887, avril. — Tours (Abbaye [de Saint-Martin]).

Le comte Eudes, abbé de Saint-Martin de Tours, du consentement de l'archevêque Adalaldus, restitue aux chanoines de Saint-Martin, comme lieu de refuge, la « villa » de San Martino (« Solarium ») et le Val Camonica, sis en Italie, que Charlemagne leur avait donnés, et il leur en fait tradition par la remise de son gant au sépulcre du saint, à charge de prières pour « son seigneur » l'empereur Charles [le Gros], pour lui-même et pour son propre père, le comte Robert, jadis abbé de Saint-Martin.

Référence : Georges Tessier et Robert-Henri Bautier (éd.), Recueil des actes d'Eudes roi de France (888-898), Paris, 1967, no55.

A. Original perdu.

B. Copie du xviiie siècle par Baluze, Bibliothèque nationale, Collection Baluze, vol. 76, fol. 8 (anc. 10), d'après A.

a. É. Mabille, Les invasions normandes dans la Loire et les pérégrinations du corps de saint Martin (Bibliothèque de l'École des Chartes, t. XXX [6e série, t. V], 1869, p. 431, d'après B.)

Indiqué : É. Mabille, La pancarte noire de Saint-Martin de Tours, n° LXXXI, p. 107, et index chronologique, n° 83, p. 178.

Indiqué : Favre, Eudes, p. 72, n. 5 et 73.

Indiqué : E. Mühlbacher, Un diplôme faux... dans Mélanges Julien Havet, p. 133.

La date de cet acte — comme d'ailleurs celle de celui que nous publions ci-après (n° 56) — peut prêter à discussion. Certes les trois éléments qu'elle contient nous indiquent nettement l'année 886 : 6e année du règne de l'empereur Charles [III le Gros] en Italie, 4e en Germanie (Francia) et 2e en Gaule. Cependant, bien que comportant ces trois mêmes éléments chronologiques, l'acte conciliaire qui en confirmera peu après les dispositions, mentionne en plus l'année de l'Incarnation : 887, et l'indiction V, qui répond à cette même année 887. L'acte d'Eudes est, de plus, daté de la première année de son abbatiat ; or, il succéda dans cette charge à Hugues l'Abbé qui, la date est certaine, mourut de maladie le 12 mai 886. L'acte d'Eudes étant d'avril ne peut donc être que d'avril 887. En avril 886, il était d'ailleurs enfermé dans Paris, assiégé par les Normands et bien empêché de s'occuper de l'administration de son abbaye tourangelle.

L'acte par lequel le comte Eudes restitue à la mense canoniale de Saint-Martin la « villa » de « Solarium » et le Val Camonica est une des pièces maîtresses du dossier confus des biens de Saint-Martin de Tours en Lombardie, ce dossier comprenant des pièces qui ne mentionnent pas exactement les mêmes biens et qui, par là, ne paraissent pas s'accorder entre elles ; parmi elles, figurent un faux incontestable, le faux de Bérenger Ier de 896, un acte conciliaire de 887, taxé de faux par le dernier érudit qui l'ait étudié, et des membres de phrase présumés interpolés dans des diplômes de Charlemagne (774) et de Charles le Gros (887). Ceci nous invite donc à revoir de près l'ensemble du dossier.

C'est Charlemagne — de concert avec sa femme Hildegarde — qui, peu de temps après sa campagne victorieuse de Lombardie, donna à Saint-Martin de Tours d'importants domaines italiens, en vertu d'un diplôme expédié de Pavie même le 16 juillet 774 ; vers le même moment, il octroyait à l'abbaye de Saint-Denis l'immense domaine de la Valtelline, contigu à celui de Saint-Martin de Tours. Les biens de Saint-Martin étaient constitués de deux ou trois groupes distincts : l'île et le « castellum » de Sirmione dans le lac de Garde, avec le « monasteriolum » de Saint-Sauveur, récemment édifié par Ansa, femme du roi Didier, dans le « castrum » et avec toutes les dépendances de ce palais ; — le Val Camonica, dont les limites sont fixées ; — enfin l'hospice (xenodochion) de Sainte-Marie, construit entre Pô et Tessin, près de Pavie, au lieu-dit Wahan, avec la « villa » de « Solarium », une petite maison à Pavie et leurs dépendances. D'après le contexte, il semble bien que le Val Camonica était alors considéré comme une dépendance du palais de Sirmione : il s'étendait en effet entre le pays de Brescia, le Bergamasque et le Trentin, jusqu'au col de Tonale, et comprenait le « saltus Candinus », autrement dit la grande forêt de Condino, entre la partie supérieure du lac de Garde et le Val Camonica, « usque ad Dalanias », c'est-à-dire, selon toute probabilité, le Val di Daone, principale vallée secondaire du Trentin occidental.

De cet acte de Charlemagne, la Pancarte noire, antérieure à 1142, et la Pancarta alia de Saint-Martin de Tours nous ont livré une version interpolée où les mots « et Piscariam ac Lianam » ont été ajoutés après la mention du château de Sirmione.

Pourtant les actes des souverains francs ne donnent sur le sort de ces biens aucune précision : les diplômes de Louis le Pieux en 816, de Charles le Chauve en 854, de Louis II en 878, de Carloman en 880-884 et de Charles le Gros en 886, se bornent à confirmer de façon très générale les possessions de Saint-Martin dans tout le royaume et notamment « en Italie », sans les désigner autrement. On doit par ailleurs noter que certains de ces souverains ne faisaient que reprendre de façon quasi-automatique les diplômes de leurs prédécesseurs, puisque leur pouvoir ne s'étendaient pas sur des territoires qui faisaient alors partie du royaume italien.

A l'époque du comte-abbé Eudes, les biens — ou au moins certains d'entre eux — après avoir été administrés par les religieux, auraient été intégrés à la mense abbatiale, puisque son acte se présente comme une restitution pure et simple, mais il s'agit seulement de « Solarium » et du Val Camonica. Il n'y est plus question de Sirmione et de ses dépendances, et pas davantage dans l'acte conciliaire contemporain par lequel était solennellement confirmée la restitution d'Eudes. Peut-être Saint-Martin de Tours les avait-elle perdus au cours du ixe siècle ? Mais rien n'empêche qu'il y ait eu partage de ces biens italiens entre les deux menses et que Sirmione (la partie la moins étendue, mais certainement la plus riche de la donation de Charlemagne) soit restée entre les mains des religieux. Confirmant la restitution d'Eudes, Charles le Gros mentionnera les biens restitués par le comte-abbé, mais signalera parmi eux « Liana » qui était l'une des deux localités dont le nom avait été interpolé dans l'acte de Charlemagne. En outre, une interpolation, passée dans la Pancarte noire et dans celle dite alia, incluent abusivement dans ce diplôme de Charles le Gros, mais sans mentionner Sirmione, le nom de la seconde localité interpolée dans le diplôme de 774, « cortem Piscariam »...

Otton II confirmera entre décembre 980 et juillet 983 les biens de Saint-Martin de Tours en Lombardie : outre les possessions confirmées par Charles le Gros, il mentionne cette fois Sirmione, comme en 774, et en outre, occasionnellement, parmi les dépendances de ce domaine, Peschiera.

Otton III enfin délivrera à l'abbaye le 1er mai 998 un diplôme général de confirmation de ses biens italiens. Nous y retrouvons reproduite la liste des biens telle qu'elle figurait dans le diplôme de Charlemagne de 774, y compris ses interpolations : « curtem Piscariam et Lianam ». Mention y est faite du diplôme de Charles le Gros confirmant la restitution d'Eudes, ainsi qu'une allusion transparente à un diplôme du roi d'Italie Bérenger Ier.

Ce diplôme par lequel Bérenger était censé restituer à Saint-Martin l'ensemble de ses biens italiens et dont le texte nous est parvenu par les copies de la Pancarte noire, est un faux manifeste, comme l'a parfaitement démontré L. Schiaparelli. Daté de Pavie le 15 février 896, il se présente comme délivré sur présentation de lettres du comte-abbé de Saint-Martin Robert, qualifié « gloriosi post regem principis, Franciae scilicet et Neustriae, Aquitaniae quoque sive Britanniae ». Entre bien d'autres invraisemblances, la suscription royale et le monogramme sont de pure imagination et le diplôme désigne comme déjà morte la fille du roi, Gisla, femme du marquis Adalbert, alors qu'à cette date le mariage n'avait pas encore été célébré. Ce faux diplôme de Bérenger avait été, sans nul doute, forgé à Saint-Martin de Tours pour être présenté à Otton III à l'appui de la requête des religieux. Cela atteste à nos yeux qu'en cette fin du xe siècle Saint-Martin de Tours ne jouissait plus, ou n'avait plus qu'une jouissance incomplète, de l'ensemble des biens jadis donnés en Italie par Charlemagne et en partie restitués par Eudes.

Nous ignorons quel fut l'effet du diplôme d'Otton III. Par la suite, il n'est plus question de la possession du Val Camonica ou de Sirmione et de ses dépendances par Saint-Martin : nous retrouvons ces derniers domaines beaucoup plus tard entre les mains des Scaligeri. L'abbaye conserva « Solarium » qu'elle abandonna en 1101 au prieuré de Saint-Côme.

Nous avons parlé d'interpolation à propos des diplômes de Charlemagne et de Charles le Gros lorsque nous avons constaté que les domaines de « Pescaria » et de « Liana » figuraient dans des copies ultérieures parmi les biens concédés ou confirmés. A nos yeux cependant, il s'agirait là bien moins d'une interpolation proprement dite à fin frauduleuse que d'une véritable glose explicative.

En 774, en effet, au moment où il prend possession du royaume lombard, Charlemagne donne simplement à Saint-Martin de Tours Sirmione et tous les biens qui dépendent de son palais royal, sans autrement préciser. Or, il est fort vraisemblable que Peschiera, « piscaria » sur les bords du lac de Garde, à proximité de Sirmione, et future « curtis », faisait partie de la donation sans que son nom ait été prononcé. Il en était sans doute de même de « Liana » : cette localité n'a pu jusqu'ici être identifiée par les historiens (Mabille, Mühlbacher, Schiaparelli, Kehr, etc.) ; tout au plus P. Kehr a-t-il proposé, de la façon la plus dubitative, d'y voir Lonato, au sud-est de Brescia. Nous proposons, pour notre part, de l'identifier avec la chapelle de San Martino, rendue célèbre par la bataille de ce nom durant la campagne de l'indépendance italienne de 1859 : San Martino est une bourgade située sur la moraine méridionale du lac de Garde, au sud immédiat de la péninsule de Sirmione et elle jouxte les terroirs de Sirmione et de Peschiera.

Quant à la « villa » de « Solarium », Mabille y voyait « Solari, ville de la Lombardie » (!) ; Schiaparelli, Solario dans le canton du Tessin, et Mühlbacher et Kehr, la localité piémontaise de Solero, à 10 kilomètres à l'ouest d'Alexandrie. Aucune de ces identifications ne convient ; la seule homophonie ne suffit pas pour localiser « solarium » ou « solerium », non commun si répandu dans tout l'Occident méditerranéen. Le « Solarium » de Saint-Martin est en fait directement lié à un hospice ou « xenodochion », lequel était situé près de Pavie, puisque Charlemagne donne à Saint-Martin ce « sinadochium... cum villa Solario vel omnibus appendiciis eorum » et qu'inversement Otton III mentionnera « curtem quoque Solarium cum senodochio illo ». D'après le contexte, cet hospice était sis « inter Padum et Ticinum... prope Papiam civitatem » : il s'agit de toute évidence de San Martino (jadis Corte San Martino), situé non loin du confluent du Pô et du Tessin, à 2 km 500 de l'un et de l'autre fleuve, juste au sud du pont fameux de Pavie, à une très importante fourche routière du Moyen Age, au point où la route Pavie-Verceil-Ivrée se détachait de la grande voie nord-sud de Milan à Gênes par Pavie et Voghera. Le roi Bérenger y délivrera un diplôme le 15 juillet 915 : « in corte Sancti Martini in Solaria. »


In nomine summi Salvatoris Dei. Ego Odo, misericordia Dei comes et pietate Dei abbas congregationis sancti Martini, notum fieri volumus omnibus sanctae Dei Ecclesiae fidelibus, praesentibus et futuris, quoniam congruum atque oportunum visum nobis fuit ut aerumnas praesentis seculi qualiter Deo servientes et sancto Martino levius ferrent, secundum nostrae possibilitatis modum tractaremus idque exequi rationabiliter procuraremus, quatinus exinde Dominum propitium habere mereremur sanctumque Martinum, patronum nostrum, in nostris necessitatibus pium suffragatorem. Quocirca pro amore Dei omnipotentis et eximii confessoris sui beati Martini reverentia, una cum consensu venerabilis archiepiscopi domni Adalaldi, reddimus domno Martino suisque canonicis quasdam villas sitas in Italia, Solarium videlicet et vallem Caumoniam, cum omnibus earum appendiciis et adjacentiis simulque cum omnibus rebus quacunque lege ad easdem villas aspicientibus vel pertinentibus, quas enim villas dederat olim gloriosissimus imperator augustus magnus Karolus Deo et gloriosissimo patrono sancto Martino, ut inde quaedam subsidia fratribus ministrarentur. Et nos quidem ea ratione praedictas res ad integrum canonicis jam dicti sancti Martini reddimus per guantum nostrum ad sepulchrum ubi ipse eximius confessor requiescit in suburbio Turonensis ecclesiae, ut eas ad confugium suorumque peculiare sub integritate, absque ullius abbatis resultatione ac repetitione, tenere et possidere fructibusque illarum frui possint veluti proprii possessores et dominatores ipsarumque villarum sumptibus quantumcunque inaediam quam patiuntur valeant sublevare et promptiores in Dei servitio in dies apparere frequentiusque aurem Domini pro imminentibus periculis pulsare ; in qua mercede in primis gloriosum et a Deo electum imperatorem, domnum et seniorem nostrum Karolum, participem volumus adesse, quatinus pro his et pro aliis beneficiis quae cotidie a sui regni fidelibus funguntur praesentem vitam gloriosius futuramque facilius optinere mereatur, deindeque nos, qui hujus beneficii fideles executores et operatores adsumus, Domini misericordia intercessioneque sancti ac domni nostri Martini, in omnibus hujus saeculi incommoditatibus praeveniri mereamur futurique commoda, eorundem canonicorum fidelibus precibus adjuti adipisci nihilominus possimus, illorumque continuis annumerari orationibus, quae tam in missarum sollemniis quam in melodiis psalmorum fiunt unusque ex ipsis in medio apparere, pro qua etiam mercede decantabunt mihi idem fratres et in vita et post obitum psalmos VII speciales quos Ecclesia poenitentiae dedicatos habet. Insuper etiam ejusdem numeris beneficio simul consortem volumus esse domnum et genitorem meum Rotbertum, gloriosum dum vixit in terris comitem et ejusdem loci abbatem, quatinus, clementi praedicti Patris misericordia subventus, perfrui mereatur gloria aeterna. Eo quin etiam modo praedicto, scilicet eisdem fratribus omnes praedictas res concedendo, restituimus ut eas ad illorum necessitates supplendas habeant easque usui proprio subditas omni in tempore sub integritate possideant, a nemine nostrorum equalium praesentium aut subsequentium procerum resultationem aut ullam inquietudinem unquam recipientes. Quod vero si aliquis temptaverit, in primis iram Dei incurrat et offensam sancti Martini sentiat, nisi cito se recognoverit satisfactionemque dignam reddiderit. Ut autem haec auctoritas firmior habeatur et per futura tempora melius conservetur eam manu propria subscripsimus et nobilium hominum manibus roborandam decrevimus.

Ego Odo comes et abba hanc auctoritatis cartam a me factam recognovi et annotavi.

Ego Adalaldus archiepiscopus subscripsi.

S. Ademari comitis. — S. Attonis.... — S. Alberici. — S. Armenterici. — S. Letaldi. — S. Guarnegaudi. — S. Arcarii. — S. Adalelmi. — S. item Attonis. — S. Sigleni. — S. Ragenaldi. — S. Guandalberti. — S. Burgaldi. — S. Guanilonis. — S. Germunni. — S. Gualtarii. — S. Fulconis. — S. Gauzfredi.

Data in mense aprili, anno .vi. in Italia et in Francia .iiii. et in Gallia ii regnante serenissimo et piissimo imperatore Karolo.

Ego Odulricus subdiaconus scripsi et subscripsi. Actum Turonis monasterio, anno .i. Odone abbate.


Localisation de l'acte

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