S.d. [1128, 10 juin]. — S.l. [Janville].

Seconde lettre de Louis VI à Honorius II, relative à la réforme de Saint-Martin-au-Val de Chartres : le roi annonce au pape qu'après enquête du comte [de Blois et de Chartres], Thibaud IV, et à la prière de ce dernier, il a donné cette église aux moines de Marmoutier et lui demande d'entériner cette concession.

Référence : Jean Dufour et Robert-Henri Bautier (éd.), Recueil des actes de Louis VI roi de France (1108-1137). Vol. 2 : 1126-1137 et appendices, Paris, 1992, no267.

A. Original perdu, autrefois scellé d'un sceau pendant sur lacs de soie.

B. Copie du xviie siècle, par Dom Estiennot, Bibliothèque nationale, lat. 12776, p. 236, sans indication de source, sous le titre : « Ludovicus, Francorum rex, notum facit H[onorio] papae se dedisse monachis Majoris Monasterii ecclesiam de Valle ».

a. Mabillon, Annales ordinis sancti Benedicti, t. VI, p. 166, sans indication de source.

b. R.H.F., t. XV, p. 341, n° VI, d'après a.

c. J. Soyer, Les actes des souverains antérieurs au XIVe siècle conservés dans les Archives départementales du Loiret : IV. Fonds du prieuré de Saint-Martin-au-Val de Chartres, dans Le bibliographe moderne, 23e vol., 1926-1927, n° V, p. 183, d'après diverses copies autrefois conservées aux Archives départementales du Loiret et détruites en 1940.

Traduction : H. d'Arbois de Jubainville, Histoire des ducs et des comtes de Champagne, t. II, Paris, 1860, p. 289.

Indiqué : Bréquigny, Table chronologique, t. II, p. 560.

Indiqué : A. Luchaire, Institutions monarchiques, t. II, p. 108, n. 1.

Indiqué : Th. Schieffer, Die päpstlichen Legaten in Frankreich vom Vertrage von Meersen (870) bis zum Schisma von 1130, Berlin, 1935, p. 230.

Indiqué : É. Bournazel, Le gouvernement capétien, p. 12, n. 31.

Indiqué : R.-H. Bautier, Paris au temps d'Abélard, p. 71, n. 3.

Indiqué : T. Reuter, Zur Anerkennung Papst Innocenz' II. Eine neue Quelle, dans Deutsches Archiv für Erforschung des Mittelalters, t. 39, 1983, p. 396, n. 7 ; p. 397, n. 8.

Ce document, tel que nous le connaissons aujourd'hui, fait difficulté. Il appartient en premier lieu à un dossier constitué essentiellement de textes remaniés, interpolés ou tout simplement faux ; citons :

Seules paraissent sincères les bulles de Honorius II du 17 novembre 1128 et d'Innocent II du 27 janvier 1131, toutes deux conservées en original du temps de J. Soyer.

Si l'on passe maintenant à l'examen proprement dit de la présente lettre de Louis VI, on observe que les éléments plaidant en sa faveur contrebalancent sensiblement ceux que l'on peut invoquer à son encontre.

Plusieurs points choquent, il est vrai. Tout d'abord, cette lettre (originale ou pseudo-originale ?) se trouvait encore avant-guerre dans le fonds de l'abbaye bénéficiaire et non dans celui du destinataire, en l'occurrence les archives pontificales. D'un autre côté, trois des sources citées par J. Soyer la mettent au compte de Henri Ier qui l'aurait adressée au pape s. Léon, c.à.d. Léon IX (1049-1054). Enfin, ces mêmes sources signalent qu'elle était scellée d'un sceau royal (donc de Henri Ier) de cire rouge pendant sur lacs de soie rouge ; si ce document de taille fort modeste pouvait s'accommoder d'un tel scellement, il convient de rappeler que ni la cire rouge, ni l'attache de soie rouge n'avaient habituellement cours à la chancellerie royale du xie siècle (et même encore du xiie siècle).

Si l'archivistique et d'une certaine manière les caractères externes, tels que nous les fait connaître J. Soyer, impressionnent défavorablement, les caractères internes et les circonstances historiques nous empêchent d'être trop sévère dans notre jugement. En effet, rien n'est aberrant ni dans son protocole, formé d'une adresse et d'un salut tout à fait classiques, ni dans son eschatocole, réduit au Valete. D'autre part, le texte met en scène Thibaud IV, comte de Blois et de Chartres, qui aurait bien fait don en 1128 du monastère de Saint-Martin-au-Val à Marmoutier, afin d'accomplir un vœu de sa mère Adèle. Le contexte historique nous offre encore plus de garantie : la charte de Geoffroy de Lèves, évêque de Chartres, investissant le 25 juin 1128 Marmoutier de Saint-Martin-au-Val, fait intervenir dans cette affaire Mathieu d'Albano ; or, nous savons que dans le même temps le légat pontifical, entouré de nombreux prélats, notifia à Janville une disposition royale en faveur de Saint-Martin-des-Champs. Comment en outre expliquer qu'un faussaire se soit attaché à forger un document de pure procédure (car en fait il ne s'agit que de cela) et ait même imaginé l'expédition par Louis VI d'une première lettre au pape ?

Deux possibilités s'offrent à nous pour tenter d'expliquer l'existence de ce dossier composé entre autres de plusieurs faux et de cette lettre suspecte. Dans un cas, le plus favorable au présent document, les moines de Marmoutier auraient forgé de toutes pièces, ou plus simplement remanié, des actes des ixe-xiie siècles, afin de mettre la main en 1128 sur Saint-Martin-au-Val sous prétexte de réforme. Autrement, les religieux auraient constitué un dossier fait à peu près exclusivement de faux (dont les lettres de Louis VI), beaucoup plus tard, à la fin du xiie ou au xiiie siècle, à l'occasion de quelque conflit relatif à Saint-Martin-au-Val : cela expliquerait le scellement de même nature et aberrant pour les xie-xiie siècles à la fois de la charte de Geoffroy de Lèves et de la lettre de Louis VI examinée ici.

Que conclure ? Malgré les anomalies relevées plus haut, nous serions assez enclin à « sauver » ce document (et par conséquent la première lettre perdue adressée par Louis VI à Honorius II), au moins sous la forme où nous le connaissons actuellement ; en effet, nous le considérons comme un simple acte de « procédure », relativement peu important pour les moines de Marmoutier ; il s'inscrit d'autre part parfaitement dans le contexte historique des années 1125-1130, au cours desquelles on procéda à la réforme de nombreuses églises par l'intermédiaire de grandes abbayes comme Saint-Denis.

Restent à expliquer le scellement aberrant de ce document, la raison de sa conservation dans les archives de l'auteur, ainsi que son attribution à Henri Ier. Il est possible qu'un moine tourangeau ait voulu donner plus de poids (à la fin du xiie ou au xiiie siècle) à diverses pièces produites lors d'un procès en les scellant d'un beau sceau, susceptible d'impressionner les juges. Le fait que la lettre royale n'ait pas été expédiée viendrait soit du peu d'importance que les moines de Marmoutier lui attachaient, soit de l'intervention immédiate de Mathieu d'Albano, alors sur place, qui aurait tranché l'affaire et par là-même jugé l'expédition inutile. L'attribution par des copistes de la lettre royale à Henri Ier (et non à Louis VI), adressée à Léon IX (et non à Honorius II), peut venir enfin tout simplement d'une mauvaise lecture de ces noms sur l'original ou mieux d'une résolution incorrecte des sigles H et L, désignant destinataire et expéditeur ; le moine fautif, peu au courant de la forme diplomatique des lettres médiévales, aura en outre inversé les termes de cet échange épistolaire (en comprenant Henricus... Leoni...).


Texte établi d'après Ba et c. Graphies de c.

Honorio, Dei gratia summo pontifici et patri suo karissimo, Ludovicus, eadem gratia Francorum rex, salutem et fidele servicium. Karitati vestrae notificamus quatinus hoc quod de negotio Beati Martini Carnotensis de Valle vobis scripsimus, nondum rei veritate plene investigata mandavimus. Nunc autem per fidelem nostrum comitem scilicet Theobaldum veritate cognita, precibus illius adquiescentes, monachis Majoris Monasterii ecclesiam illam concedimus et, ut concedatis, quia nobis bonum videtur, karitatem vestram suppliciter postulamus. Valete.