889, juin.

Eudes, à la requête de l'évêque Ermemirus [de Gérone] et du comte Sunyer [d'Ampurias], prend sous sa protection et mainbour l'abbaye de Saint-Polycarpe, sur le Rieugrand, en Razès, dont Arnoul (Arnulfus) est abbé, et ses biens tels qu'ils ont été définis dans les actes de l'abbaye et confirmés par les rois ses prédécesseurs, savoir : dans le comté de Razès, Gaja, Missègre, Sainte-Croix, « ipsos Decus », des terres dans la « villa » de Luc[-sur-Aude], à Peyrolles, Cassaignes et Bugarach, des biens dans la villa de Salles, à Luguel et Cournanel ; dans le comté de Carcassonne, Cornèze et l'église Saint-Paul ; au-delà du Perthus (la « Clusa »), dans le comté d'Ampurias, l'église de Sant-Feliù dans la garrigue ; dans celui de Perelada, les églises de Sant-Pere [de Rodes] et de Sant-Fruitós [de la Vall de Santa-Creu] avec le « villar d'Armorotas », Sant-Joan[-ses-Closes], Sant-Cebrià [de Pineda] et une condamine ; dans le comté d'Elne, les biens que le comte Guistrimirus a donnés à l'abbaye, « Palatiolum » et Saleilles ; dans le Peyrepertusès, Paza. Le roi concède en outre l'immunité au monastère et à ses biens et la liberté de l'élection abbatiale, sous peine d'une composition de 600 sous infligée au contrevenant.

Référence : Georges Tessier et Robert-Henri Bautier (éd.), Recueil des actes d'Eudes roi de France (888-898), Paris, 1967, no7.

A. Original perdu.

B. Copie du xiiie siècle, Bibliothèque nationale, ms. lat. 11832, fol. 1-1 bis, d'après A. En tête : « Pro Mellisirico producitur et subsequens instrumentum... ».

C. Copie du xviiie siècle, pour Dom Bouquet, Bibliothèque nationale, n. acq. fr. 22211, fol. 63, d'après B.

D. Copie incomplète du xviie siècle, Bibliothèque nationale, ms. lat. 17674, fol. 46, d'après B.

a. Dom Luc d'Achery, Spicilegium, éd. in-4°, t. VIII, p. 354 ; éd. in-fol, t. III (1723), p. 366 (avec quelques variantes), « ex schedis D. d'Hérouval ».

b. Histoire générale de Languedoc, t. II, Preuves, col. 24, n° IX ; éd. Privat, t. V (1875), col. 79, n° IX, d'après B et a.

c. Recueil des historiens de la France, t. IX, p. 445, n° VI (ad ann. 888), d'après a.

Indiqué : Bréquigny, Table chronologique, t. I, p. 341.

Indiqué : Böhmer, Regesta, n° 1876.

Ce diplôme pose de graves problèmes, car il confirme à l'abbaye un certain nombre de biens auxquels elle avait prétendu dans le passé, mais auxquels elle avait été contrainte de renoncer à la suite de deux jugements royaux. S'agirait-il donc ici d'un acte subreptice ou, pis encore, d'un acte authentique, soigneusement interpolé par les soins des moines ? La première solution doit être retenue.

Aucune allusion en effet n'est faite aux jugements antérieurs, ni même aux litiges qui opposèrent si violemment dix ans auparavant les moines de Saint-Polycarpe à ceux de Sant-Esteban de Bañolas. Mieux même, bien que dans des préceptes Charles le Chauve, et déjà dans doute Louis le Pieux, aient concédé à Saint-Polycarpe l'immunité et la liberté de l'élection abbatiale, il semble qu'ici Eudes octroie ces privilèges pour la première fois au monastère. Ce silence sur les actes de ses prédécesseurs n'est généralement pas dans les habitudes de ce roi. Certes une allusion indirecte est faite aux diplômes antérieurs, mais par une formule vague, noyée dans le corps du texte : sicut precedentes reges comprobantur hactenus preceptorum indagine fecisse. Aucune phrase n'est empruntée aux diplômes précédents, et les biens litigieux, comme pour mieux être dissimulés, sont qualifiés « ecclesie » et non pas « celle ».

Il s'agit des prieurés établis sur le promontoire du Cabo Creus et, pratiquement, de la propriété de la majeure partie de ce vaste promontoire, avec la future abbaye de Sant-Pere de Rodes, Sant-Fruitós de la Vall de Santa Creu, Sant-Joan ses Closes et Sant-Cebrià de Pineda. Sans doute, dès 844 Charles le Chauve les avait-il confirmés à l'abbaye de Bañolas (reconstitution de l'acte par R. d'Abadal, Catalunya carolíngia, II, 1, Bañolas, n° II, p. 48-54) ; en tout cas, cette abbaye en reçoit confirmation le 21 février 866 (éd. G. Tessier, Charles le Chauve, t. II, n° 289, p. 138-141). Cependant sur la foi d'un acte de donation (à bon droit suspect), un autre précepte est délivré par Charles le Chauve à Saint-Polycarpe pour ces mêmes biens, alors qu'en 844 il n'en était nullement question dans le diplôme délivré à l'abbaye (éd. G. Tessier, op. cit., I, n° 50, p. 144-146).

Le litige est porté par les deux abbés au plaid royal à Attigny en juin ou au début juillet 870. Après examen des pièces, le roi confirme Bañolas dans sa possession, lui délivre un nouveau diplôme et ordonne à l'abbé de Saint-Polycarpe de remettre ses propres titres à son adversaire pour éteindre toute revendication à ce sujet. Néanmoins, peu de temps après, des moines de Saint-Polycarpe sont envoyés pour prendre possession des biens contestés et cela avec une lettre scellée du roi (lettre subreptice ou même simplement fausse) avec laquelle ils abuseront l'évêque et le comte du pays.

L'affaire est soulevée au concile de Troyes en présence du pape et de Louis II. Celui-ci tranche de nouveau en faveur de Bañolas et fait remettre à l'abbé un nouveau diplôme confirmatif (éd. d'Abadal, op. cit., t. I, Bañolas, n° IV, p. 58-61). En conséquence un nouveau plaid se tient dans le comté de Perelada : à Castellón le représentant de l'abbaye de Saint-Polycarpe renonce à toute prétention sur les biens contestés et une notice en est dressée (éd. Villanueva, Viaje literario, XIV, ap. 25).

La cause semble alors entendue : Carloman ne souffle mot de ces biens dans son diplôme pour Saint-Polycarpe, alors que Charles le Simple en confirme la propriété à Bañolas, le 9 avril 916 (éd. Lauer, Recueil des actes de Charles III..., t. I, n° LXXXV, p. 190-192).

Et pourtant le présent diplôme d'Eudes les mentionne à nouveau parmi les possessions de Saint-Polycarpe et en des termes qui ne se présentent dans aucune des pièces du dossier. Certes il ne semble pas que sur ce point le diplôme ait été suivi d'effet ; mais, puisqu'il ne s'agit pas de la répétition mécanique d'un acte antérieur, il est difficile de ne pas y voir un acte subreptice ou peut-être une interpolation. L'affaire, venue deux fois au plaid royal, avait fait assez de bruit pour qu'en 944 encore, un diplôme de Louis d'Outremer, tranchant sur le sort de l'abbaye de Sant-Pere de Rodes, fasse encore une allusion directe au vieux débat à son sujet entre Bañolas et Saint-Polycarpe (éd. Lauer, Recueil des actes de Louis IV, n° XXIII, p. 55-57 ; d'Abadal, op. cit., II, 1, Sant-Pere, n° 1, p. 226-228).

Nous pourrions ajouter que c'est peut-être en raison de ces prétentions que l'abbaye n'a conservé aucune trace du diplôme de Louis le Pieux et aucune copie ancienne de celui de Charles le Chauve qui ne faisaient aucune allusion à ces biens d'au-delà des Pyrénées ? Nous noterons, en tout cas, que, selon sa rubrique même, B a été établi au xiiie siècle pour la défense des droits de l'abbaye sur Missègre-en-Razès.

Remarquons que la date de ce diplôme — comme celle des nos 6 et 8 — ne comporte ni le quantième ni l'indication du lieu d'expédition ; la datation de l'année du règne est, de plus, réduite à une formule brève, inhabituelle : anno II Odonis regis. Ce diplôme est l'un des rares actes de ce moment du règne où les trois éléments de datation : indiction, année de l'Incarnation et année du règne, coïncident. En était-il ainsi dans l'original ou l'année de l'Incarnation a-t-elle été, par le scribe du xiiie siècle, mise en harmonie avec les deux autres éléments ? C'est un fait pourtant que a et b donnent DCCCLXXXVIII : est-ce dû à une autre tradition dont a se serait fait l'écho ou bien à quelque faute de transcription ou de lecture de L. d'Achery ou de son informateur d'Hérouval ? A notre avis, en tout cas, il n'y a guère de doute possible sur la date : il s'agit bien de juin 889 et le diplôme aura été délivré avec la longue série d'autres actes qu'Eudes fit expédier en juin 889 d'Orléans ou de Saint-Mesmin et sans doute de la même main que le n° 6 dont nous retrouvons ici la formule abrégée de datation et la graphie des noms du notaire et de l'archichancelier.

Le texte de B a été copié directement sur l'original : il reproduit le monogramme et indique les lettres allongées de la souscription royale. Il ne manque pas d'erreurs de lecture ; mais comme il n'y a aucune apparence quelconque que les autres copies et les éditions aient été établies sur un texte différent et que les variantes de a et de b représentent moins des variantes proprement dites que des corrections, nous avons pris B pour base de notre publication.

B a partout e au lieu de ae ou de ę, selon l'habitude du xiiie siècle ; nous préférons suivre cette pratique, plutôt que de restituer avec a et b des ae hypothétiques.


In nomine Domini Dei eterni et Salvatoris nostri Jhesu Xpisti. Odo misericordia Dei rex. Si servorum Dei loca divinis cultibus mancipata hoc merito nostre celsitudinis augemus atque beneficia oportune largimur sine dubio ob id nobis propitium Deum minime diffidimus. Quocirca noverit omnium fidelium nostrorum, tam presentium quam et futurorum, solercia quia addierunt nostram clementiam venerabilis Enermirus episcopus et comes Soniarius et deprecati sunt ut monasterium constructum in honore beati Policarpi, pontificis et martiris, ubi Arnulfus abba preesse dinoscitur non modice turbe monachorum, quod monasterium situm est in pago Redensi super fluvium Rivograndi, quatinus ipsum locum in nostra defensione cum omnibus ad eum pertinentibus haberemus simul et defensione, sicut precedentes reges comprobantur hactenus preceptorum indagine fecisse. Quod nos quoque audientes, libenter eorum acquievimus consiliis et prefatum cenobium sub nostro munburdio hac tuitione statuimus, ut nullus deinceps successorum nostrorum de hiis que in eorum preceptis, privilegiis atque cartulis continetur, ausu temerario presumat invadere, id est : in comitatu Redense, Gajano cum suis pertinentibus, sicut in eorum scriptis continetur, et Melisirico et Sanctam Crucem et ipsos Decus, et in termino de villa que dicitur Luco et Petrolas hac Cassanias et Bugaragio terras cultas et incultas, sicut in eorum continetur cartulis, et in villa que dicitur Salas et in Lugello et in Corniliano quicquid per cartulas videntur habere ; et in comitatu Carcasensi Corniciano cum ecclesia Sancti Pauli cum terminis et ajacenciis suis ; et ultra Clusa in comitatu Impurinencium in ipsa garrica ecclesiam Sancti Felicis cum terminis et ajacentiis suis ; et in Petralatensi ecclesiam Sancti Petri et Sancti Fructosi constructas, cum propriis terminis propriisque finibus, una cum villare eis pertinente situm in Armorotas supra taxatum Magregerum, et Sanctum Joannem sus Pineta et Sanctum Cyprianum, cum propriis ajacentiis, et in alio loco condaminam modiorum VI ; et in comitatu Elenensi res quas Guistrimirus comes eidem monasterio delegavit, id est Palatiolum et Sallelas ; et in Petra pertusense Petianum cum suis appendiciis et quicquid ibi fuit visus habere vel possidere. Hec omnia, et quicquid studium bonorum hominum adquisivit vel adquirere poterit aut condonare, sancimus ut nullus successorum nostrorum nullusque mortalium hujus nostre auctoritatis ausu temerario presumat invadere ; set liceat monachis sub regulari tramite Deo servire et per studium sancte Dei ecclesie votis continuis exorare. Statuimus etiam et precipimus ut nullus judex publicus ad causas audiendas vel freda exigenda aut mancionaticos vel paratas faciendas vel homines intra potestatem jamdicti monasterii distringendos neque servos aut ingenuos aut ullas redibitiones exigendas exigere presumat. Precipimus etiam ut, obeunte abbate, non alius ibi subrogetur, nisi quem omnis congregacio comuni voto elegerit. Quisquis autem hujus loci immunitatem infregerit ac que superius statuimus violaverit, .VI. centos solidos conponere faciat. Ut hec autem precepti nostri auctoritas nobiliorem obtineat vigorem per futura tempora, manu propria subter firmavimus et anulo nostro signare rogavimus.

Signum Odonis (Monogramma) gloriosissimi regis.

Troannus notarius ad vicem Ebuli recognovit.

Datum mense junio, anno DCCC.LXXXVIIII, inditione VII, anno II. Odonis regis. In Dei nomine, feliciter. Amen.