par s'en emparer sur les rebelles ; il fait ensuite une feinte sur Arras avec l'intention de pousser vers Bruges et la Flandre ; mais Baudouin le devance. Cela nous mène certainement jusqu'en plein été, deux nouveaux synodes ayant eu le temps de se réunir à Reims, toujours au sujet de l'affaire de Flandre. C'est alors, nous dit-on, que la famine contraint les Normands à abandonner le royaume à l'automne et que, pour la même raison, les grands conseillent à Eudes d'aller hiverner en Aquitaine. C'est donc tout naturellement sur la Loire, à Cosne, le 30 septembre, que nous trouvons le roi prêt à gagner les pays aquitains. Il y restera jusqu'au printemps suivant. Car il n'y a pas de raison de contester le témoignage de Richer qui sur ce point concorde avec les autres sources en les précisant : le roi doit séjourner au Puy (Richer, § 6), à Brioude et en Auvergne (§ 7), à Limoges (§ 10), à Angoulême et Périgueux (§ 12) ; après Pâques 893, il a été attaqué par Richard de Bourgogne et ses alliés auvergnats, mais une trêve intervient et c'est tout naturellement que nous retrouvons le roi le 28 mai à Chalon-sur-Saône (diplôme n° 33). Il regagne alors l'Aquitaine, selon les Annales de Saint-Vaast, pour ne rejoindre qu'aestivo tempore la Francia ; d'après Richer, il passe par Tours (§ 13), Blois (§ 11) et Paris (§ 13), et de fait nous le voyons à Saint-Denis le 15 octobre 893 (diplôme n° 34).

Si l'on adopte cette chronologie des événements, ce diplôme daté de Cosne aurait donc été expédié à la veille même de l'expédition du roi en Aquitaine, et non pas après celle-ci, comme le pensait Favre.

Signalons aussi — et ceci est à mettre en relation avec les faits politiques que nous venons de rappeler — qu'Èbles, pour la première fois dans ce diplôme, ne paraît plus dans les fonctions de chancelier. On sait qu'à la veille du passage du roi en Aquitaine, Èbles rejoignit les ennemis d'Eudes et qu'il fut bientôt après, dès le 2 octobre sans doute, tué en combat. Le nouveau chancelier est maintenant Acheri (Askericus), l'évêque de Paris, qui ne paraît revêtu de cette fonction que dans cet unique diplôme : quelques mois plus tard, il prenait la tête de la faction qui provoqua le couronnement à Reims de Charles le Simple.

Nous imprimons en petits caractères les passages de ce diplôme directement empruntés au diplôme de Carloman pour l'abbaye de Montiéramey du 9 février 883.


(Chrismon) In nomine Domini Dei aeterni et Salvatoris nostri Jhesu Xpisti. Odo clementia Dei rex. Si petitionibus servorum Dei aurem nostrae pietatis accomodamus et eorum utilitatibus consulimus, Deum [2] omnipotentem super hac retributorem habere confidimus. Quocirca noverit omnium sanctae Dei Ecclesiae fidelium nostrorumque, tam presentium quam et futurorum, sollertia quoniam, adiens celsitudinem nostram, quidam monachus, Aginus [3] nomine, qui cellam quam Sadrevertus abbas a serenissimo pie recordationis Karolo impetrare decertaverat, ante presentiam fidelium nostrorum, repetiit. Quam ob causam, cum ad placitum nostrum apud Vermeriam venissemus, [4] afuerunt inibi Fulco venerabilis archiepiscopus, Vualterius archiepiscopus, Vuido archiepiscopus, Dido episcopus, Honoratus episcopus, Riculfus episcopus, qui illius proclamationis repetitionem more antecessorum suorum discutiendo investigarent. Cujus petitionem [5] inutilem invenientes, talem eidem sententiam diffiniendo dederunt ut monasterium ex Manso Corboni, qui Nova Cella dicitur, pergeret atque sub abbatis Erchengerii ordinatione regulariter consisteret, nihil amplius ex hac nefaria repetitione [6] se intermittens. Quorum diffinitionem inanem adjudicans, eandem cellam ausu temerario iterando repetiit. Quapropter jam nominatus abbas Erchengerius, nostram adiens excellentiam, obtulit nobis precepta antecessorum nostrorum [7] regum scilicet atque privilegia apostolicae sedis, ubi continebatur qualiter monasteriolum, quod quondam Alfa vocabatur, Manso Corboni, qui Nova Cella dicitur, subjectum priscis temporibus dinosceretur atque super hoc nostrae altitudinis [8] preceptum expetiit, ut jam nominatum monasteriolum suę dicioni ejusque successorum pareret. Cujus petitionem ratam invenientes, una cum consensu fidelium nostrorum, id fieri decrevimus, eo videlicet more et tenore ut predictus abba [9] Erchengerius successoresque sui idem monasterium necnon sui monachi ac familia illorum cum omnibus sibi legaliter pertinentibus sub tuitione nostra perpetualiter maneant ut nullus alterius loci monachum in eorum coenobio [10] mittere presumat nec aliquem infra eorum congregatione ministerialem facere nisi ex ipsis et secundum sancti Benedicti institutionem ex sese non ex aliis habeant eligendi licentiam abbatem. Et ut hoc preceptum per omnia [11] tempora majorem, in Dei nomine, obtineat firmitatis vigorem, manu propria eum subter firmavimus atque anuli nostri impressione insigniri jussimus.

[12] Signum Odonis (Monogramma) gloriosissimi regis.

[13] Throannus notarius ad vicem Askerici episcopi recognovit et subscripsit (Signum recognitionis et locus sigilli).

[14] Data II kalendas octobris, indictione X, anno Incarnationis dominicę DCCCXCII, anno quinto regnante domno Odone, gloriosissimo rege. Actum apud villa Coneda. In Dei nomine, feliciter. Amen, amen, amen.


Localisation de l'acte

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