[1128, fin mai-2 août]. — Paris.
Louis VI, <duc d'Aquitaine,> à la demande d'Aveline, abbesse [de Sainte-Bathilde] de Chelles, et des communautés de clercs et de moniales de ce lieu, transmise par l'intermédiaire de Raoul, comte [de Vermandois], confirme la concession de l'immunité à l'abbaye de Chelles, déjà présente dans les préceptes de Charles, de Louis et d'autres rois, ses prédécesseurs ; il accorde, en outre, aux religieuses la liberté de l'élection abbatiale à la mort de ladite Aveline et aux serfs de cette église les droits et coutumes dont jouissent les serfs royaux ; il confirme, enfin, à la mense conventuelle des moniales — dont il rappelle le chiffre de cent vingt — le monastère, la voirie et la justice du lieu, l'église et la voirie de Mitry, Coulombs[-en-Valois], Baron, Noisy (en Gâtinais) et Osny (en Beauvaisis).
A. Original perdu.
B. Copie du xvie siècle de la transcription faite le 23 avril 1515 par Guillaume du Tartre, sergent à cheval au Chatelet de Paris, d'après le « Liber privillegiorum seu cartularium ecclesie de Kala, Parisiensis diocesis, ordinatus a religiosa domina Adeluya de Nantolio, abbatissa dicti loci, anno Domini millesimo IIC° nonagesimo secundo, fol. 1 », Bibliothèque municipale de Meaux, ms. 60 (cartulaire entrepris en 1547 sur l'ordre de Jacqueline Amignon, vicaire générale de l'abbesse Renée de Bourbon), 5e partie, fol. III, avec mention de l'existence d'une copie scellée du présent acte.
C. Copie de 1530, dans le cartulaire « rédigé... par le commandement de révérende dame... Magdeleine d'Eschelles, abbesse dudict lieu », Bibliothèque municipale de Meaux, ms. 59, fol. 1, sans indication de source, probablement d'après le « Liber privilegiorum ».
D. Copie partielle du xvie siècle, dans le même cartulaire, Bibliothèque municipale de Meaux, ms. 59, fol. 187, d'après les « registres des requestes de l'ostel le quatorziesme jour de décembre l'an mil cinq cens vingt et troys... Signé Bochart ».
E. Copie du xviie siècle, Bibliothèque nationale, fr. 18758, fol. 387, d'après C.
a. Mabillon, Annales ordinis sancti Benedicti, t. VI, appendix, p. 651, n° XX, sans indication de source.
b. P. Petot, Un prétendu diplôme de Louis VI pour l'abbaye de Chelles, dans Académie des Inscriptions et Belles-Lettres. Comptes rendus des séances de l'année 1959, Paris, 1960, p. 238, d'après C.
Indiqué : Archives départementales de Seine-et-Marne, H 409 (Inventaire et répertoire des titres, papiers et mémoires concernant... Chelle : xviie siècle), p. 117.
Indiqué : Bibliothèque nationale, fr. 16188 (« Chartulaires et extraits de plusieurs chartulaires et livres des églizes et monastères de ce royaume servans à l'histoire et aux traictéz des fiefs... » par A. Galland : xviie siècle), fol. 3 et 61, d'après le Chartularium vetus Kalense (aujourd'hui disparu), fol. 1 et fol. 187.
Indiqué : Bibliothèque nationale, fr. 18082 (copie du travail d'A. Galland), fol. 1, d'après le Chartularium vetus Kalense, fol. 1.
Indiqué : Paris, Bibliothèque Mazarine, ms. 3380 (2890) (Dom R. Racine, Histoire de l'abbaye de Chelle : xviiie siècle), fol. 59.
Indiqué : A. Luchaire, Louis VI, loc. cit. et p. 325.
Indiqué : M. Bloch, Notes sur les sources de l'histoire de l'Île-de-France au Moyen Age. I. Les archives et les cartulaires de l'abbaye de Chelles, dans Bulletin de la Société de l'histoire de Paris et de l'Île-de-France, t. 40, 1913, p. 146, n. 2 ; p. 147, n. 2.
Les divers érudits qui ont eu affaire à ce diplôme se sont divisés à son sujet : les uns, Mabillon et Luchaire, l'ont reconnu sincère ; d'autres, l'auteur de l'Inventaire des titres de Chelle et P. Petot, l'ont rejeté comme faux. Quels sont les arguments avancés par les uns et les autres ?
Ce qui frappe de prime abord, c'est sa mauvaise tradition : on le connaît, en effet, par des copies fort tardives (du xvie siècle), établies d'après un cartulaire perdu. Autre point choquant : le titre de dux Aquitanorum, appliqué à Louis VI ; Mabillon, dont rien ne prouve qu'il ait établi son édition d'après l'original comme l'écrit à deux reprises Luchaire, a eu conscience de cet anachronisme et l'a omis. Un autre élément peut surprendre : la mention de la concession de l'immunité en plein xiie siècle ; en fait, P. Petot a remarqué que Philippe Ier avait encore accordé ce privilège deux fois, il est vrai cinquante ans plus tôt. Enfin, trois des cinq souscriptions de grands officiers — celles de Raoul de Vermandois tenant lieu de sénéchal, du bouteiller Louis et du chancelier Simon — ne conviennent pas pour le premier semestre 1127, date à laquelle l'acte est censé avoir été délivré.
Essayons d'aller plus loin. Le présent document doit être rapproché — comme l'a d'ailleurs fait partiellement P. Petot — d'un autre diplôme de Louis VI, concédé en faveur de l'abbaye de Morigny (n° 173). On retrouve dans les deux cas une clause relative aux serfs, que le n° 173 reprend d'ailleurs lui-même mot à mot d'un acte de Philippe Ier, la peine de cent livres contre les contrevenants (décalquant l'amende de six cents sous propre aux diplômes d'immunité des ixe et xe siècles) et la formule introduisant la liste des biens de chacune des églises (Placuit sane nominatim que eidem — ou ibidem — monasterio jam collata — ou collate — fuerant, hoc precepto — ou preceptum — subscribi ; sunt autem hec). Un examen plus précis montre même qu'ils furent rédigés sur un canevas identique : tous deux débutent par une formule de demande, mise au compte d'un abbé (n° 173) ou d'une abbesse et d'une communauté (ici) ; tous deux allèguent l'autorité des souverains antérieurs, Philippe Ier (n° 173) ou Charles et Louis (ici) ; tous deux font appel à des formules générales d'immunité, dérivant plus ou moins directement de formules fort anciennes, telles que les Formulae imperiales ; tous deux contiennent, enfin, une liste de biens confirmés, fort longue dans le n° 173.
Pour P. Petot, le présent diplôme aurait été forgé entre 1226, date de la destruction de l'abbaye de Chelles par un incendie, et 1292, date de la confection du cartulaire — aujourd'hui perdu — de ce monastère, base avouée des copies connues. On peut toutefois constater que plusieurs actes des règnes de Louis VI, de Louis VII et de Philippe Auguste, donc antérieurs à la catastrophe de 1226, nous sont parvenus soit en original, soit par des copies des xvie-xviiie siècles et qu'aucun d'eux ne pose de réel problème de critique.
Que peut-on penser ? Il est possible que le rédacteur du xiiie siècle ou d'une époque plus récente (si l'on doute de l'existence du cartulaire de 1292) ait cherché à reconstituer un diplôme de Louis VI, réellement concédé et gravement endommagé en 1226, mais ait profité de cette occasion pour ajouter une ou plusieurs clauses absentes du texte initial. On peut imaginer qu'il a eu recours au fragment de l'acte original de Louis VI qui contenait : a) des formules fort anciennes impliquant les souverains Charles et Louis (où l'on peut voir, selon toute vraisemblance, Charlemagne et Louis le Pieux, sous le règne desquels furent rédigés de nombreux formulaires) ; b) des formules identiques à celui du diplôme de Louis VI pour Morigny (n° 173), qu'il ne pouvait pas connaître et qui, par voie de conséquence, confère un crédit certain à notre document. Mais, ignorant l'histoire capétienne du xiiie siècle et cherchant à démarquer son texte de l'autre acte de Louis VI pour Chelles (n° 275, auquel sont reprises les souscriptions des grands officiers — placées dans un autre ordre et en grande partie erronées, nous l'avons dit, pour la date indiquée de 1127 — et la date de temps), il aurait qualifié le roi de dux Aquitanorum ; il commet, d'ailleurs, plus loin d'autres erreurs (qui n'ont pas été relevées) à propos de deux possessions de Chelles : Noisy ne se trouve pas en Gâtinais, mais semble-t-il en Île-de-France ; Osny appartient non au Beauvaisis mais à la région de Pontoise. Enfin, il indique — et c'est peut-être là que réside vraiment sa forgerie — que l'ensemble des privilèges et des biens est concédé aux cent vingt religieuses de Chelles, alors qu'un acte de Philippe Auguste de 1193 en limite le nombre à quatre-vingts.
Un dernier élément touchant à la fois à la diplomatique et à l'histoire va nous permettre de « sauver » ce document sinon dans sa forme actuelle, du moins pour le fond : il s'agit de la transmission, par le canal de Raoul de Vermandois, de la requête de l'abbesse de Chelles. Du point de vue diplomatique, un tel recours à la « voie hiérarchique » est inhabituel sous Louis VI ; à cette époque, comme dans les siècles antérieurs, l'intéressé fait lui-même sa requête ; si un grand personnage agit à sa place, il est censé accomplir cette démarche motu proprio. Mais il faut remarquer — et c'est le point le plus important — que Raoul de Vermandois est présent, aux côtés du roi, au siège du château de Livry (proche de Chelles) au début de 1128 ; il s'y comporte vaillamment, perdant même un œil au cours de la bataille. Cela pourrait expliquer la formule très chaleureuse employée ici à propos de Raoul (« domini ac dilectissimi et in Christi visceribus honorandi Radulfi comitis ») ; les religieuses de Chelles en mauvais termes avec Louis VI auraient jugé opportun d'avoir recours au comte de Vermandois pour obtenir gain de cause.
Nous croyons donc que nous avons affaire à un acte refait à partir d'éléments dans l'ensemble sincères.
Nous imprimons en petit texte le passage identique à celui du n° 173 (pour Morigny).
Texte établi d'après BCD et a. Graphies de B.
In nomine sancte et individue Trinitatis. Amen. Ego Ludovicus, Dei gracia rex Francorum <et dux Aquitanorum>. Secundum magnitudinis ac celsitudinis nostre sublimitatem ecclesiarum Dei provectus magnifice procuramus earumque tuicionem omnimoda ordinatione providere satagimus ; profuturum nobis id quoque ad eternam beatitudinem facilius obtinendam procul dubio confidimus. Quapropter notum esse volumus omnibus sancte Dei Ecclesie fidelibus, presentibus pariter et futuris, quia venerabilis abbatissa Kalensis monasterii, nomine Avelina, necnon etiam totius congregationis sibi commisse, tam clericorum quam etiam sanctimonialium inibi Domino devote servientium, unanimitas, per deprecationem domini ac dilectissimi et « in Christi visceribus » honorandi Radulphi comitis, amici nostri, pecierunt devotis precibus nostram serenitatem quatinus ipsum monasterium cum omnibus ad se inpresenciarum jure pertinentibus rebus sub nostre tuicionis ac defensionis cura suscipere ac firmiter tenere dignaremur. Quarum humilem et justam petitionem libenter suscipimus, quoniam in preceptis predecessorum nostrorum Karoli, Ludovici aliorumque regum hoc confirmatum comperimus, ita videlicet quod predictum monasterium et quidquid intra claustra vel extra, per villas scilicet sui juris, ubique diffusum esse dignoscitur omnesque insuper res ad se jure legitimo que a predecessoribus nostris regibus videlicet vel aliorum nobilium virorum ibidem collate sunt vel conferende erunt, tam in mobilibus quam in immobilibus rebus, sub emunitatis nostre regia tuicione suscipimus ac retinemus ac retinenda perpetuo decernimus et eternaliter confirmamus, ita ut nullius potestatis, sive judiciarie sive fiscalis, aut etiam rei publice juridica administracio intra vel extra in mansionibus illarum vel in agris aut in aliqua ibidem placita tenenda aut homines illarum distringendos vel freda exigenda sive fidejussores tollendos reosque capiendos vel telonea requirenda vel mansionaticos sive paratas recipiendas aut illicitas occasiones objiciendas vel componendas seu requirendas ingredi audeat nec licentie habeat facultatem, sed hac regia nostra tuicione eadem ecclesia, sicut predictum est, a nobis defensa ac in perpetuum munita sit. Mortua vero ejusdem loci abbatissa, in eligenda altera libero sue electionis fruentur arbitrio secundum quod et canonica et regulari censetur auctoritate. Notum etiam fieri volumus quod universis servis ipsius ecclesie leges illas et consuetudines easdem, quas nostri servientes habent, in omnibus et per omnia habendas et possidendas concedimus et ubicumque terrarum in regno nostro dispergantur, lege consimili et consuetudine coequentur. Quisquis vero contra hoc nostre magnificencie preceptum ire temptaverit et eos de testimonio reprobaverit, nostre violate majestatis reus existat et C libras inde persolvat. Placuit sane nominatim que ibidem monasterio jam collate fuerant, hoc preceptum subscribi ; sunt autem hec : Kale monasterium, cum omni integritate sua ecclesie, videlicet decimis, terris cultis et incultis, torcularibus, nemoribus, pratis, molendinis, aquis et aquarum decursibus et vicaria integraque totius ville justicia, cum multis aliis villis, videlicet Mitriacum cum ecclesia et vicaria, terris cultis et incultis, silvis, pratis, pascuis, exitibus et regressibus et villam que vocatur Coulons et villam que vocatur Berron, in Wastinensi pago et villam que vocatur Noisy, in Belvacensi pago et villam que vocatur Ony ; has itaque villas cum earum summa integritate, terris scilicet cultis et incultis, vineis, silvis, pratis, pascuis, exitibus et regressibus et mancipiis utriusque sexus, usibus, ut diximus, CXX sanctimonialium perpetuo jure deputamus et concedimus. Ut autem hec largitatis et institucionis stabilita auctoritas jugiter in Christi nomine maneat inconcussa, sigilli nostri auctoritate muniri nostrique nominis subter inscripto karactere corroborari precepimus. Actum Parisius publice, anno incarnati Verbi M°C°XXVII°, regni nostri XIX°. Astantibus in palacio nostro quorum nomina subtitulata sunt et signa.
S. Hugonis constabularii. S. Alberici camerarii. S. Radulfi comitis. S. Ludovici buticularii. Datum per manum Symonis cancellarii.