[888, 29 février – 893, 28 mai].

Eudes, à la requête de l'abbé de Saint-Martin du Mont-Redon en Septimanie, Tenericus, lui demandant de secourir ses moines appauvris et opprimés, prend l'abbaye sous sa protection spéciale et, pour permettre aux moines de prier pour lui et pour son « dominus et senior » Charles [le Chauve], il renouvelle l'attribution à l'abbaye de la « cella » de Saint-Clément dans le « pagus » de Gérone et du fisc de Jonquières avec l'église Saint-Sernin en Razès, et lui confirme la possession de ses biens : « Uzannum » et el Pérairol, en Carcassès la « cella » de Mayronnes en Val de Daigne, les biens donnés par Bladinus à « Nogarias », les biens donnés par Amaroannus et ses parents à Aiguesvives dans le comté de Narbonne et par Galinnus à « Menerbles », les salins de Cagacanes en la cité de Narbonne donnés par Dagoberta, les biens achetés par l'abbé en Carcassès au Linas en Val de Daigne, le quart du « villaris » de « Penitentia » en Val de Daigne donné par Paternus et Dexter. Le roi accorde en outre à l'abbaye l'exemption de toutes redevances sur la circulation et la vente des denrées (sauf dispositions contraires), confirme les pouvoirs d'administration de l'abbé actuel sur les biens de l'abbaye et décide qu'après son décès les moines, avant d'élire son successeur, comparaîtront devant le roi.

Référence : Georges Tessier et Robert-Henri Bautier (éd.), Recueil des actes d'Eudes roi de France (888-898), Paris, 1967, no32.

A. Original. Parchemin mutilé à la partie inférieure. Largeur : 577 mm ; hauteur, à gauche, 500 mm, à droite, 487 mm. Bibliothèque nationale, ms. lat. 8837, fol. 75.

B. Copie collationnée le 24 décembre 1668 par Gratian Capot. Bibliothèque nationale, Collection Doat, vol. 66, fol. 99, d'après A, « l'original en parchemin trouvé aux archives de l'abbaye de Lagrasse ».

C. Copie (incomplète) du xviie siècle, par Dom Estiennot, Bibliothèque nationale, ms. lat. 12761 (Antiquitatum in Septimania... benedictinarum pars altera), p. 385, sans doute d'après A.

a. Mabillon, Annales ordinis sancti Benedicti, t. III, p. 694, n° XXXVII (incomplet), d'après A, « ex veteri charta » (ann. 897).

b. Recueil des historiens de la France, t. IX, p. 465, n° XXX, d'après A, « ex autographo in bibliotheca regia » (ann. 897).

Fac-similé : Lot et Lauer, Diplomata Karolinorum, fasc. VI, pl. IX (Eudes, n° 6) [ann. 893].

Indiqué : Bréquigny, Table chronologique, t. I, p. 354 (ann. 897).

Indiqué : Histoire générale de Languedoc, éd. Privat, t. III, p. 54 (ann. 897).

Ce diplôme, ayant été rogné aux ciseaux, a perdu, avec sa date et la recognition de chancellerie les éléments chronologiques qui auraient permis de le dater. S'appuyant sur l'expression domni et senioris nostri Karoli, Vaissète a prétendu qu'il impliquait pour Eudes une reconnaissance de Charles le Simple comme son seigneur et que par conséquent il était postérieur au traité conclu entre les deux compétiteurs vers le milieu de 896. Cette opinion, qui semble avoir été celle de Mabillon a été suivie par Bouquet, par Georgisch (Regesta chronologico-diplomatica, t. I, col. 175), par Bréquigny et même par Léopold Delisle (Catalogue des manuscrits du fonds latin de la Bibliothèque nationale, p. 112). Mais l'interprétation de cet accord est complètement erronée et, de toute évidence, il s'agit dans le cas présent de l'expression habituelle par laquelle Eudes entend désigner Charles le Chauve. De leur côté, sans en donner aucune justification, Lot et Lauer ont assigné à ce diplôme, dont ils publiaient le fac-similé, la date restituée de 893.

Il ne semble pas impossible de resserrer les dates d'expédition du diplôme. Il est en effet écrit de la même main que les préceptes nos 15, 18, 22, 29 et 30 dont nous avons attribué la rédaction au notaire Throannus lui-même, qui les a souscrits : on y retrouve exactement les mêmes gestes graphiques, les mêmes détails d'ornementation du chrismon, les mêmes tics d'écriture (le N de forme majuscule, largement étiré horizontalement ; la liaison IN du mot initial de la première ligne en caractères allongés, etc.). Nous y retrouvons aussi les mêmes caractères pour la souscription royale et le même monogramme que dans le diplôme pour l'abbaye de Tournus du 16 juillet 889, écrit à Paris d'une autre main mais également souscrit par Throannus (n° 13). Nous pouvons donc attribuer en toute certitude le présent diplôme à Throannus. Celui-ci, après avoir été le notaire du chancelier Èbles, puis de son successeur Acheri, disparaît définitivement après le diplôme du 30 septembre 892 (n° 30) ; son successeur Arnulfus apparaît pour la première fois dans le diplôme du 28 mai 893 (n° 33).

Cette date du 28 mai 893 sera donc le terminus ante quem de ce diplôme, et sans doute n'est-il pas possible de préciser davantage en toute sécurité. Pourtant la très grande analogie de présentation, de plume, de texte même (y compris les prières pour Charles le Chauve dominus et senior meus qui avaient intrigué dom Vaissète), avec le diplôme pour l'abbaye de Lagrasse du 30 janvier 890 (n° 18) est à nos yeux un indice extrêmement fort d'une possible expédition simultanée des deux diplômes pour les deux abbayes situées à quelques kilomètres seulement l'une de l'autre, dans le même comté, et qui même n'allaient pas tarder à se fondre.

Nous devons encore souligner l'emploi du terme renovare employé par le roi pour caractériser sa confirmation. Or nous ne connaissons pas d'autre diplôme royal pour cette abbaye de Saint-Martin du Mont-Redon ; le fait qu'aussitôt après, Eudes demande des prières pour son prédécesseur, pourrait faire songer qu'il entend « renouveler » ainsi un précepte de Charles le Chauve, aujourd'hui disparu, par lequel celui-ci aurait concédé à l'abbaye la « cella » de Saint Clément au pays de Gérone et le fisc de Jonquières. Ce n'est cependant pas certain, car le diplôme pour l'abbaye de Lagrasse (n° 18), auquel nous venons de nous référer, se présentait de même sous la forme d'une renovatio d'un précepte de Charles le Chauve ; et cette formule a pu influencer plus ou moins induement le diplôme pour l'abbaye voisine, si, comme nous le pensons, ils ont été expédiés simultanément.


(Chrismon) In nomine Domini Dei aeterni et Salvatoris nostri Jhesu Xpisti. Odo Clementia Dei rex. Si servorum Dei petitionibus ac necessitatibus opem ferendo consulimus, procul dubio Deum nobis exinde propitiatorem et remuneratorem tam hic [2] quam in aeterna beatitate nullatenus ambigimus adesse. Quocirca noverit omnium optimatum ac caeterorum fidelium regni nostri sollertia quoniam Tenericus, venerabilis abbas ex monasterio constructo in honore sancti Martini Monterotundo in Septimania, consentientibus suis monachis inibi Deo militantibus, veniens ad aures regię [3] dignitatis nostrae, innotuit nobis qualiter, propter illorum nimiam paupertatem et oppressionem malorum hominum, inibi stare non possint nisi nos, ob Dei amorem, aeterne remunerationis premium necnon, et in elemosina domni et senioris nostri Karoli ac pro salute et commemoratione nostra, quatinus omni tempore cum summa [4] devotione liberius et placabilius pro nobis misericordiam Domini exorent. Renovamusque ad necessitates eorum supplendas per hoc preceptum regiae auctoritatis nostrae cellam in honore sancti Clementi in pago Gerundense cum omnibus appendiciis suis, et in pago Radensi fiscum nostrum Juncherias [5] cum ecclesia in honore sancti Saturnini cum omnibus appendiciis suis. Confirmamus etiam nostra regia auctoritate villares duos, Uzanno et Pererolo, et in pago Carcasensi cella quae dicitur Matrona in valle Aquinania cum omnibus adjacentiis suis, et hoc quod Bladinus dedit in Nogarias [6] cum casa, terras, molendinum, et in comitatu Narbonensi quicquid Amaroannus dedit cum suis propinquis in villari que dicitur Aquaviva, et hoc quod Galinnus dedit in Menerbl., et salinas quas Dagoberta dedit in civitate Narbona in loco qui dicitur Achagakan, [7] et hoc quod prefatus abbas im pago Carcasensi in valle Aquinania in villari ex suo pretio comparavit juste et legaliter, id est in Linars, et omnia etiam quod Paternus et Dexter dederunt in valle Aquinania de villari quę dicitur Penitentia quartam partem, et omnium integritate rerum [8] supradictarum atque plenitudinem, cum exitibus et regressibus et universis legitimis terminationibus, totum et ad integrum, sicut dictum est, memorato venerabili abbati Tenerico, ad monasterium in jamdicta Septimania sub honore et nomine sancti Martini, sicut supra diximus, [9] confirmando atque tradendo per hoc preceptum regiae auctoritatis nostrae concedimus et de nostre jure in jus ac dominationem illius sollemni more transferimus aeternaliter, eo videlicet modo et tenore ut predictus Tenericus abbas, idem monasterium necnon, et sui monachi, familia [10] ipsorum cum omnibus ad se pertinentibus sive legaliter respicientibus, sub mundeburdo et tuitione nostrae defensionis ita hac auctoritate testamenti regiae dignitatis nostrae corroborati perpetualiter maneant, ut neque comes neque aliqua judiciaria potestas ad quelibet loca, id est [11] comitatus, civitates sive mercata in regno nostro pro suis necessitatibus, ipsi aut famuli ipsorum exigerint ab eis trabaticum aut portaticum aut pontaticum aut cespitaticum aut rotaticum aut mansionaticum aut salutaticum aut aliquod obsequium sive redibitionem aut teloneum, [12] exceptis in his locis quibus per preceptum nostrum concessimus ut accipiantur, requirere vel exactare ullatenus presumat, sed quiete et secure per omnia possint agere. Volumus quoque ut quamdiu ipse Tenericus vixerit, jamdictas res omnesque more ecclesiastico regat [13] et disponat, et post ejus discessum ipsi sui monachi nostram veniant presentiam eligantque sibi abbatem de ipsa congregatione, qualemcumque meliorem invenerint. Ut autem hujus nostrae auctoritatis confirmatio pleniorem, in Dei nomine, obtineat firmitatis vigorem, [14] manu propria subter eam firmavimus atque anuli nostri impressione insigniri jussimus.

[15] Signum Odonis (Monogramma) gloriosissimi regis.

[16] [T]h[roannus notarius ad vicem... recognovit et subscripsit].