892.
Eudes ordonne de payer les [nones et] dîmes.
Diplôme perdu, mentionné dans une table de l'ancien Livre rouge de l'église Sainte-Croix d'Orléans, établie au xviiie siècle et insérée dans un « Répertoire du trésor de l'église d'Orléans ». t. II, p. 79-84, lequel était autrefois conservé aux Archives de l'évêché. Cette table a été publiée par Joseph Thillier et Eugène Jarry, Cartulaire de Sainte-Croix d'Orléans..., 1906 (Mémoires de la Société archéologique et historique de l'Orléanais, vol. XXX), Le Livre rouge lui-même datait du début du xive siècle ; il a disparu pendant la Révolution. Au fol. 21 v° (d'après la table citée, p. XIII), il contenait le document ainsi analysé :
Cet acte n'est pas sans poser des problèmes que l'énoncé de l'analyse, trop bref et sans doute erroné, rend encore plus complexes. On doit d'abord noter que l'ancien Chartularium vetus de l'église d'Orléans, établi à la fin du xiie siècle, aujourd'hui perdu, mais dont on possède une copie intégrale par Baluze (éditée dans l'ouvrage cité de Thillier et Jarry), contient le texte de la plupart des actes impériaux ou royaux pour cette église, mais ne renferme ni celui d'Eudes, ni un diplôme de Philippe Ier, portant également sur les dîmes et ainsi répertorié : « 1107. Lettres de Philippe Ier, roi, ordonnant de payer les dîmes à tous ceux qui les doivent à l'église de Sainte-Croix ». M. Prou, qui a connu tardivement cette mention, la signale dans l'Addendum de son Recueil des actes de Philippe Ier, p. 442, mais hésite à l'insérer parmi les actes sincères de ce roi : « L'intervention du roi dans le paiement des dîmes est si étrange dans ce temps-là, dit-il, qu'on peut douter de l'exactitude de la date donnée par le Répertoire, à moins que l'analyse du document ne soit inexacte. »
Antérieure de plus de deux siècles et relative au paiement des dîmes novales, la lettre d'Eudes doit nous apparaître encore plus étrange. Non pas que le problème des novalia ne se soit pas posé dès cette époque. Hraban Maur désigne déjà de ce nom des terres acquises par essartage et, au temps même d'Eudes, mais en Allemagne, le célèbre concile de Tribur de 895 fait la première allusion directe aux dîmes portant sur ces terres novales : « Si quis autem in affinitate antiquae ecclesiae novalia rura excoluerit, decima exinde debita antiquae reddatur ecclesiae ». Divers diplômes des souverains germaniques, depuis un acte de Henri II en 1012, s'y référeront au long du xie siècle. Dans le royaume occidental cependant, la question semble s'être posée plus tardivement : il faut attendre le pontificat de Grégoire VII pour trouver mention des decimas novarum terrarum dans une lettre à l'église de Thérouanne. Les documents deviendront abondants au xiie siècle, mais ce n'est qu'au milieu de ce siècle qu'on commencera à parler de decimae novales. En usant de l'expression « dîmes novales », l'archiviste orléanais du xviiie siècle employait donc un tour anachronique pour désigner ce qu'antérieurement on désignait plus volontiers comme decimas novalium ou novarum terrarum.
Quoi qu'il en soit, on ne peut se défendre d'un très vif mouvement de suspicion à l'encontre de l'analyse du diplôme d'Eudes, telle qu'elle nous est parvenue.
En soi l'expédition d'un diplôme d'Eudes pour l'église d'Orléans ne saurait nous étonner, puisque le roi a séjourné plusieurs fois en cette ville ou en ses environs immédiats, qu'il y a tenu plusieurs plaids généraux et que son notaire-chancelier Throannus, en 892 précisément, fut pourvu de l'évêché d'Orléans. De plus l'acte portait certainement l'indication de l'année de l'Incarnation, puisque l'archiviste du xviiie siècle nous a rapporté la date de 892, alors que pour les autres actes royaux, ceux de Louis le Pieux, de Louis et Lothaire, de Charles le Chauve et de Carloman (fol. 2 v°-3 v°), il n'a pas rétabli l'année de notre ère parce que ces actes portaient simplement l'année du règne. Or on sait que de 889 à 892 les actes d'Eudes ont comporté la mention de l'an de l'Incarnation : l'argument a du poids en faveur de la sincérité de l'acte en question (ou de celui qui lui aura servi de modèle).
Si, comme nous le pensons, on estime bien peu vraisemblable que le roi Eudes a effectivement ordonné de payer les « dîmes novales », une hypothèse doit être formulée : le texte du diplôme pouvait fort bien porter les mots nonas decimasque, que l'archiviste, par une méprise toute naturelle — y a-t-il faute de lecture plus courante ? — aura lu novas decimas, expression usuelle pour désigner les novales.
C'est en effet un fait constant dans les actes pour Sainte-Croix d'Orléans, et un de leurs traits les plus caractéristiques, que, depuis le diplôme de Carloman en 881, il y soit toujours fait allusion aux « nones et dîmes ». Restituant deux domaines au chapitre, Carloman précise : « nonarum decimarumque vestituram... sancta mater ecclesia semper obtineat ». Lothaire en 956, ainsi que Hugues Capet et Robert le Pieux, leur consacrent une décision particulière : « Siquidem statuendo de nonis et decimis, ut res de comitatu, exsolvantur, sicut in capitularibus et praeceptis regum insertum est ». Louis V confirmant l'immunité dont jouit l'église d'Orléans, insère dans la formule classique de l'immunité un membre de phrase relatif aux nones et dîmes : « cum monasteriis, cellis..., vel etiam nonis vel decimis de quibuscumque locis vel pagis sibi pertinentibus, sub tuitionis atque immunitatis nostrae defensionis » et il ajoute même une très explicite confirmation des droits de cette église en cette matière : « et villas cum nonis et decimis quas ipsa ecclesia de comitatu et de aliis villis quae in beneficio continentur, accipere consuevit... confirmamus ».
Ces actes témoignent de façon certaine que le paiement des nones et dîmes a été depuis la fin du ixe siècle un sujet de sérieuses préoccupations pour les évêques d'Orléans, peut-être parce que les villae sur lesquelles elles portaient avaient été affectées au comitatus, à la dotation du comte, et qu'à cette époque le comté semble bien avoir été entre les mains d'Eudes lui-même et de sa famille. En tout cas, si nous avons pu relever la trace de clauses concernant les nones dans certains actes, c'est qu'il s'agissait de diplômes de large portée, confirmant de façon générale les biens de l'évêché ou renouvelant ses privilèges, et que, pour cela, ils ont été insérés dans le Chartularium vetus. Mais au moment de la rédaction de celui-ci, la question du paiement des nones était devenu anachronique et l'on comprend parfaitement que le scribe ait négligé de transcrire des actes dont elles constituaient le seul objet, c'est-à-dire le diplôme d'Eudes et sans doute aussi celui de Philippe 1er.
Les nones, si souvent assimilées aux dîmes au point qu'on a fini par les confondre avec elles, pesaient, en plus de la dîme, sur les terres d'église concédées en bénéfice sub verbo regis : il était normal que l'autorité royale en prescrivît le paiement. Flodoard nous fournit un très bon exemple d'intervention du roi en cette matière en faisant connaître le texte d'un diplôme que l'archevêque Hincmar avait sollicité et obtenu de Charles le Chauve pour contraindre au paiement des nones des bénéficiaires qui s'y refusaient. La question est fréquemment abordée par les capitulaires, ces capitulaires auxquels, fait très rare pour l'époque, le roi Lothaire fait une allusion directe dans l'acte cité ci-dessus. Mais Lothaire y faisait aussi allusion aux préceptes de ses prédécesseurs ; or, parmi les actes royaux antérieurs pour Sainte-Croix, un seul, celui de Carloman, mentionnait expressément les nones et dîmes, et encore occasionnellement et à propos de deux domaines bien déterminés. Dans ces conditions, il semble bien difficile de ne pas voir dans l'acte perdu d'Eudes un des préceptes visés par Lothaire.
Le diplôme d'Eudes s'appliquait-il à un cas précis soulevé par l'église d'Orléans ou bien était-il de portée plus générale, d'une nature comparable à ces capitulaires antérieurs dont parle Lothaire ? Nous ne pouvons le savoir, mais la seconde hypothèse est loin d'être à rejeter si on suit l'analyse qui nous en a transmis la mention, puisqu'elle précise que le roi agit « sans spécifier les terres qui y sont sujettes ». Évidemment tout cela ne peut être avancé qu'avec réserve et à titre d'hypothèse, d'autant plus que nous n'avons conservé aucune trace de capitulaire royal dans le royaume occidental postérieurement au règne de Carloman en 883 et 884. On se rappellera cependant que l'acte d'Eudes était daté de 892 et que, dans l'été de cette même année, vers le moment où le royaume, pour la première fois depuis longtemps, va connaître, une paix d'ailleurs éphémère, le roi a tenu avec ses grands au palais de Verberie une assemblée générale, la dernière assemblée régulière dont le souvenir nous soit parvenu pour un souverain de ce royaume.
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