1131, peu après le 13 octobre. — Paris (Palais royal).
Louis VI, à la demande de Robert, abbé de Saint-Magloire de Paris, confirme à cette abbaye, pour le salut de son âme, de celles de ses ancêtres et de son fils Philippe, récemment décédé, ainsi que pour la sauvegarde du royaume, les biens que lui ont concédés son grand-père, le roi Henri Ier, et d'autres bienfaiteurs, à savoir la dîme des revenus royaux du bourg et du port de Montreuil, à l'exception de la dîme de la monnaie et de la cervoise ; les dîmes et les églises des Essarts[-le-Roi] et de La Boissière[-École] ; Guipéreux avec ses terres et ses dîmes ; la dîme du panage de la forêt d'Yveline, avec les dîmes des essarts faits et à faire. Il lui donne, en outre, six moulins : à Paris, trois au Grand-Pont, un quatrième au Petit-Pont et un cinquième à Mibrai ; dans le faubourg de Senlis, un sixième ; leur est adjoint un septième, avec sa pêcherie, à Charenton[-le-Pont]. Il lui concède, encore, trois gourds, le premier au confluent de la Seine et de la Marne, le deuxième à Millepas, le troisième, contigu à ce dernier et attenant à une île. Il confirme enfin la possession d'un moulin et de vignes, situés en Melunais qui avaient été cédés par Gerlende.
A. Pseudo-original perdu.
B. Copie du xiie siècle, authentifiée par Hugues V, abbé de Saint-Germain-des-Prés, Archives nationales, K 22, n° 58, d'après A.
C. Copie du xviie siècle, Archives nationales, LL 41, fol. 2v, d'après B.
D. Copie du xviie siècle, Archives nationales, L 440, n° 2, d'après B.
a. J. Tardif, Monuments historiques, n° 404bis, p. 638, d'après B.
b. R. de Lasteyrie, Cartulaire général de Paris, n° 235, p. 238, d'après B.
Indiqué : A. Galland, Matériaux pour un traité des fiefs et droits seigneuriaux (Bibliothèque nationale, fr. 16176), fol. 163v.
Indiqué : É. Bournazel, Le gouvernement capétien, p. 10, n. 12.
Indiqué : R.-H. Bautier, Paris au temps d'Abélard, p. 37-38.
Indiqué : A.W. Lewis, Royal succession in Capetian France, Cambridge (Mass.), 1981, p. 247, n. 45.
Ce faux s'inscrit dans une suite d'actes royaux faux pour Saint-Magloire qui, pour la plupart, sont des confirmations générales de ses privilèges et de ses biens. Il s'agit des diplômes de Lothaire et de Louis V de 979-986, de Robert le Pieux de 997-998, de 997-1005, du 1er janvier 1007 et de 996-1007, de Henri Ier de 1033, de 1031-1060, encore de 1031-1060 et de Louis VII de 1159-1160.
On peut remarquer que la tradition d'ensemble de ces documents est relativement bonne et que plusieurs d'entre eux se présentent comme des originaux ; toutefois, en les examinant de près, on s'aperçoit que les mains qui les ont transcrits peuvent être datées soit de la fin du xie siècle soit du xiie siècle. L'acte de Louis VI, dont la tradition n'est pas satisfaisante (il n'est, en particulier, copié dans aucun des cartulaires de Saint-Magloire), a lui-même l'aspect d'un original : son écriture, conforme à celles des scribes de 1130, est toutefois de type livresque, alors que les deux autres diplômes pour Saint-Magloire, conservés en original, les nos 287 et 340, d'aspect différent, sont en écriture documentaire.
Ces actes, rédigés sans soin, renferment des clauses hétéroclites ; certaines dispositions sont d'un plus grand profit pour l'établissement religieux dans une confirmation ancienne que dans les suivantes ; il arrive même que d'autres, comme l'exemption accordée par Lothaire et Louis V (qui est anachronique pour sa forme et son contenu dans un acte de la fin du xe siècle), ne se retrouvent pas dans les documents magloriens des xie et xiie siècles.
Le diplôme de Louis VI surprend à de nombreux titres. Sa tradition, nous l'avons dit, est mauvaise et la phrase d'authentification, apposée après coup par un abbé de Saint-Germain des Prés, est pour le moins insolite : nous aurons à y revenir. Pour ce qui est de la forme, l'invocation verbale In nomine sanctę et individue Trinitatis, Patris et Filii et Spiritus Sancti se trouve rarement ; deux formules de corroboration sont utilisées, l'une au milieu du dispositif, l'autre à sa place habituelle, à la fin du texte ; la clause comminatoire sort de l'ordinaire ; dans la date, est mentionnée l'indiction, présente exceptionnellement dans les actes de Louis VI postérieurs à 1130, par exemple dans les nos 325 (de 1132 pour Dilo) et 335 (de 1133 pour Longpont). Le style est des plus malhabiles : retenons, par exemple, l'expression : omnia, quę ei cui preest monasterio... confirmavimus ou le passage : Sex insuper molendinos... adjungimus... ; sed et septimum cum piscaria sua in villa Charentonę.
Il convient de noter, en outre, l'absence du monogramme, pourtant annoncé dans la seconde clause de corroboration, de la liste des grands officiers, de la souscription de chancellerie et du sceau royal.
Quant au fond, ce diplôme est, avant tout, une confirmation de la donation de Henri Ier de 1031-1060 (F. Soehnée, Henri Ier, n° 33) qui, nous l'avons vu, est un faux ; il en reprend la plupart des clauses détaillant diverses cessions :
A. Luchaire avait déjà noté la discordance entre les éléments chronologiques de la date : anno ab incarnatione Domini M°C°XXX°I°, regni nostri XX°III°, indictione VIIII (qui placent cet acte en 1131, avant le 3 août) et la référence au décès de Philippe, fils de Louis VI, survenu le 13 octobre 1131, peu de temps (noviter) avant la rédaction de ce diplôme ; en outre, il n'est fait aucune allusion au second fils du roi, Louis, pourtant couronné roi dès le 25 octobre 1131.
Le faux de Louis VI a été forgé, probablement en même temps que certains de ceux que nous avons signalés plus haut, sous l'abbatiat difficile d'Élie qui dirigea Saint-Magloire de 1174 à 1187. Cette église eut alors à faire face à deux procès, l'un avec son prieuré de Saint-Magloire de Léhon, le second avec les fontevristes de Hautes-Bruyères. C'est certainement le premier qui fut à l'origine de ces « forgeries » ; essayons d'en retracer les diverses phases dans ses grandes lignes. Le désaccord apparut dès le début de l'abbatiat d'Élie : les moines de Léhon, dirigés par le prieur Durand, désiraient que leur établissement fût érigé en abbaye et ne dépendît donc plus du monastère parisien ; comme on ne parvenait à aucune entente, on s'adressa à Alexandre III qui, le 30 décembre 1176, écrivit à son légat, Pierre, cardinal de Saint-Chrysogone, pour lui demander de prendre Saint-Magloire de Paris sous sa protection. Le conflit n'en fut pas apaisé pour autant et l'on fit à nouveau appel au Siège apostolique. Furent alors désignés des arbitres, en la personne de l'archevêque de Tours, de l'abbé de Saint-Père de Chartres et de l'abbé de Saint-Germain-des-Prés, Hugues V, qui décidèrent que Léhon dépendrait à l'avenir de Marmoutier et serait ainsi délié de sa dépendance à l'égard de Saint-Magloire ; en compensation, les religieux magloriens recevraient des moines de Marmoutier Versailles, Chalifert et Chaumont-en-Vexin. En 1181, Élie adressa à ces derniers une lettre, souscrite en particulier par Hugues V, pour leur faire savoir qu'il approuvait les dispositions susdites. L'échange fut accepté également par Aubert, évêque de Saint-Malo, le seigneur de Dinan et Barthélemy, archevêque de Tours ; Philippe Auguste le confirma pour sa part en 1182. Quelques mois plus tard, le 12 mai 1183, Lucius III fit de même pour l'ensemble des biens et privilèges de Saint-Magloire.
C'est, croyons-nous, pour étayer sa position auprès des arbitres dont nous avons parlé, que Saint-Magloire constitua un dossier de faux, composé essentiellement des actes de Robert II du 1er janvier 1007 (W.M. Newman, Robert II, <n° 126>) et de Louis VII de 1159-1160 (Luchaire, Louis VII, n° 426) d'une part, de Henri Ier de 1031-1060 (F. Soehnée, Henri Ier, n° 33) et du présent diplôme de Louis VI d'autre part, se renforçant deux à deux. Saint-Magloire demanda même à l'un de ces arbitres, Hugues V, abbé de Saint-Germain-des-Prés, d'authentifier la copie de ce dernier document, ce qu'il fit par l'inscription d'une phrase, peut-être autographe, et par l'apposition de son sceau.
In nomine sanctę et individue Trinitatis, Patris et Filii et Spiritus Sancti. Ego Ludovicus, Dei gratia Francorum rex. Notum fieri volumus cunctis fidelibus quoniam Robertus, venerabilis abbas Sancti Maglorii Parisiensis, adiit presentiam nostrę regię serenitatis, rogans suppliciter et obnixe postulans quatinus, pro nostra et antecessorum nostrorum salute, pro regni nostri incolumitate et potissimum pro filii nostri, donni Philippi regis noviter defuncti, ęterna requie, confirmaremus, nostrę regię auctoritatis assensu, omnia donaria et beneficia, quę prefato monasterio felicis memorię avus noster donnus Henricus rex donaverat. Cujus petitio, quoniam rationabilis nobis visa est et tam nobis quam nostris omnibus utilis et honesta, postulationi ejus pium benigne accommodavimus assensum et omnia, quę ei cui preest monasterio non solum prenominati avi nostri donni Henrici regis magnanimitate facta, sed et quarumcunque fidelium personarum munificentia et liberalitate collata sunt donaria et beneficia, per litteras et sigillum nostrę regalis confirmavimus auctoritatis. Inter quę hec propriis nominibus specialiter visa sunt annotanda : concedimus itaque et confirmamus memorato Sancti Maglorii monasterio in primis totam decimam omnium reddituum in castro Monasterioli et in portu marino ad nos pertinentium, excepta decima monetę atque cervisię ; deinde decimas et ecclesias de Exartis et de Buxeria, utrasque omnimodis liberas ; villam quoque, quę dicitur Gueperros, cum terris et decimis ; sed et decimam totam pasnagii totius Aquilinę, cum decimis et factorum et faciendorum in ea exartorum seu crementorum. Sex insuper molendinos in hujus nostrę confirmationis pagina adjungimus ; tres Parisius ad Grandem Pontem et quartum ad Parvum Pontem situm, quintum ad Milbrai et sextum in Silvanectensi suburbio constitutum ; sed et septimum cum piscaria sua in villa Charentonę. Postremo tres piscarias, quę vulgariter appellantur gorz, primam in confluentia Sequane et Marnę sitam, secundam e regione loci illius qui noncupatur (sic) Milpas, terciam que, contiguę sibi, cuidam adjacet insulę. Quibus omnibus adjungimus et molendinum, cum vineis in Meldunico vico sitis, a Gerlende ejusque heredibus datis. Hec omnia, sicut superius sunt prenotando comprehensa, sepedicto Sancti Maglorii monasterio nostrę regię majestatis auctoritate confirmamus, nostri sigilli impressione communimus, nostri quoque nominis karactere corroboramus, decernentes ut servorum Dei monachorum juris propria perpetuo maneant et libera eorumque tantummodo usibus, pro quorum utilitatibus donata sunt, proficiant. Contra quod pietatis nostre decretum, si qua unquam cujuslibet dignitatis aut officii persona venire temptaverit hocque scienter infringere, utpote regię majestatis rea, etiam de vita periclitari digna judicetur.
Actum Parisius, in palatio nostro, anno ab Incarnatione Domini M°C°XXX°I°, regni autem nostri XX°III°, indictione VIIII.