890, 21 novembre. — Senlis.

Acte faux

Eudes, à la requête d'Audiguier (Audegarius), abbé de Saint-Pierre de Joncels en Biterrois, qui lui a demandé de confirmer les diplômes de ses prédécesseurs Pépin et Charles en faveur de l'abbaye, concède à celle-ci l'église de Saint-Julien de Tauriac dans le diocèse de Rodez, accorde l'immunité à l'abbaye et lui confirme la liberté de l'élection abbatiale.

Référence : Georges Tessier et Robert-Henri Bautier (éd.), Recueil des actes d'Eudes roi de France (888-898), Paris, 1967, no51.

A. Pseudo-original perdu.

B. Copie authentique du notaire François Béral, 22 septembre 1664, Bibliothèque nationale, Collection Baluze, vol. 81, fol. 347.

C. Copie du xviie siècle, Bibliothèque nationale, ms. lat. 11897, fol. 162, « ex archivo monasterii Juncellensis », d'après a.

D. Copie du xviiie siècle, Bibliothèque nationale, Collection de Languedoc, vol. 74, fol. 223, d'après a.

E. Copie du xviiie siècle pour Dom Bouquet, Bibliothèque nationale, ms. nouv. acq. lat. 22211, fol. 80, d'après a.

a. Baluze, Capitularia regum Francorum, t. II, append., col. 1519, « ex arch. hujus monasterii ».

b. Recueil des historiens de la France, t. IX, p. 455, n° XVII, d'après a.

Indiqué : Bréquigny, Table chronologique, t. I, p. 345.

Indiqué : Böhmer, Regesta, n° 1886.

Indiqué : Favre, Eudes, p. 133 et n. 2.

Indiqué : L. Levillain, Pépin Ier et Pépin II, p. 129 et n. 2.

Indiqué : G. Tessier, Charles le Chauve, t. II, p. 534.

Le diplôme d'Eudes pour l'abbaye de Joncels n'a été suspecté ni par ses éditeurs, ni par Favre qui l'a utilisé dans son volume sur Eudes. C'est même en s'appuyant sur son témoignage que L. Levillain et M.G. Tessier ont cru pouvoir établir que les archives de l'abbaye possédaient un diplôme de Pépin Ier roi d'Aquitaine et un autre de Charles le Chauve, alors qu'ils n'avaient entre les mains que des diplômes faux ou falsifiés se réclamant de Pépin le Bref et de Charlemagne. Ph. Lauer, dans une communication au Congrès des sociétés savantes de Clermont-Ferrand, en 1931, sur la diplomatique du roi Eudes, attachait même une importance toute particulière à ce diplôme, en raison de ses formules aberrantes. Pourtant L. Levillain, tout en s'en servant, signalait : « Ce diplôme n'est pas très sûr dans toutes ses parties. Nous sommes, croyons-nous, en présence d'un diplôme remanié et interpolé ».

Il s'agit en réalité d'un faux manifeste et même assez maladroit. La souscription de chancellerie nous frappe tout d'abord : « Arnebodus scripsit ad vicem Ildefredi referendarii et subscripsit ». Non seulement ces personnages sont inconnus à la chancellerie d'Eudes et la formule même totalement invraisemblable à cette époque, mais le titre de referendarius nous reporterait à l'époque mérovingienne, si l'ensemble ne devait être irrémédiablement rejeté.

La souscription royale se présente de même sous une forme absolument invraisemblable sous ce règne : « Signum Odonis magnifici regis », alors que « gloriosissimi » est de rigueur, et le dessin du monogramme, que nous a conservé la copie notariée de 1664 avec la mention « Ainsi est à l'original », est de pure fantaisie.

Nous trouvons une adresse inconnue de la chancellerie de la fin du ixe siècle : « omnibus episcopis, abbatibus, comitibus, vicariis, centenariis atque omnibus fidelibus sanctae Dei Ecclesiae et nostris, praesentibus atque futuris », avec un salut que nous devons considérer comme tout-à-fait déplacé ici. Le diplôme comporte encore une double formule de notification : la première, sous une forme inhabituelle : « notum sit quia », précède le préambule ; la seconde, introduisant l'exposé, est également aberrante : « Proinde comperiat omnium fidelium nostrorum solertia quia... ». Cette dernière omet les fidèles de l'Église, ce qui est étrange dans un acte destiné à une abbaye et dont l'adresse était précisément faite à la fois aux fidèles de l'Église et à ceux du roi, tandis que la formule d'immunité interdisait l'entrée des biens de l'abbaye aux fidèles de l'Église. L'absence de référence aux fidèles présents et « à venir » doit encore être signalée, puisque l'adresse était faite aux « fidelibus... praesentibus atque futuris ».

L'agencement de l'exposé et du dispositif, spécialement maladroit, dénonce, à nos yeux, la falsification. Contrairement aux habitudes de la chancellerie, il n'est pas précisé que l'abbé est venu trouver le roi : « ad nostram accedens (adiens, etc.) clementiam (celsitudinem, magnitudinem, presentiam, etc.) » et lui a adressé sa prière ; il est simplement dit que l'abbé a présenté ses titres. Alors que l'abbé avait simplement demandé confirmation d'actes relatifs à la libre élection abbatiale et au gouvernement de l'abbaye « secundum regulam sancti Benedicti et praecepta regum » (formule étrange, notons-le en passant), le roi, déclarant approuver cette requête, commence par faire établir un diplôme sans relation avec la requête et concédant à l'abbaye l'église de Saint-Jean de Tauriac. Même si par ailleurs nous n'avions aucun motif de suspicion à l'encontre de ce diplôme, nous serions tenus d'y voir ici une évidente interpolation. Après cette concession, le roi, dans une seconde partie, accorde l'immunité à l'abbaye, celle-ci prenant d'ailleurs une forme aberrante : « ut nullus judex publicus neque quislibet ex judiciaria potestate nec ullus ex fidelibus sanctae Dei Ecclesiae ac nostris » : cette exclusion des « fidèles de l'Église » pourrait viser particulièrement les moines de Psalmodi dont l'abbaye de Joncels dépendait avant de se rendre indépendante. Enfin, dans une troisième partie, le roi autorise la libre élection abbatiale, ce qui paraissait faire l'objet propre de la requête ; il le fait à charge de prier pour le roi et la stabilité du royaume, et l'on ajoute : « regni... per immensam Dei misericordiam conservandi », ce qui peut paraître suspect au moment le plus paisible du règne d'Eudes, avant le soulèvement de Charles le Simple, lorsque la paix règne enfin et que les Normands ont été battus.

Certes tous les éléments de critique que nous venons de passer en revue ne sont pas de même valeur et l'on ne saurait non plus oublier que nous n'avons affaire qu'à une copie du xviie siècle. Néanmoins celle-ci a été incontestablement établie sur l'original — ou pseudo-original — puisque le notaire nous l'affirme quand il en reproduit le monogramme royal. Le rapprochement de toutes ces observations et le poids de certaines d'entre elles emporte, croyons-nous la conviction : à nos yeux le prétendu diplôme d'Eudes pour l'abbaye de Joncels est un faux manifeste.

Quand et dans quelles conditions a-t-il été rédigé, il est très difficile de le savoir, aucun original des archives de l'abbaye de Joncels ne nous étant parvenu. Les deux diplômes de Pépin et de Charles, cités dans le pseudo-diplôme d'Eudes, devaient être attribués, selon les moines, à Pépin le Bref et à Charlemagne. L. Levillain a fait justice de cette attribution : les deux diplômes auraient été tout au plus de Pépin Ier d'Aquitaine et de Charles le Chauve. Mais MM. Levillain et Tessier ont prouvé respectivement que tous deux étaient des faux ; le seul argument en faveur de l'opinion que l'abbaye était en possession de diplômes de ces souverains était le témoignage d'Eudes : nous venons de voir que ce témoignage lui aussi s'effondre. La fabrication de ces diplômes peut s'expliquer par le désir des moines d'attribuer à leur abbaye une origine très ancienne, un fondateur (ou plutôt, un restaurateur) illustre, Pépin le Bref, un donateur plus illustre encore, Charlemagne, et de donner plus de créance à ces faux en les faisant confirmer par Eudes.

D'autre part, il n'est pas sans intérêt de constater dans les trois diplômes que l'accent est surtout mis sur la liberté de l'élection abbatiale, alors qu'on sait que Joncels dépendait au début du xe siècle de l'abbaye de Psalmodi. Ces faux auraient-ils été rédigés pour libérer l'abbaye du joug de Psalmodi ? En faveur de cette thèse, on peut alléguer l'existence dès le xiie siècle d'une copie du diplôme de Pépin et dès 1272 d'un vidimus (cité dans un inventaire de 1732) des diplômes de Pépin, Charles, Louis et Eudes.

Il est cependant une autre hypothèse qu'il ne faudrait pas écarter a priori : la mention notamment du référendaire, qu'aurait dû normalement ignorer un moine du xiie siècle, pourrait amener à penser à une forgerie beaucoup plus récente, œuvre de quelque moine du xviie siècle qui aurait vu ailleurs quelque diplôme carolingien ou mérovingien et aurait eu quelque prétention à l'érudition. Ce ne peut être là qu'une hypothèse : seul l'examen de la copie du diplôme de Pépin attribuée au xiie siècle et autrefois conservée dans la collection de Paul Meyer permettrait de la contrôler.

Édition d'après B et a.


In nomine Domini et Salvatoris nostri Jesu Christi. Oddo divina ordinante clementia rex, omnibus episcopis, abbatibus, comitibus, vicariis, centenariis atque fidelibus sanctae Dei Ecclesiae et nostris, praesentibus atque futuris, salutem. Notum sit quia, si sacerdotum ac servorum Dei petitiones, quas nobis pro suis necessitatibus innotuerunt, ad effectum perducimus, non solum regiam consuetudinem exercemus, verum etiam ad aeternae retributionis mercedem talia facta profutura confidimus. Proinde comperiat omnium fidelium nostrorum solertia, quia vir venerabilis Audegarius, abbas Sancti Petri Juncellensis monasterii, quod est situm in pago Bitterrensi, nostris obtulit obtutibus auctoritates praedecessorum nostrorum, Pippini videlicet et Karoli, unde licentiam habebant inter se et abbates eligere et ipsum monasterium secundum regulam sancti Benedicti et praecepta regum regere et gubernare, quomodo fecerint olim abbates illorum, Benedictus scilicet et Fructuosus et antecessores eorum, absque alicujus blandimento, dum viverent. Idcirco memoratus Audegarius abbas nostram deprecatus est clementiam ut nos denuo praedictas auctoritates nostrae roborationis scripto confirmare dignaremur eique aliquid regio more benigne largiremur. Cujus, inquam, petitioni libenter annuentes, hoc serenitatis nostrae praeceptum illi fieri jussimus, per quod ecclesiam Beati Juliani martyris, quae constructa est in loco qui vocatur Tauriacus in episcopatu Ruthenensi, cum omnibus juribus sibi pertinentibus, pia largitione ipsi concedimus, ut omnes praesentes et futuri fideles sanctae Dei Ecclesiae ex nostro concessu ad perpetuum a nobis confirmatum esse cognoscant. Praecipimus interim ut nullus judex publicus neque quislibet ex judiciaria potestate nec ullus ex fidelibus sanctae Dei Ecclesiae ac nostris in ecclesias aut loca vel agros seu reliquas possessiones praedicti monasterii, quas moderno tempore possidere videtur in quibuslibet pagis et territoriis, quicquid ibidem propter divinum amorem hactenus collatum est, quaeque etiam deinceps in jure ipsius sancti loci aut per nos aut per alios voluerit divina pietas augeri, ad causas audiendas vel freda exigenda aut mansiones vel paratas faciendas aut fidejussores tollendos aut homines ipsius ecclesiae, tam ingenuos quam et servos, qui supra terram ipsius residere videntur, distringendos aut ullas redibitiones vel illicitas occasiones requirendas ullo unquam tempore injuste aut violenter ingredi audeat vel exactare praesumat, et quicquid de rebus praefati monasterii fiscus sperare poterat totum nos pro aeterna remuneratione praedicto monasterio concedimus ut perpetuis temporibus in alimonia pauperum et stipendia monachorum caeterorumque fidelium ibidem Deo famulantium proficiat in augmentum. Et quandoquidem divina vocatione idem abbas vel successores ejus de hac luce migraverint quamdiu ipsi monachi inter se tales invenire poterunt, qui ipsam congregationem secundum regulam sancti Benedicti regere valeant, per hanc nostram auctoritatem et concessum licentiam habeant eligendi abbates, quatenus ipsi servi Dei, qui ibidem Deo famulari videntur, pro nobis et stabilitate totius regni nostri a Deo nobis concessi atque per immensam Dei misericordiam conservandi exorare valeant. Haec vero authoritas nostrae confirmationis ut futuris temporibus firmius ac robustius habeatur vel a fidelibus sanctae Dei Ecclesiae ac nostris diligentius conservetur, eam manu propria subnotavimus et anuli nostri impressione signari jussimus.

Signum (Monogramma) Oddonis magnifici regis.

Arnebodus scripsit ad vicem Ildefredi referendarii et subscripsit.

Datum XI kal. decembris, indictione VIII, anno tertio regnante Oddone rege. Actum Silvanectis. Feliciter.


Localisation de l'acte

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