1129, 14 avril. — Reims (Cour royale).
Louis VI et son fils Philippe, à la demande de Suger, abbé de Saint-Denis et leur familier, qui leur a fait valoir le droit ancien de son abbaye sur le monastère d'Argenteuil et, pour cela, leur a présenté un précepte des empereurs Louis le Pieux et Lothaire (mentionnant la première donation d'Argenteuil à Saint-Denis par « Hermenricus », son fondateur, et sa femme « Mumma », l'acte du roi « Lotharius » [Clotaire III] confirmant cette disposition et enfin la restitution de cette église par lesdits souverains sous l'abbatiat d'Hilduin), rendent — sans rien retenir de leurs droits — Argenteuil à Saint-Denis (lieu qu'ils ont choisi pour leur sépulture) sur les conseils de Mathieu d'Albano, légat pontifical, d'Étienne [de Senlis], évêque de Paris, de Renaud II, archevêque de Reims, de Joscelin [de Vierzy], évêque de Soissons, et de Geoffroy [de Lèves], évêque de Chartres, ainsi que pour le repos de leurs âmes, pour la protection divine des leurs et pour le royaume.
A. Original perdu.
B. Copie de la fin du xiiie siècle, dans le Cartulaire blanc de Saint-Denis (t. II), Archives nationales, LL 1158, p. 279, sous la rubrique : « Preceptum Hludovici et Philippi, filii ejus, regum de Argentolio », précédée de la lettre « D » et accompagnée du n° : « [Argentolio] V ».
C. Copie du xiiie siècle, dans le Livre des privilèges de Saint-Denis, Archives nationales, LL 1156, fol. 47v, avec les mêmes rubrique, lettre et n° que B.
D. Copie du xviie siècle, par A. Duchesne, Bibliothèque nationale, Collection Baluze, vol. 55, fol. 392, d'après B.
E. Copie du xviie siècle, Archives départementales des Yvelines, D 518, p. 485, d'après B.
F. Copie partielle du xviie siècle, Bibliothèque nationale, fr. 16177, fol. 20, d'après B.
G. Copie de la fin du xviie siècle, Archives municipales de Saint-Denis, GG 14, p. 201, d'après B.
H. Copie du xviie siècle, Archives départementales des Yvelines, 12 H 55, 97e liasse, sans indication de source, probablement d'après a.
a. J. Doublet, Histoire de l'abbaye de S. Denys en France, Paris, 1625, p. 858, sans indication de source.
b. A. Duchesne, Histoire généalogique de la maison royale de Dreux, Paris, 1631, preuves, p. 221, d'après B (éd. partielle).
c. M. Félibien, Histoire de l'abbaye royale de Saint-Denis en France, Paris, 1706, preuves, p. xcv, n° CXXVI, d'après B.
d. Mansi, Concilia, t. XXI, col. 380 (avec intercalation du diplôme de Louis le Pieux et de Lothaire), sans indication de source.
e. Ordonnances des rois de France, vol. supplémentaire, p. 223, avec référence à a et c.
f. Th. G. Waldman, Abbot Suger and the nuns of Argenteuil, dans Traditio, t. XLI, 1985, p. 266, d'après B et C.
Indiqué : F.-J. Chasles, Dictionnaire universel, chronologique et historique de justice, police et finances distribué par ordre de matières, contenant tous édits, déclarations du roy, lettres patentes... rendus depuis l'année 600 jusques et compris 1720..., Paris, 1725, t. I, p. 4.
Indiqué : Bréquigny, Table chronologique, t. II, p. 562.
Indiqué : A. Lecoy de La Marche, Œuvres complètes de Suger, Paris, 1867, p. 368.
Indiqué : A. Luchaire, Institutions monarchiques, t. I, p. 253, n. 1 ; p. 254, n. 1 ; p. 263, n. 2 ; p. 264, n. 1 ; t. II, p. 108, n. 1.
Indiqué : O. Cartellieri, Abt Suger von Saint-Denis (1081-1151), Berlin, 1898, p. 135, n° 61.
Indiqué : A. Dutilleux, Héloïse à Argenteuil. Première partie : Comment Suger, abbé de Saint-Denis, récupéra le monastère d'Argenteuil, dans Revue de l'histoire de Versailles et de Seine-et-Oise, 1902, p. 252.
Indiqué : L. Jacquemin, Annales de la vie de Joscelin de Vierzi, 57e évêque de Soissons (1126-1152), dans Quatrièmes mélanges d'histoire du Moyen Age, Paris, 1905, n° XXIII, p. 19.
Indiqué : A. Gandilhon, Catalogue des actes des archevêques de Bourges antérieurs à l'an 1200, Bourges-Paris, 1927, n° 85*, p. 223.
Indiqué : Th. Schieffer, Die päpstlichen Legaten in Frankreich vom Vertrage von Meersen (870) bis zum Schisma von 1130, Berlin, 1935, p. 232-233.
Indiqué : É. Bournazel, Le gouvernement capétien, p. 10, n. 12 ; p. 11, n. 18 et 20 ; p. 12, n. 29 ; p. 141, n. 66 et 68.
Indiqué : M. Du Pouget, La légende carolingienne à Saint-Denis : la donation de Charlemagne au retour de Roncevaux, dans Bulletin de la Société des sciences, lettres et arts de Bayonne, n° 135, 1979, p. 58.
Indiqué : R.-H. Bautier, Paris au temps d'Abélard, p. 57 et n. 6 ; p. 69, n. 2 ; p. 70, n. 1 ; p. 71 ; p. 75, n. 2.
Indiqué : A.W. Lewis, Royal succession in Capetian France, Cambridge (Mass.), 1981, p. 56 ; p. 247, n. 45 et 50.
Indiqué : D. Lohrmann, Kirchengut im nördlichen Frankreich, Bonn, 1983, p. 177, n. 191.
Indiqué : T. Reuter, Zur Anerkennung Papst Innocenz' II. Eine neue Quelle, dans Deutsches Archiv für Erforschung des Mittelalters, t. 39, 1983, p. 404, n. 40.
Indiqué : Th. G. Waldman, Abbot Suger..., p. 252 et passim.
Indiqué : J. Dufour, Un faux de Louis VI relatif à Liancourt (Oise), dans Bibliothèque de l'École des chartes, t. 144, 1986, p. 43, n. 5.
Indiqué : Th. G. Waldman, L'abbé Suger et les nonnes d'Argenteuil, dans Le vieil Argenteuil. Bulletin de la Société historique et archéologique d'Argenteuil et du Parisis, t. 29, 1986-1987, p. 16-17.
Cet acte, intitulé au nom de deux souverains (ce qui est rare), confirme un diplôme lui-même intitulé au nom de deux empereurs, Louis le Pieux et son fils Lothaire : fait exceptionnel, voire suspect ! Suger n'y fait aucune allusion dans les trois textes où il rapporte l'acquisition d'Argenteuil (comme nous le verrons avec plus de précision plus loin), bien que l'acte de Louis VI ait été délivré en concile et confirmé le jour même du couronnement du prince Philippe. Il faut aussi remarquer que le présent document s'inspire de très près de préceptes mérovingiens ou carolingiens, en particulier pour le préambule, l'appel aux successeurs et la demande de prières.
On ne peut toutefois mettre en cause sa sincérité, car il s'inscrit parfaitement dans une politique menée sous prétexte de réforme monastique (rappelons qu'en 1128, les chanoinesses de Notre-Dame et Saint-Jean de Laon ont été remplacées par des religieux) ; en outre, il est confirmé à plusieurs reprises dans un délai très bref :
C'est donc l'acte du ixe siècle que nous tenons en suspicion, d'ailleurs moins pour des raisons formelles qu'historiques. On ne peut en effet alléguer contre lui sa ressemblance frappante avec le diplôme de Louis VI, car au xiie siècle, comme dans les siècles précédents, nombreux sont les préceptes reprenant tout ou partie d'actes antérieurs. En revanche, on remarque qu'il est le premier à mentionner d'une part la fondation d'Argenteuil par Hermenricus et sa femme sous un roi nommé Lotarius (communément identifié avec Clotaire III qui régna en Neustrie de 657 à 673), d'autre part la dépendance d'Argenteuil vis-à-vis de Saint-Denis. Or, le plus ancien acte conservé concernant Argenteuil, émané de Childebert III (3 avril 697), ne fait état ni du nom des fondateurs ni des droits de Saint-Denis.
On peut supposer que Suger, désireux de mettre la main sur Argenteuil, fit forger de toutes pièces l'acte de Louis le Pieux et de Lothaire pour appuyer ses prétentions auprès de Louis VI ; ensuite, encore peu sûr de son fait, il demanda à deux papes successifs, Honorius II et Innocent II, de reconnaître la prééminence de son église sur Argenteuil. Lui-même fait état à trois reprises de cette église dans ses écrits, d'une manière du reste parfois discordante :
Ajoutons que l'acte de Louis VI a un autre objet que celui d'affirmer les droits de Saint-Denis sur Argenteuil ; il reconnaît à la grande abbaye le titre de nécropole officielle des rois de France, complétant ainsi les termes employés dans les nos 163 (qui fait de saint Denis le guide et protecteur du royaume) et 220 (où cette église est qualifiée de caput regni).
Cet acte est indubitablement dû à un moine sandionysien, comme l'indiquent notamment son étroite parenté avec le diplôme de Louis le Pieux et Lothaire et l'emploi d'une formule d'appréciation, déjà exceptionnelle du temps de Philippe Ier et présente une seule autre fois dans les diplômes de Louis VI, à savoir au bas du n° 142 (également pour Saint-Denis).
Nous imprimons en petit texte les passages communs à l'acte de Louis le Pieux et de Lothaire d'une part et à celui-ci d'autre part.
In nomine Domini Dei et Salvatoris nostri Jhesu Christi. Ludovicus et Philippus filius ejus, divina ordinante providentia reges Francorum. Si ea que a Deum timentibus hominibus ad loca divino cultui dedicata solemni donatione largita vel condonata sunt et postea qualibet occasione inde abstracta esse noscuntur, nostra auctoritate ad statum suum revocamus et iterum nostre jussionis oraculo confirmamus, hoc nobis procul dubio ad eternam beatitudinem adipiscendam seu stabilitatem regni nostri roborandam pertinere confidimus. Ideo notum sit omnium fidelium nostrorum, tam presentium quam futurorum, industrie quia vir venerabilis Suggerius, abbas Sancti Dyonisii, admodum dilectus et familiaris noster, nostre suggessit mansuetudini qualiter compertum habuisset quod monasterium vocabulo Argentoilum, situm in pago Parisiaco super fluvium Sequane, ad jus beati et gloriosissimi Christi martyris Dyonisii pertinere deberet, petiitque ut pro mercedis nostre augmento ad statum pristinum revocari fecissemus. Ostendit siquidem nobis ad relegendum serenissimorum imperatorum Chludovici Pii et Lotharii filii ejus preceptum, in quo et de prima ejusdem loci donatione a proprio fundatore, nomine Hermenrico, ac conjuge sua Mumma et confirmatione Lotharii quondam regis, quam super eandem donationem conscribere jussit, et eorumdem imperatorum in tempore Hilduini abbatis restitutione plenaria cognitione nostra evidentissime satisfecit. Quibus coram sepius inspectis religiosarum personarum, videlicet Mathei, Albanensis episcopi, Sancte Sedis apostolice legati, Parisiensis Stephani, in cujus parrochia est, consilio atque concessione Remensis archiepiscopi Reinaldi, Suessionensis Gosleni, Carnotensis episcopi Gaufredi aliorumque bonorum virorum et regni nostri procerum, tum propter ejusdem ecclesie quam cognovimus justiciam, tum etiam quia in eodem monasterio nostris temporibus inter alia Gallorum monasteria Dei misericordia et sanctorum martyrum meritis potissimum ordo monastice religionis effulget, prefatum locum Argentoylensem ipsis sacris martyribus quos summe diligimus, apud quos sepeliri optamus et devovimus, pro anime nostre remedio, regni nostri administratione, conjugis et prolis conservatione in plenitudine restituimus, quicquid ibidem nostrum est eisdem conferentes, nihil penitus nobis de omnibus que ad regalem pertinent dignitatem retinentes ; sed in jure ac dominatione ipsius monasterii cum omni integritate vel appendiciis suis, quicquid ibidem presenti tempore cernitur, ad habendum restituatur ; et in postmodum nullo umquam tempore, ulla qualibet dignitate aut potestate predita persona rectoribus monasterii prefati ac beatissimi Christi martyris Dyonisii aliquam requisitionem facere aut ullam calumpniam ingerere presumat ; sed liceat illis prefatum monasterium Argentoylum, sicut ceteras res ad beati Dyonisii potestatem simili modo condonatas ac pertinentes, quieto ordine tenere ac disponere et, quicquid pro oportunitate aut utilitate ipsius ecclesie facere voluerint, liberam in omnibus habere potestatem. Contestamur autem omnes successores nostros per sanctam et individuam Trinitatem et per adventum justi Judicis Dei et Salvatoris nostri Jhesu Christi, ut hoc nostre auctoritatis preceptum nullo modo presumant temerare, sed, quemadmodum nos devote ipsis sanctis martyribus prefatum locum conferentes restituimus, ipsi devote studeant conservare. Ut vero ipsa sancta congregatio, pro nobis et regina nostra Adelaide et omni nostra prole et regni nostri stabilitate, Domini misericordiam et ipsorum sanctorum valeant attentius exorare et hec nostre constitutionis confirmatio pleniorem vigorem debeat habere, hanc auctoritatem nostram, consilio episcoporum qui interfuerunt, in Dei nomine subter signavimus et de sigillo nostro insigniri jussimus.
Signum glo-(Monogramma Ludovici regis)-riosissimi regis.
Signum (Monogramma Philippi regis) regis. S. Adelaidis regine.
Rainaldus, Remorum archiepiscopus, conscripsit.
Vulgrinus, Bituricensium archiepiscopus, conscripsit.
Haimericus, Clarimontensis episcopus, conscripsit.
Yelendus, Linguonensis episcopus, conscripsit.
Stephanus, Augustudunensis episcopus, conscripsit.
Hatho, Trecensis episcopus, conscripsit.
Symon, Noviomensis episcopus, conscripsit.
Bartholomeus, Laudunensis episcopus, conscripsit.
Stephanus, Parisiensis episcopus, conscripsit.
Goslenus, Suessionensis episcopus, conscripsit.
Joannes, Aurelianensis episcopus, conscripsit.
Signum Rodulfi, Viromendensis comitis. Signum Chludovici buticularii. Symon cancellarius recognovit. Actum apud Sanctum Germanum de Pratis, in presentia domni Mathei, Albanensis episcopi, Sancte Sedis apostolice legati, et Gaufredi, Carnotensis episcopi, et aliorum supradictorum episcoporum. Datum autem et confirmatum Remis, in sollempni curia Pasche, in unctione domni Philippi, gloriosissimi regis, anno incarnati Verbi M°CXX°IX°, indictione VIIa, anno regni domni et serenissimi regis Francorum Chludovici XX°, Philippi autem filii ejus primo. In Dei nomine feliciter. Amen.