1112, après le 3 août. — Sens (Cour royale).
Louis VI, à la prière d'Arnaud, abbé de Saint-Pierre-le-Vif (monastère fondé à l'est de Sens, sous le roi Clovis, par sa fille Théodechilde), confirme les possessions et privilèges de cette abbaye, ainsi que tous les actes accordés à elle par des souverains, des papes ou de simples fidèles et, en particulier, celui que Louis le Pieux délivra à l'archevêque de Sens Jérémie et à l'abbé Frobert ; il confirme, en outre, la juridiction d'Arnaud sur le monastère auvergnat de Mauriac, pris par Clovis sur les biens du duc rebelle d'Aquitaine « Basolus », lors de sa capture dans les montagnes et de sa longue incarcération à Sens, puis cédé à Saint-Pierre-le-Vif par le même roi, quand l'ancien duc y prit l'habit monastique.
A. Pseudo-original perdu, autrefois scellé d'un sceau plaqué (d'après B).
B. Copie collationnée le 22 janvier 1514 (n. st.), par Pierre Ivon, « sergent royal au bailliage d'Orillac », Archives départementales de l'Yonne, H 167, d'après A, « sain et entier en seel, escripture et signature... au dessoubz duquel y a ung grand seel plaqué en cyre jaulne, ouquel est imprimé ung roy, lequel seel est fort cassé alentour et au doz duquel... sont escriptz ces motz : Confirmatio monasterii Mauriacensis rerum ac libertatum ».
a. M. Quantin, Cartulaire général de l'Yonne, t. II, Auxerre, 1860, p. 44, n° XL, d'après B.
Indiqué : M. Prou, Étude sur les chartes de fondation de l'abbaye de Saint-Pierre-le-Vif : le diplôme de Clovis et la charte de Théodechilde (Mémoire lu à la séance du cinquantenaire de la Société archéologique de Sens, le 20 juin 1894), Sens, 1894, p. 49-50.
Si A. Luchaire (loc. cit.) a parfaitement démontré le caractère faux du présent document, sa démonstration peut, semble-t-il, être étayée d'éléments supplémentaires. En premier lieu, sa tradition est tout à fait médiocre, car il n'est connu que par une copie du xvie siècle ; la mention et la description (d'ailleurs fort imprécise) du sceau royal ne peuvent abuser, car les moines de Saint-Pierre-le-Vif ont pu munir la pièce qu'ils présentaient d'un sceau emprunté à un autre acte. Ensuite, son cadre formel est mauvais : l'invocation verbale In nomine Domini Dei et Salvatoris nostri Jhesu Christi, étrangère au temps de Louis VI, appartient à celui de Louis le Pieux ; on la trouve notamment en tête d'un diplôme de ce souverain confirmant la juridiction de l'archevêque de Sens sur les monastères de Saint-Pierre, Saint-Jean et Saint-Remi de Sens (18 mai 822). La suscription n'est pas meilleure : la graphie Hludovicus est rare, les mots rex Francorum ne sont pas accompagnés de la formule gratia Dei habituelle sous Louis VI ; l'adresse qui suit omnibus principibus et fidelibus regni mei ne se trouve pas dans les actes royaux du xiie siècle. L'eschatocole surprend tout autant : la clause de corroboration « Hanc igitur auctoritatem precepti nostri, ut inviolabiliter conservetur, anuli nostri impressione et sigillo signari jussimus » mérite d'être rapprochée de celle du diplôme de Louis le Pieux, déjà mentionné. Il faut également remarquer que le présent document est dépourvu de la clause Astantibus in palatio nostro quorum nomina subtitulata sunt et signa, constante dans les actes de Louis VI, et des souscriptions des grands officiers (en particulier de celle du chancelier). Aucune allusion n'est faite au monogramme royal.
Le style lui-même s'apparente moins à celui des actes du xiie siècle qu'à celui de l'époque carolingienne (le diplôme de Louis le Pieux de 822 en est un exemple).
On peut noter aussi que tous les personnages cités appartiennent exclusivement aux mondes mérovingien et carolingien : il s'agit de Théodechilde, qu'il conviendrait d'identifier non avec la fille de Clovis (comme il est dit ici), mais plutôt avec sa petite-fille, de Basolus, obscur duc d'Aquitaine (dont le rédacteur retrace à grands traits l'itinéraire tant guerrier que religieux), de Louis le Pieux et des prélats du début du ixe siècle, Jérémie, archevêque de Sens, et Frobert, abbé de Saint-Pierre-le-Vif.
Les sources auxquelles le faussaire a eu recours sont d'une part des diplômes carolingiens (notamment l'acte cité de Louis le Pieux et peut-être un autre précepte du même personnage, aujourd'hui perdu), d'autre part le passage suivant de la chronique de Saint-Pierre-le-Vif :
« [Hieremias, archiepiscopus Senonensium] familiaris erat regi. Ipse ędificavit cellam in Aquitania, in loco qui dicitur Mauriacus, ... in proprio fundo ipsius Sancti Petri Senonensis quam Teodechildis, filia regis Chlodovei, et Basolus, comes Arvernię, ob amorem Dei ad stipendia monachorum reliquerant. Per deprecationem Frodberti, abbatis cęnobii Sancti Petri Senonensis, ipsam cellam construxit, eo quod homines ipsius pagi terras et predia Sancti Petri diriperent et in proprio usu retinerent. Instituit autem et monachos regulares de ęcclesia Sancti Petri Senonensis qui illic Deo servirent, quatinus locus ipse predia et terras quas adhuc possidebat ex toto non perderet et ut ipsa cella, Deo auctore, per cuncta tempora sub custodia Frodberti abbatis et ejus successorum esset et ita gubernarent villas et ęcclesias que conjacent in Aquitania et Arvernia in Lemovicensi pago, sicut antecessores sui gubernaverunt. Postulavit autem idem Hieremias archiepiscopus et Frodbertus abbas a Hludovico Augusto fieri sibi privilegium de eadem cella et de omnibus appenditiis que adjacent cęnobio Sancti Petri Senonensis ; quod et impetravit ».
Se fondant ainsi sur des sources anciennes, le faussaire a voulu à la fois démontrer l'ancienneté de la dépendance de Mauriac vis-à-vis de Saint-Pierre-le-Vif de Sens et réactualiser cette sujétion.
Bien qu'un grave conflit ait éclaté entre Saint-Pierre-le-Vif et Mauriac sous Louis VI, précisément en 1109-1110, nous pensons que ce faux est étranger à cette époque ; il aurait été alors en effet facile de mettre en question sa sincérité auprès du roi ou de sa chancellerie. Selon toute vraisemblance, il fut forgé plus tard, peut-être vers le milieu du xiiie siècle, époque d'une recrudescence des problèmes entre Saint-Pierre-le-Vif et Mauriac. Une source sénonaise aurait été alors transmise en Auvergne ; ainsi s'expliquerait que nous connaissions ce document par une copie due à un sergent royal d'Aurillac.
In nomine Domini Dei et Salvatoris nostri Jhesu Christi. Hludovicus, rex Francorum, omnibus principibus et fidelibus regni mei, utriusque sexus et ordinis. Pie postulatio voluntatis effectu debet prosequente compleri, quatinus et devotionis sinceritas laudabiliter enitescat et utilitas postulata vires indubitanter assumat. Unde ego, pulsatus precibus Arnaldi, abbatis coenobii Sancti Petri Vivi, quod olim, temporibus magni regis Chlodovei, ad orientalem plagam urbis Senonum a quadam filia ejus, nomine Techilda, ipso adjuvante, fundatum et rerum suarum muneribus et rebus ditatum, per presentis precepti paginam statuo atque confirmo ut quecumque predia, quascumque possessiones eadem bone memorie femina, idem rex et successores ejus reges Francorum, antecessores scilicet mei, contulerunt eidem case Dei et quecumque ad ipsum cenobium aliorum fidelium videntur devotionibus pertinere, quecumque etiam in futurum poterit adipisci, firma sibi, illibata permaneant. Illud etiam inserere placuit ut quoddam monasterium, quod in Arvernico pago est situm, quodque idem prefatus rex de possessionibus cujusdam superbissimi ducis Aquitanie, nomine Basoli, quem rebellantem in montanis cepit et carceratum Senonas, multo tempore, tenuit, tandemque eidem filie sue, ut monachum eum faceret in prefato monasterio, scilicet Sancti Petri Vivi, dedit sub tuitione regum Francorum nostra semper eidem abbatie subjectum, absque ullius persone calumnia vel contradictione permaneat. Statuo etiam et confirmo omnia regalia precepta que antecessores mei reges eidem abbatie, de qua sermo est, fecerunt, precipueque illud quod Hludovicus piissimus augustus et rex Jheremie, Senonum archiepiscopo, et Frocberto, abbati ejusdem cenobii, fecit et confirmavit. Quicquid preterea immunitatis, quicquid libertatis seu donationis a prefatis regibus, quicquid a pontificibus, quicquid ab utriusque sexus fidelibus et ordinibus, idem monasterium hactenus obtinuisse cognoscitur, ratum firmumque manere jubeo et confirmo. De monasterio autem prefato, Mauriacensi scilicet, jubeo et confirmo ut sub jure et potestate et ordinatione atque tuitione supradicti abbatis Arnaldi et successorum ejus permaneat, ut sic eis liceat constituere que agenda sunt, sicut in abbatia sua que caput est hujus membri. Hanc igitur auctoritatem precepti nostri, ut inviolabiliter conservetur, anuli nostri impressione et sigillo signari jussimus.
Actum Senonas, in curia nostra, anno ab Incarnatione Domini MCXII, anno quoque consecrationis nostre V°.
(Locus sigilli)