893. — Compiègne (Palais).

Acte faux

Eudes, vu l'intérêt porté par Charles le Chauve à l'abbaye de Saint-Médard de Soissons et dont témoignent ses donations et la confirmation des bénéfices conférés par les rois mérovingiens, concède à l'abbaye le fisc de Cuisy avec toutes ses dépendances : Le Soulier, Tartiers, Milly, « Curcellas », Confrécourt, « Filcheriolas », Osly, Courtil, Laval, Bieuxy, Chavigny et Vaurezis, ainsi que « Touvacum » (ou « Viviacum ») sur l'Aisne, Chevregny en Laonnois, Fresnoy en Santerre, Bitry au comté de Noyon avec deux églises, Pinon et « Bruneium », spécialement pour restaurer l'édifice récemment brûlé par les Normands. Il autorise de plus l'abbaye à s'entourer d'une enceinte fortifiée à cause du péril danois, et pour la même raison, fait réparer les fortifications élevées par Charles le Chauve à Vic-sur-Aisne à la prière de Berthe, sœur de Louis le Pieux. Il confirme enfin, à la demande des frères les « villae » assignées à leur usage par ses prédécesseurs : Crouy, Damery, Soilly, Berzy, Marizy, Epieds, Morsain, Cerny, Vez, « Malras » et des viviers en mer, Augy, Salsogne, Chivres et Couvrelles, les abbayes de Saint-Étienne de Choisy-[au-Bac], de Saint-Pierre de Rethondes, de La Croix-Saint-Ouen et des Saints-Donatien-et-Rogatien au pays nantais, ainsi que des viviers en ce pays. Après avoir exhorté les futurs recteurs de l'abbaye à respecter la part faite aux moines, il prend ceux-ci et leurs biens sous la protection du mainbour royal.

Référence : Georges Tessier et Robert-Henri Bautier (éd.), Recueil des actes d'Eudes roi de France (888-898), Paris, 1967, no52.

A. Pseudo-original perdu.

B. Copie du xve siècle dans le Cartulaire du prieuré de Choisy-au-Bac (1403), Archives nationales, LL 1023, fol. 65 v°-67 v°, sous la rubrique : « Carta Odonis regis Francie de confirmatione quamplurimorum beneficiorum, donorum et hereditatum ecclesie beati Medardi Suessionensi a predecessoribus suis collatorum ».

C. Copie du xviiie siècle, Bibliothèque nationale, nouv. acq. lat. 2295, fol. 40 v°, sous la rubrique : « Preceptum illustrissimi principis regis Francorum Odonis, an 893 ».

D. Copie du xviie siècle, Bibliothèque nationale, Collection de Picardie, vol. 21, fol. 127, « extrait des archives du monastère de Saint-Médard ».

E. Copie du xviiie siècle, Bibliothèque nationale, nouv. acq. franç. 22211, fol. 285, d'après b.

F. Copie du xviiie siècle, Bibliothèque nationale, Collection de Picardie, vol. 64, fol. 119, d'après b.

a. Mabillon, De re diplomatica, p. 557-559, n° CXXI, « ex chartario Sancti Medardi ».

b. Recueil des historiens de la France, t. IX, p. 460-461, n° XXII, d'après a.

Indiqué : Böhmer, Regesta, n° 1892.

Indiqué : Favre, Eudes, p. 16, n. 1, p. 162, n. 5.

Indiqué : Cl. Brunel, Les actes mérovingiens pour l'abbaye de Saint-Médard de Soissons, dans Mélanges d'histoire du Moyen Age Louis Halphen (1951), p. 73.

Ce diplôme d'Eudes pour Saint-Médard de Soissons doit être tenu pour faux ; à tout le moins, la forme sous laquelle il nous est parvenu apparaît comme profondément falsifiée, bien qu'à notre connaissance aucun historien n'ait soulevé le moindre soupçon à son égard.

On notera d'abord l'absence de l'invocation initiale, qui est de règle dans les diplômes d'Eudes. La suscription royale (gratia Dei rex Francorum) est aberrante. Pas de préambule, mais une notification en termes inhabituels (Omnium Christi fidelium cognoscat solertia), suivie d'une référence à l'intérêt porté par Charles le Chauve à l'abbaye de Saint-Médard. La désignation de celui-ci ne répond nullement aux usages de la chancellerie d'Eudes : Charles est toujours désigné comme prédécesseur d'Eudes et il reçoit ordinairement un titre de déférence (dominus ou senior meus), mais il est ici désigné par sa filiation de Louis le Pieux (beate memorie Karolum imperatorem, Hludovici piissimi augusti filium).

Les clauses finales reproduisent textuellement celles du diplôme authentique de Charles le Chauve de 866-870, dont l'original nous a été conservé (cf. éd. G. Tessier, Charles le Chauve, t. II, n° 338, p. 248). Mais ce dernier acte était d'une nature exceptionnelle : rédigé sur l'ordre du roi en forme très solennelle, bullé, pourvu du « Legimus » tracé au cinabre, il comportait une exhortation adressée au nom de la Sainte Trinité et dans la crainte du Jugement dernier aux futurs recteurs de l'abbaye, et des clauses comminatoires à l'égard des contrevenants. Bien que le fond n'appelle ici rien de semblable, ces clauses finales sont maintenues, y compris l'annonce de la bulle royale (tout comme dans un autre acte faux pour la même abbaye, 871, éd. G. Tessier, op. cit., t. II, n° 493, p. 634-639).

La date introduite par Actum ne comporte ni mois ni quantième, ni la formule finale d'apprécation In Dei nomine feliciter, tandis que le nom du lieu précède l'année de l'Incarnation. Enfin nous ne trouvons ni souscription royale, ni recognition de chancellerie.

L'examen interne souligne les maladresse de la rédaction : on trouve une liste de huit rois ou reines de la dynastie mérovingienne (aux filiations suspectes ou fausses) qui auraient fait des donations à l'abbaye. M. Brunel (op. cit., p. 78-79) a montré que les cinq actes mérovingiens dont le texte nous est conservé sont des faux évidents.

La confirmation apostolique de Jean VIII (2 janvier 876 ; cf. Jaffé, Regesta, 2e éd., n° 3033) de la partitio bonorum faite par Charles le Chauve (ainsi que le diplôme synodal de 871 : cf. Dom M. Germain, Histoire de l'abbaye royale de Notre-Dame de Soissons, p. 432) est rappelée en termes inadmissibles : « [Karolus imperator] apostolicae Sedis privilegio confirmavit ».

A la différence de la plupart des diplômes, nous ne trouvons aucune indication des requérants ; le dispositif de la première partie est ainsi annoncé : « Hujus rei gratia compunctus... concedimus ». Par contre dans la dernière partie, lorsque le roi confirme les biens antérieurement concédés par Charles le Chauve, nous trouvons seulement la petitio des moines, mais point de dispositif : « praefati fratres petierunt nobis ut villas... firmaremus ».

Il se pourrait qu'Eudes ait concédé à l'abbaye de Saint-Médard, le fisc de Cuisy avec ses dépendances ; il se peut surtout qu'il ait autorisé l'abbaye à se fortifier et qu'il ait réparé les murailles de Vic-sur-Aisne, Soissons et Vic se trouvant respectivement à 26 et 40 kilomètres de Chiry, près de Noyon, où les Normands hivernèrent en 890-891. Mais là se bornent les vraisemblances : la fin du diplôme a principalement pour but d'ajouter à la donation authentique de Charles le Chauve l'octroi de diverses abbayes (Choisy-au-Bac, Rethondes, la Croix-Saint-Ouen et une abbaye nantaise). C'est également à propos de ces abbayes qu'avaient été forgés d'autres faux de Saint-Médard : la fausse fondation de La Croix-Saint-Ouen par Dagobert (Ed. Pertz, Diplomata, p. 152, Spuria, n° 33), la fausse donation de Choisy-au-Bac par Louis le Pieux (cf. Böhmer-Mühlbacher, Regesten, n° 842), la fausse donation de Rethondes et de la Croix-Saint-Ouen par Charles le Chauve (éd. G. Tessier, op. cit., t. II, n° 493, p. 634-639).

Il semble bien que l'abbaye de Saint-Médard se soit engagée à deux moments différents dans le fabrication de faux diplômes d'une part au milieu du xe siècle, de l'autre au début du xiie. Il est bien vraisemblable que la forgerie du diplôme d'Eudes appartient à cette seconde période, où les moines n'avaient qu'une idée bien approximative de la diplomatique carolingienne. Elle devrait en tout cas être mise en relation avec la fabrication des diplômes mérovingiens que MM. E. Müller et Cl. Brunel ont justement placée au début du xiie siècle. Elle était de toutes façons réalisée lors de la compilation des Annales Sancti Medardi (début du xiiie s.).

Les passages imprimés en petit texte sont empruntés au diplôme de Charles le Chauve de 866-870 (éd. G. Tessier, op. cit., n° 338, t. II, p. 238).


Odo, gratia Dei rex Francorum. Omnium Christi fidelium cognoscat sollertia, beate memorie Karolum imperatorem, Hludovici piissimi augusti filium, erga monasterium sanctorum Medardi et Sebastiani ac Gregorii pape pie semper egisse et fratres ejusdem monasterii ferventi amore dilexisse et congruis eorum suggestionibus clementer favisse ; multa quoque ad eumdem locum de rebus propriis solemniter donatione facta contulit et omnia beneficia que predecessorum suorum, scilicet antiquorum regum Clotarii videlicet regis illius magni Clodoveii nobilissimi prolis, Sigeberti quoque prefati Clotarii filii, Chilperici et Childeberti regum, Brunechildis quoque regine et Theoderici nepotis ejus, Dagoberti et Clodovechi ac ceterorum Christi fidelium pia devotione prefatorum sanctorum monasterio collata sunt regie majestatis auctoritate corroboravit et apostolice Sedis privilegio confirmavit necnon episcoporum anathemate solidavit, ut adversus cupidorum insidias prefate basilice munirentur et auctoritate ecclesiastica fulcirentur, ne forte aliquando subsidii corporalis penuria in sancto proposito dispendium eorum anime paterentur et minus implere valerent quod Deo bonorum omnium auctori voverunt. Hujus rei gratia compunctus, pro statu, quiete et pace tocius regni Francorum ad memoratum locum concedimus fiscum nostrum, nomine Cusiacum, cum omnibus membris et appendenciis suis : Soleregium, Tartigerium, Milleium, Curcellas, Corbonis curtem, Filcheriolas, Olieium, Curteium, Lavallum, Bilceium, Caviniacum, Vallerisiacum, cum omnibus mobilibus et immobilibus, ecclesiis, domibus, edificiis, pascuis, aquis aquarumve decursibus seu famulis utriusque sexus ; Touvacum quoque super fluvium Axone, et Capriniacum in pago Laudunense, Fraxinidum in pago Santersi, Biterium quoque in comitatu Noviomensi cum duabus ecclesiis, Pinonem quoque et Bruneium, ad thesaurum et usum et utilitatem prefate basilice sanctorum Medardi et Sebastiani atque Gregorii pape, ad restaurandam fabricam et ad restauranda misteria aurea vel argentea et ad luminaria concinnanda sustentationemque pauperum atque hospitum receptionem ad memoriam prefatorum sanctorum veniencium, hec omnia solemni donatione facta concedimus ad thesaurum sanctorum reparandum et augendum, ad sustentandam totius fabricam templi et ad reintegrandum decorem et honorem domus Dei que nuper a Marcomannis igne combusta esse videtur. Munitionem quoque muratam et muro cinctam in circuitu ipsius monasterii fieri decrevimus propter insurgencium Danorum violentiam et infidelium inimicorum Christi insidias, ut absque excusatione Christi milites Deo semper in prefato monasterio valeant militari. Munitionem quoque Vici super fluvium Axone reparari fecimus propter eorumdem Danorum violentiam et ob memoriam beate recordationis Karoli imperatoris qui eamdem munitionem jamdiu fecerat ad petitionem venerabilis Berte sororis Hludovici imperatoris, in memoriam beate memorie Gregorii summi pontificis. Denique prefati fratres petierunt nobis ut villas ipsius ecclesie his nominibus designatas, predecessorum nostrorum largitate donatas, suis usibus profuturas auctoritate regia firmaremus, quarum hec sunt nomina : Croviacus, Domnoregius, Sodolegius, Berziacus, Marisiacus, Spicarius, Murocinctus, Cerniacus, Vadus, Malras etiam et piscinas supra mare, Albiacus, Exsolma, Caprea et Coprella, abbatia quoque Sancti Stephani prothomartyris de Causiaco et abbatia Sancti Petri de Retondis et abbatia de Cruce Sancti Audoeni et abbatia sanctorum martirum Donatiani et Rogatiani in pago Nannetensi sitas et piscinas et vannas in eodem pago Nannetensi sita. Quicquid autem a fidelibus Deum timentibus pro animarum suarum remediis eisdem monachis collatum est et in futuro conferetur absque alicujus rectoris contradictione teneant atque possideant. Ex omnibus itaque suprascriptis rebus hoc altitudinis nostre preceptum fieri deputavimus pro statu regni nostri et pro remedio et salute nostra confirmamus, precipientes regia potestate et per sanctam inviolabilem Trinitatem atque examen tremendi judicii angelorumque ac omnium sanctorum reverentiam conjurantes ut nemo rectorum per successiones quod nostro roboratum est edicto subtrahere vel minuere audeat aut ad usus suos retorquere vel alicui quidam inde in beneficium tribuat, sed neque servitia exactet. Qui vero aliter facere presumpserit aut hanc nostram confirmationem violare voluerit, a Deo cujus extitit contemptor poenis aeternalibus se dampnandum cognoscat. Ipsi vero monachi omnesque eorum res et mancipia cunctaque supellex in nostro successorumque nostrorum munimine ac mundeburdo indesinenter maneant. Et ut hec auctoritas, quam ob Dei amorem et anime nostre remedium statuimus atque roboravimus, firmiorem obtineat vigorem, manus nostre conscriptione subter eam firmavimus et de bulla nostra assignari jussimus.

Actum Compendio palatii, anno Incarnationis dominice VIIIc nongentesimo tercio, regni vero ejusdem gloriosissimi regis Odonis quinto, indictione XIa.


Localisation de l'acte

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