754 [753], 26 août. — Aix-la-Chapelle.

Acte faux

Pépin le Bref, fondateur du monastère de Sorèze situé sur le Sorèze qui lui a donné son nom, près de « Verdiminus », en Toulousain, dote cet établissement de deux « praedia » royaux contigus, Villepinte avec l'église de Saint-Jean-Baptiste et Villemagne avec toutes ses dépendances, lui octroie l'immunité et reconnaît aux moines le droit d'élire leur abbé à la mort du titulaire actuel qu'il a lui-même nommé.

Référence : Léon Levillain et Maurice Prou (éd.), Recueil des actes de Pépin Ier et de Pépin II rois d'Aquitaine (814-848), Paris, 1926, noLXII.

A. Original du prétendu diplôme de Pépin le Bref, perdu.

B. Copie de l'an 1677, par Baluze, dans ses Capitularia regum Francorum, t. II, appendice n° xiii, col. 1391, « ex archivo monasterii Soricinii », d'après une copie perdue d'A.

C. Copie du xviie s., Bibliothèque nationale, ms. lat. 11897, fol. 16, « ex archivo monasterii Soricinii », d'après la même source que B ou d'après B.

D. Copie du xviiie s., Bibliothèque nationale, Collection de Languedoc, vol. 74, fol. 48, d'après B.

E. Copie du xviiie s., pour Dom Bouquet, Bibliothèque nationale, ms. fr. nouv. acq. 22210, fol. 2, d'après B.

a. Baluze Capitularia regum Francorum. Voir ci-dessus, sous la lettre B.

b. Gallia christiana, t. XIII, instrumenta, col. 263, d'après B et une autre source.

c. Gallia christiana, t. XIII, col. 356, fragment d'après B et une autre source.

d. Baluze, Capitularia regum Francorum, édition de Chiniac, t. II, appendice, col. 1391, n° xiii, d'après B et une autre source.

e. Dom Devic et Dom Vaissète, Histoire générale de Languedoc, édition Privat, t. II, preuves, n° 41, p. 111, d'après B.

Indiqué : Bréquigny, Table chronologique, t. I, p. 95.

Indiqué : Böhmer, Regesta Karolorum, n° 8.

Indiqué : Th. Sickel, Acta Karolinorum, t. I, p. 106 (attribué à Pépin Ier).

Indiqué : R. Giard, Catalogue n° 1 (a. 816).

Le document que B et C ont copié n'était vraisemblablement pas A, car certaines de leurs leçons, — en particulier « evictionis gratia » pour « tuitionis gratia », — sont moins bonnes que celles qui nous sont fournies par toutes les copies du diplôme faux de 759 fabriqué à l'aide d'A.

Quoi qu'il en soit, le texte qui nous est livré par BC est celui d'un diplôme faux.

Dans l'exposé, le roi notifie qu'il lui a plu de fonder le monastère de Sorèze en l'honneur de Dieu et de sa mère la Vierge Marie et de tous les saints « secundum quod eadem Dei genitrix nobis visa est precepisse ». Voilà une proposition qui, à elle seule, jette le discrédit sur ce passage et permet de croire que, à la suite de la formule de notification, la mention de la fondation a pris la place de l'énoncé des circonstances dans lesquelles le roi, quel qu'il soit, avait fait la concession qui était annoncée, semble-t-il, par le préambule.

La tournure élégante : « monasterium..... cui Soricinii rivulo vocabulum constat indici Soricinii » à laquelle le rédacteur de l'acte a eu recours pour exprimer ce qu'un notaire de la chancellerie à l'époque carolingienne aurait traduit platement par un « quod nuncupatur Soricinius, quod est situm super fluvium Soricinium » serait probablement unique dans la série des diplômes carolingiens si l'acte dont nous nous occupons était authentique.

La dotation qui suit paraît être bien maigre, si c'est là tout le cadeau fait par le roi au monastère qu'il a fondé : elle ne comprend que le lieu-dit de Villepinte et l'église de Saint-Jean-Baptiste donnés pour subvenir à la nourriture des moines et le « praedium » appelé Villemagne donné pour subvenir à tous les besoins du monastère. Ce sont là évidemment des biens du fisc dont le roi dispose. Si l'on trouve bien, à l'époque carolingienne, dans des confirmations royales, le terme de « praedium » appliqué à des possessions d'une église ou d'un monastère, on ne rencontre pas, croyons-nous, ce terme, à cette date, dans un diplôme royal, pour désigner une terre du fisc donnée en présent à une église.

La formule qui transmet, avec le fonds, la pleine et entière propriété ne prête pas moins à la critique. Dans les diplômes non suspects, on fait suivre l'énumération des dépendances du domaine donné d'une formule juridique qui éteint toute revendication fondée sur le droit de propriété, et quelquefois même, cette formule précise et distingue le droit de propriété et le droit de possession. Le mot « possessio » est alors pris dans son sens juridique : c'est le jus ad rem opposé au jus in re. Ici, l'incise « quantumcumque in ipso loco jure proprietatis nostrae nostra est possessio » est un véritable trompe-l'œil : le mot « possessio » y est pris dans son sens le plus vague : le scribe qui l'a écrite traduisait ainsi une autre formule qu'il lisait dans un diplôme de Louis le Pieux pour Sorèze : « quantumcunque in ipso loco jure proprietatis pertinere dignoscitur ». La preuve en est dans le fait suivant : nous possédons deux diplômes de Louis le Pieux pour Sorèze, l'un du 5 mai 817, l'autre du 27 avril 817 ; le premier nous est parvenu en deux rédactions différentes ; le second est né de la combinaison de ces deux rédactions auxquelles il ajoute par interpolation. Or celui-ci nous livre à diverses reprises la formule « quantumcunque in re (ou jure) proprietatis nostrae est possessio » ; et le faussaire qui l'a forgé croyait bien exprimer sous une forme légèrement différente la même idée qu'exprimait la formule que nous avons reproduite plus haut et que nous offrent les deux rédactions de l'acte du 5 mai 817.

Aussi, le dispositif où nous lisons cette incise, et qui n'est pas introduit par une formule appropriée, devient suspect tout autant que l'exposé. Du reste, l'affectation des domaines, l'un à la nourriture des frères, l'autre aux besoins généraux de la maison est sujette à caution : il serait sans doute facile d'apporter ici de nombreux exemples de donations royales faites à des monastères pour les besoins des moines et toutes les nécessités de leur maison ; mais, avant le second quart du ixe s., les donations se font en bloc et leur affectation reste générale, parce que c'est à l'abbé qu'il appartient, selon la règle, de disposer des revenus au mieux des intérêts du monastère confié à ses soins. C'est seulement quand la mense conventuelle a été distincte de la mense abbatiale et même que les revenus ont été attribués aux divers offices de la mense conventuelle qu'un donateur a pu affecter l'un de ses dons « ad sustentationem fratrum », l'autre « ad cunctas ejusdem monasterii necessitates consulendas ».

Le dispositif est rattaché à une brève clause d'immunité par une autre formule insolite sous laquelle on devine celle du modèle que le faussaire avait sous les yeux : « Et hanc auctoritatem, immunitatis ac tuitionis gratia, fieri volumus ».

Le reste de l'acte qui est de pur formulaire serait excellent s'il n'y était question d'un « ordinatus abbas », et même « a nobis ordinatus abbas ». Ce sont là des expressions bien extraordinaires sous la plume d'un notaire de chancellerie. On ne peut pas expliquer le mot « ordinatus » par une faute de lecture due à la difficulté du déchiffrement d'un vieux parchemin, bien qu'à cet endroit on lise le mot « supradictus » dans les actes authentiques : il n'a pas encore été question de l'abbé du monastère dans notre document et, par conséquent, A ne portait pas « supradictus ». D'autre part, on ne rendrait pas compte ainsi des mots « a nobis ». Dès lors, il faut croire que le faussaire a pris le mot « ordinatus » dans le sens de « nommé, créé » qu'il a parfois dans la basse latinité ; et la présence ici de l'expression « a nobis ordinatus » est comme le corollaire de la fondation du monastère attribuée au roi : le fondateur a nommé le premier abbé.

La préoccupation constante du faussaire de présenter son abbaye comme un établissement de fondation royale nous ouvre un aperçu sur l'époque où l'acte put être fabriqué. Un monastère de fondation royale a le privilège d'être « in regali potestate » : le roi seul en peut disposer. Or, en 1119, le vicomte Bernard de Foix avait disposé du monastère de Sorèze en faveur de l'abbaye de Moissac ; mais on ne voit pas que, dans la suite, les abbés de Moissac aient exercé aucun droit sur Sorèze ; et, comme dès l'année suivante, en 1120, Sorèze était abbaye exempte, nous sommes assurés que la donation du vicomte de Foix n'eut pas d'effet. Il est vraisemblable que les Soréziens attribuèrent à leur maison le caractère de fondation royale pour refuser au vicomte de Foix le droit de la donner à qui que ce fût ; et cela paraît d'autant moins douteux que, pour obtenir la bulle d'exemption de 1120, les moines de Sorèze eurent encore recours à la fraude, nous le verrons.

Le faussaire disposait de modèles carolingiens : l'invocation initiale, le préambule et la notification sont les mêmes que nous trouvons dans les diplômes de Louis le Pieux pour Sorèze dont nous avons parlé, diplômes faux qui ont été forgés à l'aide d'un diplôme authentique. La clause d'immunité, celle de l'élection abbatiale, la formule de corroboration se rencontrent dans des diplômes incontestés de la première moitié du ixe s. La date elle-même, amorphe, a gardé quelques lambeaux d'une date carolingienne, de celle probablement d'un diplôme de Louis le Pieux altérée intentionnellement pour mettre l'acte sous le règne d'un roi Pépin.

Baluze, le premier, a attribué notre diplôme à Pépin le Bref, mais les auteurs du Gallia christiana l'ont placé sous le nom de Pépin Ier d'Aquitaine. Rien ne permet de résoudre d'une manière irréfutable le problème de l'attribution : ni la suscription, ni la souscription royale ne nous peuvent servir à cette fin. La souscription pourrait avoir été empruntée indifféremment à un acte de Pépin le Bref ou à un diplôme de Pépin Ier d'Aquitaine. Mais la suscription « Pippinus, gratia Dei rex » ne vient pas d'un privilège de Pépin le Bref qui ne s'est jamais intitulé « roi par la grâce de Dieu » dans ses diplômes ; et si elle venait d'un diplôme de Pépin Ier, il faudrait constater qu'elle a subi l'amputation du nom du peuple sur lequel ce prince régnait : dans ce dernier cas, un soupçon ne naîtrait-il pas dans l'esprit que le faussaire aurait pu vouloir vieillir son œuvre et les prétentions illégitimes de son monastère en effaçant le seul signe qui permettrait de distinguer entre Pépin le Bref et son arrière-petit-fils homonyme ? Il nous paraît aussi sage de penser qu'à défaut d'un diplôme d'un roi Pépin, notre faussaire a calqué la suscription et la souscription du roi sur celles d'un diplôme de Charles le Chauve qui sont respectivement : « Karolus, gratia Dei rex » et « Signum (Monogramma) Karoli gloriosissimi regis. » En définitive, nous ne pouvons pas même supposer, en invoquant un semblant de preuve, qu'il y ait jamais eu à la base de notre faux un diplôme, authentique ou non, soit de Pépin le Bref soit de Pépin Ier d'Aquitaine.

Aussi bien, les noms du notaire et du chancelier, qui auraient pu nous livrer le mot de l'énigme s'ils avaient été empruntés à un diplôme de l'un ou l'autre Pépin, ne nous apprendront-ils rien puisqu'ils sont également inconnus dans les chancelleries de ces deux princes : ce sont des noms de fantaisie.

Pour nous déterminer, nous n'avons plus que l'argument de vraisemblance : un faussaire, travaillant au xiie s. et imaginant de fabriquer de toutes pièces un diplôme d'un roi Pépin, n'a-t-il pas eu l'intention de placer son faux sous le nom de Pépin le Bref qui était universellement connu plutôt que de l'attribuer à un Pépin d'Aquitaine dont la figure est assez effacée dans l'histoire ? A notre avis, c'est un prétendu diplôme de Pépin le Bref que nous avons sous les yeux, parce que rien ne nous oblige à y voir un acte de Pépin Ier.

La traduction de la date demande une explication : le 26 août de la seconde année est celui de 753 si l'on applique ces données chronologiques au règne de Pépin le Bref. Au xiie s., et encore même plus tard, on croyait à tort que Pépin avait commencé de régner dans la seconde moitié de 752 : notre diplôme se trouvait ainsi daté de 754 dont l'indiction est bien notée par le nombre VII. Aussi bien, devons-nous maintenir la date inexacte de 754, puisque c'était celle que le faussaire voulait attribuer à son faux. L'acte étant faux, il serait vain de noter une discordance entre la date et le nom du lieu, Aix-la-Chapelle.

L'identification de l'un des noms de lieu nécessite quelques éclaircissements. « Verdiminus » que portent BC est inconnu ; mais il faut peut-être restituer « Verdumnus », car, dans le faux diplôme de 759 qui copie celui de 754 et dont nous nous occuperons tout de suite, on lit à cette place « Verdunus ». On peut être tenté d'identifier ce Verdun avec la localité de même nom du département de l'Aude, canton nord et arrondissement de Castelnaudary, comme l'a proposé Dom Mabillon d'autant plus que les deux terres concédées par le roi au nouveau monastère se trouvent l'une, Villemagne, dans le canton-nord de Castelnaudary, et l'autre, dans le canton-sud. L'expression de notre diplôme qui met Sorèze « juxta quod castrum quod dicitur Verdumnus » peut-elle s'entendre de Sorèze et de Verdun qui sont séparés par l'épaisseur de la Montagne Noire, le premier sur le versant nord, le second sur le versant sud au-dessus des gorges du Tenten ? Plus loin, notre texte dit bien que Villemagne est situé « in contiguo » de Villepinte : ce qui n'est pas plus exact. Néanmoins, J.-A. Clos a rejeté l'identification de Dom Mabillon et traduit « Verdinius » que lui donnait une copie de 1723, par Pechverd (en français, Puyvert) qui est, nous dit-il, le même que « Brunichellis » cité dans les textes du xiie s.. On voit encore aujourd'hui les ruines du château de Puyvert, sur la colline de Bernicaut, distante de 1 kilomètre seulement de Sorèze. « Verdiminus » serait donc un ancien nom de lieu éteint comme le « castrum » qui le portait, et conservé partiellement dans la finale du nom de Pechverd.


In nomine Domini et Dei et salvatoris nostri Iesu Christi. Pippinus, gratia Dei rex. Si erga loca divinis cultibus mancipata propter amorem Dei ejusque in eisdem locis famulantium propter eorum sustentationem quoddam conferimus, praemium nobis apud Dominum aeternae remunerationis rependi non diffidimus. Proinde noverit omnium fidelium tam praesentium quam et futurorum solertia quia placuit nobis, propter amorem Dei et animae nostrae remedium, construere monasterium in pago Tolosano juxta castrum quod dicitur Verdiminus, cui Soricinii rivulo vocabulum constat indici Soricinii, in honorem Dei et ejus genitricis perpetuae virginis Mariae et omnium sanctorum, secundum quod eadem Dei genitrix nobis visa est praecepisse. Conferimus igitur eidem loco de rebus a Deo nobis collatis, ad sustentationem, ut diximus, fratrum ibidem loci famulantium, locum nostrum quod dicitur Villapinta et ecclesiam in honorem sancti Johannis Baptistae constructam cum omni integritate, quantumcumque in ipso loco jure proprietatis modo nostra est possessio, et aliud praedium quod dicitur Villamanna in contiguo superioris praedicti situatum cum omni integritate, cum mancipia utriusque sexus, cum domibus, aedificiis, terris, vineis, pratis, silvis, pascuis, aquis aquarumque decursibus, molendinis, mobilibus et immobilibus, cultum et incultum, questum et adquirendum, totum ab integro memorato monasterio Soricinii ad cunctas ejusdem monasterii necessitates consulendas perpetualiter ad habendum delegavimus ; et hanc auctoritatem, sub nomine ac evictionis gratia, fieri volumus, per quam precipimus ut nullus judex publicus vel quilibet ex judiciaria potestate in possessiones memorati monasterii quae deinceps divina pietas in jure ipsius sancti loci voluerit augere, ullas illicitas occasiones requirere nullo unquam tempore audeat, sed liceat ordinato abbati suisque successoribus sub immunitatis nostrae vel successorum nostrorum defensione quieto ordine possidere. Et quando quidem divina vocatione a nobis ordinatus abbas vel successor ejus ab hac luce migraverit, perpetuo secundum regulam sancti Benedicti per hanc auctoritatem et consensum licentiam habeant eligendi abbates, quatenus ipsi monachi qui ibidem Deo famulari videntur, pro statu totius regni nostri et incolumitate conjugis atque prolis, Domini misericordiam exorare valeant. Et ut haec auctoritas nostris et futuris temporibus debeat inconvulsa manere, manu nostra subsignavimus et annuli impressione signari jussimus.

Signum Pippini gloriosissimi regis.

Joannes diaconus ad vicem Dagni recognovit.

Data septimo kalendas septembris, Christo propicio, secundo domini Pippini regis, indictione septima. Actum Aquisgrani palatio regio. In Dei nomine, feliciter. Amen.


Localisation de l'acte

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