1202, 14 – 30 avril. — Paris.
Philippe Auguste fait savoir que Guillaume, trésorier de Pontoise, et Vincent « Pica » (La Pie), chanoine de Saint-Mellon de Pontoise, munis des lettres de pouvoir de Henri, abbé, et du chapitre de cette église, lui ont exposé que ces derniers, devant les négligences qui se produisaient dans le culte divin, ont décidé que les « fruits du réfectoire » seraient réservés aux chanoines, aux vicaires, au diacre et au sous-diacre qui assureraient la messe quotidienne. Le roi confirme la décision prise.
La fausseté de cet acte n'est pas évidente au premier abord. Les personnages cités et les grands officiers (sauf le sénéchal et le chancelier) sont bien ceux de l'époque, et le texte paraît suffisamment cohérent. L'intervention du roi dans une affaire intérieure d'affectation de revenus n'est pas non plus invraisemblable, Saint-Mellon de Pontoise étant une abbaye royale. Les arguments en faveur de la falsification reposent à notre avis sur les considérations suivantes :
a) Arguments de forme : l'acte se présente comme une charte, c'est-à-dire sans invocation et avec la date de mois ; mais il comporte, au moins dans la copie B, comme un diplôme, les noms des grands officiers. De plus il fait mention d'un sénéchal nommé Milon et d'un chancelier Hubert, alors que le sénéchalat est vacant depuis 1191 et la chancellerie depuis la fin de 1185. Mais peut-être est-ce le mot nullo, qui suit à cette date le mot dapifero, qui a été lu : Millo, comme dans la traduction française du n° 1684 (voir ci-après, Additions à ce n°). Enfin la langue de cet acte est confuse et en partie inhabituelle. Par exemple, la phrase Nos vero volentes... est très incorrecte ; elle comporte, au lieu de l'approbation royale qu'on attendrait sous la forme d'un verbe à la première personne du pluriel, trois verbes à la troisième personne du pluriel.
b) Arguments de fond : le fond même de l'affaire n'est pas clair. Quelles sont ces personnes qui détournent « les fruits du réfectoire » (comme dit l'acte) si ce ne sont des chanoines eux-mêmes. L'abbé et le chapitre ne sont-ils pas pleinement responsables des désordres qu'ils signalent ? Ce prétendu abandon du culte divin ne sert-il pas de prétexte à l'abbé et au chapitre pour justifier une manœuvre de prise en mains des revenus affectés au réfectoire ? Par ailleurs, le règlement auquel il est fait allusion et que dom Estiennot a recopié à la suite de l'acte du roi est daté de 1209, et ce même auteur fait état d'une confirmation par le pape Honorius III, du 3 des nones de février (3 février) 1220 n. st., ce qui est possible, mais bien tardif.
Mentionnons aussi l'existence d'un autre acte de 1199, connu par une copie de Cl. Estiennot, ms. cité en B, p. 39, par lequel le même abbé Henri et le chapitre concèdent à H. abbati, et à Raoul et Gautier de Poissy universa quae pertinent ad refectorium nostrum. Comment interpréter cet acte ? Cet H. abbati est-il différent de l'auteur même du document ?
c) Enfin plusieurs des actes de Saint-Mellon de Pontoise du xiie siècle sont également douteux sinon faux. Malgré la longue note que M. Prou a consacré à défendre l'authenticité de l'acte de Philippe Ier de 1091 pour cette abbaye (voir Recueil des actes de ce roi, note 3, p. LVIII-LX, se rapportant au n° CXXVII), des doutes restent encore permis. L'acte de Louis VII, de 1138 (Luchaire, n° 31), comporte lui aussi quelques anomalies. Il est curieux enfin de constater que le prétendu Hubert qui souscrit l'acte de Philippe Auguste a le même nom que celui du chancelier de Philippe Ier à la date de l'acte suspect cité ci-dessus. De même le nom de Milon donné au sénéchal est celui d'un bouteiller de Philippe Ier à la même date.
Cet acte est à mettre en rapport avec le litige qui opposa l'abbaye Saint-Mellon et Saint-Victor de Paris, et qui nous est connu par deux actes de 1209, l'un émanant du doyen, de l'archidiacre et du sous-chantre de l'église de Paris, l'autre de l'abbé et du chapitre de Saint-Mellon (actes conservés, le premier, en original en double exemplaire, le second, dans un vidimus de l'official de Paris du 20 septembre 1416, dans le carton L 904 des Archives nationales, respectivement nos 22 et 23 scellés de trois sceaux, et n° 32. Copie du xviie s., Bibliothèque nationale de France, ms. lat. 12741, p. 40). Nous donnons le texte du premier qui éclaire davantage l'objet du débat.
« H(enricus), decanus, A(dam), archidiaconus, et P(etrus), succentor Parisien(sis), omnibus presentes litteras inspecturis, in Domino salutem. Notum fieri volumus quod cum causa coram nobis, auctoritate domini pape, verteretur inter ecclesiam Sancti Victoris Parisiensis, ex una parte, et canonicos et vicarios Sancti Mellonis Pontisarensis ex altera super distributionibus matutinalibus que olim in refectorio Pontisarensi solebant distribui, post susceptas attestationes et auditas hinc inde rationes, partes tandem in hanc formam pacis convenerunt, quod ecclesia Sancti Victoris, salvis in aliis autenticis suis tam regie donationis quam apostolice confirmationis que habet ecclesia Sancti Victoris super integra perceptione prebendarum et annualium ad ipsam pertinentium, pro distributionibus de quibus coram nobis vertebatur contentio, tantum triginta solidos percipiet quotienscumque in ecclesia Sancti Mellonis annualem prebendam (sic) fuerit perceptura. Ut igitur predicta compositio debitam in posterum firmitatem obtineat, presentem paginam ad preces utriusque partis sigillorum nostrorum appositione duximus roborandam. Actum anno Domini M° CC° IX° ».
A. Pseudo-original perdu.
B. Copie par dom Cl. Estiennot, « Recueil sur le Vexin », Bibliothèque nationale de France, ms. lat. 12741, p. 48, avec la date d'avril 1200.
C. Copie du xviie s., Archives municipales de Pontoise en dépôt aux Archives départementales du Val-d'Oise, fonds Pihan de la Forest, 1 PIH 20, dossier 3, n° 55, fol. 1.
Indiqué : La décision correspondante de l'abbé, rapportée au mois d'avril 1202, ainsi que le règlement de 1209 cité ci-dessous, sont mentionnés comme ayant été confirmés par Philippe Auguste en 1209 et 1212 (sic) par J. Depoin, Les origines de la collégiale de Saint-Mellon, dans Mémoires de la Société historique et archéologique de l'arrondissement de Pontoise et du Vexin, t. I, 1879, p. 40. Nous n'avons retrouvé que l'acte de 1212 qui ne concerne, et encore, que le règlement de 1209. Cf. ci-après n° 1870. Peut-être Depoin a-t-il mis par erreur 1209 au lieu de 1202.
Texte établi d'après BC.
Philippus, Dei gratia Francorum rex. Noverint universi ad quos presentes littere pervenerint quod venientes ad nos dilecti nostri Guillelmus, thesaurarius Pontisare, et Vincentius Pica, canonicus Sancti Melloni, ex parte Henrici abbatis et capituli Sancti Mellonii, litteras patentes nobis obtulerunt continentes quia quidquid predicti ordinarent nobiscum de negotio ecclesie Sancti Mellonii tam abbas predictus quam capitulum ratum haberet. Predicti vero Willelmus thesaurarius et Vincentius nobis exposuerunt quod in ecclesia Sancti Mellonii cultus divinus negligenter fiebat, immo verius omittebatur ex negligentia. Unde abbas et canonici erubescentes, communicato cum sapientibus consilio, fructus refectorii, qui minus honeste sepius expendebantur unde potius vivere deberent qui in altario deserviunt, in usus earum tantum qui ecclesie deservirent redegerunt canonicis et vicariis ecclesie et uni diacono et uni subdiacono ad celebrationem quotidiane misse, sicut in authentico scripto abbatis et thesaurarii et capituli continetur, distribuendos. Nos vero volentes ut in omnibus magnificetur Dominus, concedimus quod abbas et thesaurarius et capitulum et hoc bonum et aliud quodcumque, prout eis melius visum fuerit, ad honorem et gloriam nominis Christi, salvo jure nostro, celebriter, ordinent et disponant. Quod ut perpetuum robur obtineat, sigilli nostri auctoritate roboravimus. Actum Parisius, anno ab Incarnatione Domini millesimo ducentesimo secundo, mense aprilis, <astantibus in palatio nostro quorum nomina subtitulata sunt et signa. S Milonis, dapiferi [nostri]. S Guidonis buticularii. S Mathei camerarii. S Droconis constabularii. (Monogramme). Data per manum Huberti cancellarii>.