759 [758], 26 août. — Aix-la-Chapelle.

Acte faux

Pépin le Bref, fondateur du monastère de Sorèze situé sur le Sorèze qui lui a donné son nom, près de Verdun en Toulousain, dote cet établissement de deux « praedia » royaux contigus, Villepinte avec l'église de Saint-Jean-Baptiste et Villemagne avec toutes ses dépendances, lui octroie l'immunité, le soustrait à toute autre juridiction que celle de l'église romaine, et reconnaît aux moines le droit d'élire leur abbé à la mort du titulaire actuel qu'il a lui-même nommé.

Référence : Léon Levillain et Maurice Prou (éd.), Recueil des actes de Pépin Ier et de Pépin II rois d'Aquitaine (814-848), Paris, 1926, noLXIII.

A. Original du prétendu diplôme de Pépin le Bref, perdu.

B. Copie du xviie s., par André Du Chesne, Bibliothèque nationale, Collection Baluze, vol. 46, fol. 345, sans indication de source, probablement d'après une copie du vidimus de 1391 signalé ci-dessous en C.

C. Copie du xviie s., dans le vidimus de Bernard de Grasinhac, viguier royal de Toulouse, donné à Toulouse le 14 novembre 1391 et collationné sur A par G. de Solio, Bibliothèque nationale, ms. lat. 12698, fol. 49, d'après une copie du vidimus.

D. Copie du xviie s., dans le vidimus de 1391 signalé en C, Bibliothèque nationale, ms. lat. 12697, fol. 256, d'après une copie du vidimus.

E. Copie de l'an 1822, par J.-A. C[los], dans sa Notice historique sur Sorèze et ses environs, p. 10, d'après une copie de 1723, par Pierre Blaquière-Paris, fondé de pouvoir de l'abbé Henri de Rousset de Ceilhes, tirée d'un cahier de reconnaissances (source apparentée à BC), avec une traduction française du xviie s. faite sur un texte apparenté à IJK.

F. Copie du 5 décembre 1668, par Gratian Capot pour Jean de Doat, dans le vidimus de 1391 signalé en C, Bibliothèque nationale, Collection Doat, vol. 81, fol. 280, d'après un extrait du Livre des archifs de la ville de Sorèze collationné par Pierre Robert, notaire royal, le 1er août 1604, sur la transcription de l'acte audit Livre des archifs faite par lui-même d'après la copie prise au xvie s. par Pierre Sallelles, prêtre, sur le vidimus de 1391, avec utilisation d'une autre source apparentée à celle des copies BC du diplôme de 754.

G. Copie authentique du 1er octobre 1609, par le greffier Festes, dans le vidimus de 1391 signalé en C, Bibliothèque nationale, ms. lat. 12698, fol. 64 v°, d'après la copie authentique sur papier du 20 août 1541 collationnée par le notaire royal Pierre Tourrier et par Pierre Mirabeau sur l'original du vidimus et conservée dans les archives du château de Castelnaudary dans un sac coté Sorèze n° 128.

H. Copie du xviie s., Bibliothèque nationale, ms. lat. 12698, fol. 129, sans indication de source, d'après une copie apparentée à G mais interpolée.

I. Copie de l'an 1691, par Dom Etienne Dulaura, Bibliothèque nationale, ms. lat. 12698, fol. 10, d'après la même source que H.

J. Copie de l'an 1696, par le même, dans sa Sinopsis rerum memorabilium abbatiae beatae Mariae olim de Sanha, nunc de Pace, loci de Soricinio, diocesis Vavrensis, ordinis sancti Benedicti congregationis sancti Mauri, in quo residuarum cartarum summa seriatim exhibetur, Bibliothèque nationale, ms. lat. 12698, fol. 136, d'après la même source que HI.

K. Copie de l'an 1696, par Dom Dulaura, dans un second exemplaire de sa Sinopsis, Archives départementales du Tarn, F, fonds Carrère, n° 1, p. 1, d'après J.

L. Copie de la fin du xviie s., par le même, dans une mise au net portant la mention « double » de sa Sinopsis, Bibliothèque nationale, ms. lat. 12697, fol. 266, d'après J.

a. Gallia christiana, t. XIII, instrumenta, col. 263, d'après l'édition du diplôme de 754 par Baluze, Capitularia regum Francorum, t. II, col. 1391, et d'après C probablement.

b. Gallia christiana, t. XIII, col. 356, fragment, d'après l'édition du diplôme de 754 par Baluze et d'après I probablement.

c. Baluze, Capitularia regum Francorum, édition de Chiniac, t. II, appendice, col. 1391, n° xiii, d'après la première édition des Capitularia et d'après B.

d. J.-A. C[los], Notice historique sur Sorèze. Voir ci-dessus, sous la lettre E.

e. Émile Jolibois, Fondation de l'abbaye de Sorèze, dans Revue historique du Tarn, t. VI (1887), p. 269, d'après K avec des corrections empruntées à a et à l'édition du diplôme de 754 par Baluze.

Indiqué : Inventaire général des titres de la seneschaussée de Toulouse, Archives départementales de l'Hérault, B 1, fol. 164 v°.

Indiqué : Bibliothèque nationale, Collection De Camps, vol. 100, fol. 164 v°, d'après les « Archives de la Chambre des comptes de Montpellier, sénéchaussée de Toulouse, judicature de Lauragais, titre de Sorèze, n° 1 ».

Indiqué : Émile Jolibois, Le Fonds Carrère des archives départementales du Tarn. Inventaire sommaire, p. 5.

Indiqué : R. Giard, Catalogue, n° 1 (ann. 816), confondu avec le diplôme de 754.

Indiqué : État général par fonds des archives départementales, Tarn, série F, fonds Carrère, p. 722.

La tradition manuscrite du document est si abondante et si compliquée qu'il nous paraît utile de résumer dans un schéma les données fournies par les copies elles-mêmes et les résultats auxquels nous conduit la confrontation de ces copies. Dans le graphique suivant, nous désignons les intermédiaires disparus par les dernières lettres de l'alphabet, en conservant à l'original perdu et aux copies les capitales en italiques qui les désignent dans l'apparatus.

Z a copié directement A puisqu'il nous fournit de précieux renseignements sur l'original qui fut présenté au viguier de Toulouse, Bernard de Grasinhac, pour confirmation, et qu'il fut collationné à cet original par G. de Solio. Mais il est probable qu'aucune de nos copies actuellement connues ne dérive directement de Z qui doit avoir disparu lors du pillage de l'abbaye par les troupes protestantes le 5 juin 1573 et de la dispersion des archives qui en fut la conséquence : en 1604 et en 1609, les religieux en étaient réduits à rechercher dans les archives étrangères à leur monastère les copies du vidimus contenant la transcription du diplôme qu'ils considéraient comme l'acte de fondation de leur maison et leur première charte d'exemption ; en 1668 encore, ils n'ont pas de meilleur texte à délivrer à Doat qu'une copie de 1604 faite sur une transcription d'une copie du xvie s.

Cette copie de 1604, R, transcrite par F, présentait un caractère exceptionnel : alors qu'elle livrait à Doat le texte entier de Z et qu'elle ne différait pas essentiellement des autres copies dans les formules de vidimus, elle s'écartait d'elles par des variantes de texte dans la teneur du diplôme vidimé, variantes qui la rapprochaient de la copie du diplôme de 754 utilisée par Baluze, comme si l'ancêtre de cette famille de manuscrits, X, qui existait avant 1580, avait collationné la transcription du diplôme contenue dans Z sur le texte du diplôme antérieur. Cette observation nous a permis de mettre à part cette famille X.

Un autre manuscrit, de 1541, W, apportait une petite modification au texte de Z tel que nous le livrent les copies dérivées d'Y :

Ce manuscrit allait devenir le prototype de deux familles, car, copié par G, il fut utilisé pour fabriquer T.

T, outre quelques leçons qui lui sont propres comme « genitricis » dans le membre de phrase « propter amorem Dei ejusque genitricis in eisdem locis famulantibus », ou comme « retributionis » pour « remunerationis », etc., T, dis-je, renferme une addition qui le distingue de tous les autres manuscrits antérieurs : en tête des donations, il inscrit un « supradictum castrum de Verduno » qui créait sans doute illégitimement des droits aux moines non point sur le « Verdunus » du document ancien qui est Pechverd, mais sur la petite ville de Verdun voisine, car T est du xviie s., nous allons le voir, et les gens du xviie et du xviiie s., avec Dom Mabillon et tous les Bénédictins identifiaient le « Verdunus » de notre texte avec la localité actuelle du département de l'Aude.

La tradition de T est très tardive. L'abbaye a été, comme nous l'avons dit, pillée en 1573 et ses titres ont été dispersés, perdus ou considérés comme tels, selon les expressions mêmes d'un contemporain. Au commencement du xviie s., les édifices claustraux étaient rebâtis, et l'église, reconstruite, fut consacrée en 1637. Nul doute qu'on ait alors cherché à reconstituer le chartrier : en 1604, c'est le notaire royal Robert qui délivre au syndic du monastère la copie R, collationnée par lui ; en 1609, l'économe de l'abbaye, Dom Bastide, faisait copier aux archives du château de Castelnaudary des documents « pour servir à la conservation des droits de ladite abbaye ». Cependant, en 1668, Dom Degué, syndic du monastère, ne trouvait pas d'autre titre plus capable de bien servir à la conservation de ces droits que la copie de 1604, puisque c'est R qu'il remet à Doat « n'en ayant pas d'autre en meilleure forme ». Moins de vingt-cinq ans plus tard, un érudit bénédictin, Dom Étienne Dulaura, était en possession de la nouvelle copie T qui lui livrait un texte interpolé. Gardons-nous de dire, ou même de laisser supposer, sans preuves suffisantes, que Dulaura fut l'auteur de l'interpolation relative au « castrum de Verduno ». Remarquons seulement que la plus ancienne copie datée de cette famille T est de 1691 et de la main de Dulaura, et que la Sinopsis rerum memorabilium abbatiae beatae Mariae de cet auteur prend fin sur cette mention : le 30 janvier 1692, le syndic, au nom de l'abbé et du couvent du monastère, présenta aux commissaires un état de tous les biens de l'abbaye. Il n'est pas douteux que c'est à cette occasion que Dulaura conçut le projet de rédiger sa Sinopsis : et, tandis que, pour tous les autres documents, il se contente d'une analyse, il reproduit in extenso le diplôme de Pépin de 759 et le diplôme de Louis le Pieux du 5 mai 817. En attribuant à l'interpolation la date de 1690 environ, on ne peut se tromper de beaucoup. L'interpolation de 1690 ne faisait que diminuer encore la valeur historique du diplôme de Pépin ; car, ce diplôme est un faux manifeste : A n'était qu'une copie figurée, interpolée et post-datée de l'original du diplôme faux de 754.

Le caractère de copie figurée que nous reconnaissons à A nous est connu par la description que Z contenait de l'original présenté au viguier royal de Toulouse.

L'interpolation insérée dans A vise à procurer à l'abbaye de Sorèze la qualité d'abbaye exempte. Elle nous permet de dire à quelle date le faussaire travaillait. Nous avons vu que le diplôme faux de 754 en faisant de Sorèze une abbaye royale interdisait au vicomte de Foix de disposer, comme il l'avait fait, de cette abbaye en faveur de Moissac ; mais il proclamait le droit du roi de disposer de Sorèze ; et alors, s'il prenait envie au roi d'en disposer en faveur de Moissac... ou de Cluny ? Les moines de Sorèze étaient vraisemblablement instruits par l'expérience : sans même remonter au cas de Moissac antérieur d'une soixantaine d'années, ils avaient connaissance de ces rivalités d'églises dont l'une prétendait se soumettre l'autre, de ces rivalités qui se terminaient au profit des Clunisiens : c'est Figeac qui échappait à la dépendance de Conques en se donnant à Cluny et qui triomphait en 1096 ; c'est Mozac qui tombe aux mains des Clunisiens en 1095, etc. A Mozac même, où les moines, en attribuant à leur abbaye la qualité de fondation royale, avaient cherché à intéresser le roi à leur cause, Philippe Ier avait consommé leur perte. Il restait donc aux Soréziens à entraver l'action possible du souverain et à faire reconnaître par Rome la qualité d'abbaye exempte à leur maison : par une addition au texte du faux diplôme de 754, ils firent prendre au roi fondateur de l'abbaye l'initiative de soustraire Sorèze à toute autre juridiction que celle de l'Église romaine. Et, en 1120, le pape Calixte II reconnaissait à l'église sorézienne le privilège de l'exemption.

Les conditions de temps dans lesquelles travaillait le faussaire nous laissent croire que l'auteur d'A est celui-là même qui avait forgé le diplôme de 754, et même qui avait fabriqué les diplômes faux de Louis le Pieux : la méthode qui a présidé à la confection des actes de Pépin est celle qui a servi à la fabrication des chartes impériales. Dans les deux cas, le faussaire, après avoir fait son premier faux, le reprend et l'altère pour façonner le second ; mais il ne se livre pas entièrement à son inspiration : il recourt au modèle — un diplôme authentique de Louis le Pieux — qui lui a servi pour le premier, ce qui explique que le second s'en rapproche parfois davantage. C'est ce qui se produit ici pour la date :

Les données de la date appliquées au règne de Pépin le Bref placent le document au 26 août 758 ; mais comme le faussaire établissait un intervalle de cinq ans entre le premier diplôme de Pépin et le second, qu'il avait voulu mettre le premier en 754, il convient de maintenir à ce faux la date inexacte de 759 : les dates erronées sont ici parties intégrantes du faux. Il n'y a pas lieu de noter la divergence des années du règne et de l'année de l'indiction, puisque ce dernier élément se trouvait tel dans le diplôme de 754 auquel le faussaire l'empruntait sans se préoccuper de l'accorder à la nouvelle année de règne qu'il imposait à son faux. Nous mettons ci-dessous en petit texte les emprunts au diplôme de 754 ; nous ramenons partout la graphie ae que donnent la plupart de nos copies, à e que portait certainement le vidimus de 1391 source commune de toutes nos copies et nous avons laissé tomber quelques variantes d'E qui n'étaient que des bévues orthographiques imputables certainement au copiste.


In nomine Domini et Dei et salvatoris nostri Jesu Christi. Pipinus, gratia Dei rex. Si erga loca divinis cultibus mancipata propter amorem Dei ejusque in eisdem locis famulantibus propter eorum sustentationem quoddam conferimus, premium nobis apud Dominum eterne remunerationis rependi non diffidimus. Proinde noverit omnium fidelium, tam presentium quam et futurorum, solertia quia placuit nobis, propter amorem Dei et anime nostre remedium, construere monasterium in pago Tholosano juxta castrum quod dicitur Verdunus, cui a Soricinei rivulo vocabulum constat inditum Soricinius in honorem Dei et ejus genitricis perpetue virginis Marie et omnium sanctorum, secundum quod eadem Dei genitrix nobis visa est precepisse. Conferimus igitur eidem loco de rebus a Deo nobis collatis, ad sustentationem, ut diximus, fratrum ibidem Deo famulantium, predictum locum nostrum quod dicitur Villapicta et ecclesiam in honorem sancti Johannis Baptiste constructam cum omni integritate, quantumcumque in ipso loco jure proprietatis modo nostra est possessio, et aliud predium quod dicitur Villamane in contiguo superioris predicti situm cum omni integritate, cum mancipiis utriusque sexus, cum domibus, edificiis, terris, vineis, pratis, silvis, pascuis, aquis aquarumque cursibus, molendinis, mobilibus et immobilibus, cultum et incultum, quesitum et adquirendum, totum ab integro memorato monasterio Soricinio ad cunctas ejusdem monasterii necessitates consulendas perpetualiter ad habendum delegavimus ; et hanc auctoritatem, sub nomine ac tuitionis gratia, fieri volumus per quam precipimus ut nullus judex publicus vel quilibet ex judiciaria potestate in possessiones memorati monasterii que deinceps divina pietas in jure ipsius sancti loci voluerit augere, ullas illicitas occasiones requirere nullo unquam tempore audeat, sed liceat ordinato abbati suisque successoribus sub immunitatis nostre vel successorum nostrorum defensione quieto ordine possidere. Et cenobium illud nulli alterius ecclesie juri preterquam Romane subjaceat ditioni. Et quando quidem divina vocatione a nobis ordinatus abbas vel successor ejus ab hac luce migraverit, perpetuo secundum regulam sancti Benedicti per hanc auctoritatem et consensum licentiam habeant eligendi abbates quatenus ipsos monachos qui ibidem Deo famulari videntur, pro statu totius regni nostri et incolumitate conjugis atque prolis, Domini misericordiam exorare delectet. Et ut hec auctoritas nostris et futuris temporibus debeat inconvulsa manere, manu nostra subsignavimus et anuli nostri impressione signari jussimus.

Signum Pipinus Pipini gloriosissimi regis.

Joannes diaconus ad vicem Dagni recognovit.

Data VII kalendas septembris, domino Christo propicio, septimo imperii domni regis serenissimi, indictione septima. Datum Aquisgrani palatio regio. In Dei nomine, feliciter. Amen.


Localisation de l'acte

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