15e année du règne de Charles [768], 27 février. — Paris.

Acte faux

Pépin le Bref, à la requête d'Ebrardus, abbé de Saint-Sulpice de Bourges, accorde aux moines de cette abbaye le droit de percevoir le tonlieu sur les ponts de l'Yèvre et de l'Auron que ledit abbé a fait construire, et aux portes de Bourges.

Référence : Léon Levillain et Maurice Prou (éd.), Recueil des actes de Pépin Ier et de Pépin II rois d'Aquitaine (814-848), Paris, 1926, noLXVI.

A. Original du faux diplôme de Pépin le Bref, perdu.

B. Copie du xviie s. ou du xviiie s., probablement par Dom Turpin, dans la Copie du Chartulaire A de Saint-Sulpice jusqu'à la feuille 24 inclusivement, Archives départementales du Cher, fonds de l'abbaye de Saint-Sulpice, 4 H. 9, registre papier, folio 22 v°, d'après la Pancarta privilegiorum, avec des variantes empruntées au Cartulaire de Saint-Sulpice de la fin du xiie s. appelé Collectio pandectarum.

C. Copie du xviiie s., Bibliothèque nationale, Collection Moreau, vol. 1, fol. 235, « extrait du Cartulaire de St Sulpice de Bourges, fol. xix, f xe » d'après le Cartulaire A, avec des corrections à l'encre rouge de l'écriture de H. Bordier, d'après la Collectio pandectarum.

D. Copie du xviie s., par Dom Charles Le Boyer, dans son Historia monasterii sancti Sulpicii Bituricensis, Bibliothèque nationale, ms. lat. 13871, p. 29, d'après la Collectio pandectarum.

E. Copie de l'an 1840 environ, par Raynal, Collection particulière de M. Louis de Raynal, d'après la Collectio pandectarum.

F. Copie de l'an 1752, dans Dom Bouquet, Recueil des historiens de la France, t. VIII, p. 538, n° cxxx, « ex chartulario hujus monasterii ».

G. Copie du xviiie s., Bibliothèque nationale, Collection Bréquigny, vol. 46, fol. 89, d'après une copie de Dom Housseau, tirée « ex cartulario Bituric. Sti Sulpicio monasterio ».

H. Copie du xviie s., Bibliothèque nationale, ms. lat. 13819, p. 348, « ex Cartul. S. Sulpicii Bitur., car(ta) 22° », fragment d'après la Collectio pandectarum.

I. Copie de l'an 1847, par H. Bordier, dans Des droits de justice et des droits de fief, dans Bibliothèque de l'École des Chartes, t. IX, p. 212, note 3, d'après le « Cart. de S. Sulpice, fol. 19 r° » appelé Collectio pandectarum.

a. Dom Bouquet, Recueil des historiens de la France. Voir ci-dessus, sous la lettre F (attribué à Charles le Chauve).

b. H. Bordier, Des droits de justice et des droits de fief. Voir ci-dessus, sous la lettre I (attribué à Pépin Ier).

c. Jacques Soyer, Les chartes fausses de l'abbaye des Bénédictins de Saint-Sulpice-lès-Bourges, dans les Mémoires de la Société historique du Cher, 4e série, t. XI (1896), p. 332, d'après B (attribué à Pépin II).

d. Louis de Kersers, Essai de reconstitution du Cartulaire de Saint-Sulpice de Bourges, dans les Mémoires de la Société des Antiquaires du Centre, vol. XXXV (1912), p. 69, n° xxii, d'après BDEFH (attribué à Pépin (?) avec la date de 855).

Indiqué : Bibliothèque nationale, ms. lat. 13819, p. 320.

Indiqué : Dom Charles Audebert, Mémoire des Antiquités de l'abbaye de Saint Sulpice lez Bourges (1641), Bibliothèque nationale, ms. lat. 12698, fol. 318 v°.

Indiqué : Gallia christiana, t. II, col. 126.

Indiqué : Gaspard Thaumas de La Thaumassière, Histoire de Berry, réimpression de 1865, p. 240.

Indiqué : Raynal, Histoire de Berry, t. I, p. 269 (attribué à Pépin II).

Indiqué : R. de Lasteyrie, Cartulaire général de Paris, p. 58, n° 4 (attribué à Charles le Chauve d'après F).

Indiqué : Th. Sickel, Acta Karolinorum, t. II, p. 436 (attribué à Pépin Ier).

Le diplôme que nous publions ci-dessous est un faux, à quelque prince qu'on en attribue la paternité. Passe encore que les moines aient obtenu le droit de lever à leur profit le tonlieu sur les ponts qu'ils sont censés avoir construits ; mais pourquoi le roi leur aurait-il abandonné les droits à percevoir aux portes de la ville de Bourges ? Par là notre diplôme est en relation étroite avec la charte fausse de Clodomir, roi des Francs, dont il suffit ici de donner une analyse.

Cette analyse, nous l'empruntons à l'édition de M. Jacques Soyer, en la complétant sur le point qui est essentiel pour nous. « Clodomir, roi des Francs, désirant vivement augmenter les biens de l'église de la Nef (Navensis ecclesia) dans laquelle repose le corps de saint Sulpice, archevêque de Bourges, et en considération de ce que le saint rendit naguère à la vie et à la santé son père mourant, donne à ladite église et aux moines la desservant toutes les coutumes de la cité de Bourges, savoir le portaticum, le rotaticum, le foraticum et le districtus, un marché par semaine, les foires annuelles établies et à établir, les droits à percevoir de ceux qui viennent dans la ville ou de ceux qui en sortent, que ce soient des habitants de Bourges ou des étrangers, tous les cens à percevoir sur les places (areae) depuis la porte Gordaine jusqu'à la porte d'Auron entre le cours d'eau et la muraille, le cours d'eau avec les moulins, toutes les places sises dans l'enceinte de la cité, sauf les enclos, tout le bourg autour de l'église de la Nef, le portaticum, le rotaticum et le foraticum dudit bourg, [sicut de portis civitatis], les eaux et les prés ainsi que les îles qui sont aux environs du monastère, la prairie depuis Beaulieu jusqu'à Berry et le Pré de l'Étable. Il concède aussi au monastère la paisible possession du terrain qui s'étend de l'église de Sainte-Croix à l'église de la Nef ».

Que la charte de Clodomir soit un faux, c'est ce que M. Soyer a démontré en relevant les erreurs historiques qu'elle contient ; le caractère exorbitant des prétentions monacales sur la cité archiépiscopale de Bourges suffirait à l'établir. Notre confrère attribue la falsification au xie s. ; mais son argumentation ne permet pas d'écarter l'hypothèse que le faussaire travaillait au xe s.. C'est donc au xe ou au xie s. que les moines cherchaient à s'attribuer les droits perçus aux portes de la ville ; et c'est dans le même temps que fut forgé le diplôme prétendu carolingien dont nous nous occupons.

Le faussaire a pris comme modèle un diplôme de Charles le Chauve ; c'est sur ce modèle qu'il a calqué le protocole initial, la formule de notification, la formule de corroboration (réserve faite du mot « conservatio ») ; c'est à lui qu'il a emprunté la souscription de chancellerie et la date — celle-ci sous réserve d'une altération de chiffres. En un mot, tout ce qui est carolingien dans l'acte faux n'a pas d'autre source.

C'est, sans doute, parce qu'il constatait la similitude de cet acte avec les diplômes de Charles le Chauve qu'un érudit — je ne sais lequel — a corrigé le nom de « Pippinus » fourni par les cartulaires en « Karolus », supprimé dans la clause des prières les mots « domno Karolo rege », ajouté la souscription royale et rétabli la concordance entre les éléments de la date. Dom Bouquet, qui a été rendu responsable de ces altérations, nous en paraît innocent. Dès le xviie s., nous constatons qu'un Bénédictin substituait à « Pipinus », qu'il avait écrit, le nom de « Carolus », et qu'un correcteur biffait le passage « domno Carolo magno rege » dans la même copie. D'autre part, Dom Bouquet a certainement cru qu'il y avait un cartulaire qui contenait l'acte tel qu'il l'a édité, puisqu'il nous prévient qu'« il y a d'autres exemplaires qui attribuent à tort ce précepte au roi Pépin ». Les deux seuls cartulaires anciens qui soient connus comportent ce que son édition supprime et ne contiennent pas ce qu'elle ajoute ou modifie. Et Dom Housseau, de son côté, paraît avoir connu le texte remanié dont dérive l'édition des Historiens de la France. S'il y avait eu un diplôme de Charles le Chauve, tel que nous le livrent FG, ce diplôme eût été un faux en relation avec le diplôme faux de Clodomir. Dès lors, à quelle nécessité eût répondu la simple substitution du nom de Pépin à celui de Charles ? Elle n'eût rien ajouté aux prétendus droits de l'abbaye ; elle ne leur eût pas même conféré une antiquité plus haute, puisque ces mêmes droits étaient supposés avoir été reconnus aux moines de Saint-Sulpice par Clodomir. Les divergences de texte d'FG avec les autres copies sont des corrections d'érudit, et l'auteur responsable de ces corrections se servait sans doute du Cartulaire du xiie s. et non du Cartulaire A puisqu'il donne le nom de l'Yèvre sous la forme « Evra ». Enfin, quand nous constatons que les copies de l'acte mis sous le nom de Pépin ne portent pas d'autre souscription que la souscription de chancellerie, et que la formule de corroboration n'annonçait pas la souscription royale, nous sommes en droit de croire que la souscription royale correcte donnée par FG est une addition d'érudit, bien que l'on puisse citer des diplômes originaux de Charles le Chauve où le roi a souscrit sans que sa « manus » soit annoncée.

Il n'y a pas eu d'autre faux ancien que l'acte supposé de Pépin. On a vu dans ce nom du roi celui de Pépin le Bref, ou celui de Pépin Ier, ou celui de Pépin II. L'attribution de l'acte à Pépin Ier ne repose sur rien : ce roi n'a pas eu de contemporain du nom de Charles qui ait régné et dont il aurait pu faire mention dans sa charte. Le nom de Pépin II peut paraître avoir plus de raisons d'être mis en avant : le faussaire se servant d'un diplôme de Charles le Chauve pour forger son acte de Pépin, conservant à celui-ci la date de son modèle, peut avoir voulu faire un document s'attribuant la date de 855 (qui est celle des données chronologiques appliquées au règne de Charles le Chauve), et l'insertion du nom de Charles dans la clause des prières pourrait avoir pour objet de maintenir à ce prince ses droits aux prières des moines au cas où l'on aurait fait disparaître le diplôme authentique qui les assurait. Mais c'est prêter au faussaire des intentions dont les faussaires n'ont guère coutume de s'embarrasser, et même des connaissances historiques qu'il n'avait peut-être pas : un faussaire de la fin du xe ou du commencement du xie s. qui met son œuvre sous le nom d'un roi Pépin songeait bien plutôt à l'illustre fondateur de la dynastie carolingienne qu'au pâle fantôme de roi contemporain de Charles le Chauve. En outre, nous devons remarquer que Pépin ne réclame pas des prières « pro nobis, conjuge proleque nostra et domno Karolo rege », mais pour lui, sa femme, « proleque nostra domno Karolo rege » : ce qui ne peut s'entendre que si l'on donne au mot « proles » le sens d'enfant, de fils, qu'il a eu quelquefois dans l'antiquité classique : Pépin II n'a pas eu de fils du nom de Charles, et qui ait régné. Mais notre faussaire n'ignorait pas que Pépin le Bref avait eu pour fils Charlemagne : l'addition du mot « magno » au xiie s. ne laisse pas douter qu'alors, comme au xviie s., on croyait dans l'abbaye avoir eu pour bienfaiteur Pépin le Bref.

L'absurdité d'un acte donné par un roi Pépin et daté non pas du règne de ce prince, mais de celui d'un roi Charles ne pouvait guère être admise que par des gens qui étaient accoutumés à voir le fils associé par son père au gouvernement du royaume avec le titre de roi : il n'est pas nécessaire pour cela de croire que le faussaire ait connu la cérémonie du sacre en l'abbaye de Saint-Denis où le pape Étienne oignit Pépin le Bref et ses deux fils, le 28 juillet 754 ; il suffit de supposer qu'il travaillait à la fin du xe siècle ou dans le courant du siècle suivant, où l'association au trône s'était introduite comme un moyen d'opposer le principe héréditaire au principe électif : et nous voici ramenés à l'époque que M. Soyer avait indiquée pour la fabrication de la fausse charte de Clodomir.

La date de notre faux, la quinzième année du règne de Charles, ne peut appartenir qu'au règne du roi Charles dont il est question dans la teneur ; pour la calculer, il faut supposer que Charlemagne a régné en même temps que son père, et nous ne pouvons prendre comme point de départ de ce règne supposé que la cérémonie du 28 juillet 754. Mais alors le 26 février de la quinzième année tombe en l'an 769, et, à cette date, Pépin le Bref était mort depuis le 24 septembre précédent. L'indiction VI étant celle de 768 pourrait servir à nous tirer d'embarras. Mais est-il nécessaire d'essayer de traduire ce qui est intraduisible ? La date qui nous est livrée ne vaut que pour un diplôme de Charles le Chauve ; elle ne convient à aucun acte d'un roi Pépin, quel qu'il soit.

Nous avons adopté dans tous les cas l'e simple pour ae : les copies du Cartulaire A donnent l'e simple comme les copies les plus sûres du Cartulaire du xiie s. D donnant tantôt ae, ȩ, e, nous n'avons pas cru cependant devoir donner ses variantes, car des copistes du xviie s. ont usé de ces graphies ae et ę sans raison, ce qui semble être ici le cas.


In nomine sancte et individue Trinitatis. Pipinus, gratia Dei rex. Notum sit omnibus fidelibus sancte Dei ecclesie et nostris, presentibus scilicet et futuris, quia quidam abba, Ebrardus nomine, regens cenobium sancti Sulpicii Biturice civitatis quod est situm inter duas aquas, in nostram veniens presentiam humiliter innotuit quoniam pro eterna retributione pontes fecerit in aquis que dicuntur Evera et Otrionis, in quibus antea magna difficultas erat transeundi. Quare oravit idem abbas precellentiam nostram ut eandem exactionem telonei ab eisdem pontibus, et similiter teloneum ab omnibus portis civitatis Deo et sancto Sulpicio pro nobis, conjuge proleque nostra domno Karolo rege et pro stabilitate regni nostri a Deo concessi concederemus. Petitionem autem ejus clementer ac libenti animo audientes, altitudinis nostre scriptum hoc fieri jussimus, per quod precipimus atque jubemus ut nullus comes nec ulla potestas nec quilibet homo de predictis pontibus et portis aliquando ullum censum exigere temptet nec teloneum a transeuntibus requirere ullo modo presumat, exceptis fratribus Deo et sancto Sulpicio servientibus quorum labore ipsi pontes facti sunt, et quibus nos annuimus, tam presentibus quam futuris, ut dictum est. Ut autem hec celsitudinis nostre conservatio in Dei nomine melius semper vigeat, de anulo nostro subter eam jussimus sigillari. S. Bartholomeus notarius ad vicem Hludovici recognovit.

Data IIII kalendas martii, anno XV regnante Karolo glorioso rege, indictione VI. Actum Parisius palatio regio. In Dei nomine, feliciter. Amen.


Localisation de l'acte

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