1191, 9 mai. — Au siège d'Acre.
Pièce complémentaire
Conrad, marquis de Montferrat, roi élu de Jérusalem, et Isabelle son épouse, fille de l'ex-roi [de Jérusalem] Amaury [II de Lusignan], sous l'autorité et le consentement de Philippe [Auguste], roi de France, de Philippe [d'Alsace], comte de Flandre, du duc de Bourgogne [Hugues III], du duc d'Autriche [Léopold], de tous les comtes et barons de l'armée des Chrétiens se trouvant à Acre, ainsi que de Joce, archevêque de Tyr, de R[aoul], évêque de Bethléem, et des maîtres de la milice du Temple et de celle de l'Hôpital, confirment à Domenico Contarini et à Giovanni Morosini, légats de Aurio Mastropietro, doge de Venise, toutes les concessions faites à Domenico Michiel, doge de Venise, par Gormond, jadis patriarche de la cité sainte de Jérusalem, telles qu'elles figurent dans le privilège de ce dernier, et notamment les biens qu'il avait donnés à Acre, à Jérusalem et dans les cités de ce royaume lorsque ces villes seront conquises.
L'acte est souscrit par le roi Conrad, par Philippe [Auguste], par le comte de Flandre, par Raoul, comte de Clermont, par le duc de Bourgogne, par le duc d'Autriche, par Relis, sénéchal de la milice du Temple, et par Roger, grand précepteur de l'Hôpital.
A. Original, jadis scellé d'une bulle de plomb, sceau et attache perdus. Hauteur, de 510 à 520 mm., sans compter le repli de 50 mm. ; largeur, de 370 à 380 mm. Bibliothèque nationale de Venise, cod. Marc. Lat. XIV, 71 (= 2803), f. 15 r (document n° 13).
a. S. Romanin, Storia documentata di Venezia, t. II, Venise, 1854, p. 413, n° V, d'après A, avec, comme titre, la date de 1292 (cf. même ouvr., p. 133-134).
b. G. L. Fr. Tafel et G. M. Thomas, Urkunden zür älteren Handels — und Staatsgeschichte der Republik Venedig, t. I, Venise, 1856, p. 212, n° LXXVI, d'après A.
Longue analyse : R. Röhricht, Regesta regni Hierosolymitani (MXCVII-MCCXCI), Innsbruck, 1893, p. 188, n° 705.
Il semble que ce document, où intervient Philipe Auguste, n'ait jamais été utilisé par les historiens français. Il est pourtant très intéressant, tant au point de vue du fond qu'en ce qui concerne la forme, surtout, en ce domaine, lorsqu'on a la chance, comme c'est le cas ici, de conserver l'original.
Pour le fond, on voit que le roi de France couvre en premier de son autorité la confirmation par le roi de Jérusalem d'une concession antérieurement faite au doge de Venise, et qui n'avait plus sa pleine réalisation. Philippe Auguste s'engage ici à ce que cette concession retrouve toute sa plénitude dès que les Croisés auront repris, avec l'aide de Dieu, les territoires dans lesquels la cité de Venise avait obtenu des droits. C'est le seul document conservé qui montre l'engagement diplomatique du roi au cours de la Croisade, activité à laquelle les récits de cette troisième Croisade font parfois allusion. Les autres actes du roi également datés d'Acre et dont on a le texte (voir Recueil, t. I, nos 378, 383 à 385 et 389) ne concernent que les affaires de France.
Pour la forme, c'est le seul document parvenu jusqu'à nous, émanant de tiers, où intervient le roi et qu'il souscrit. Certes, on a des actes, établis au nom du roi et en même temps d'autres princes, scellés des sceaux des auteurs concernés, comme, au début du règne, les traités conclus avec Henri II ou Richard Cœur de Lion (Recueil, t. I, nos 7, 287, 361 et peut-être 367), ou l'ordonnance concernant le partage des fiefs, du 1er mai 1209 (Recueil, t. III, n° 1083) décrétée par le roi et les cinq plus grands dignitaires du royaume. Mais on n'a aucune charte d'un tiers où le roi aurait apposé, pour confirmation, son sceau à côté de celui de l'auteur de l'acte, formule dont on a conservé pour le temps de Louis VII quelques exemples (cf. le document publié par J. Tardif, Cartons des rois, sous le n° 450). On n'a même pas, pour Philippe Auguste, d'actes de tiers comportant la mention de son signum, ce qui n'est pas rare pour Louis VII. Cette observation s'explique certainement par le net renforcement de la puissance royale durant le règne du premier roi nommé.
Ici l'acte est souscrit dans une forme très personnalisée (Ego ... mea subscriptione jussi confirmari) par huit personnalités, dont en premier l'auteur de l'acte, le roi de Jérusalem, et en second le roi de France, mais il ne comporte que le sceau du premier (en fait une bulle, aujourd'hui perdue). Le mot Ego est à chaque fois précédé d'une petite croix, identique pour toutes les souscriptions, réalisée vraisemblablement par le scribe auteur de cette partie de l'acte. La formule employée (... jussi confirmari) paraît bien prouver que cette croix n'est pas de la main du souscripteur lui-même.
† IN NOMINE SANCTE ET INDIVIDUE TRINITATIS, PATRIS ET FILII ET SPIRITUS SANCTI. AMEN. [2] Ut veritatis memoria inposterum conservetur, omnibus tam presentibus quam futuris liquidum appareat quod ego Conradus, marchio-[3]-nis Montis Ferrati filius, per Dei gratiam rex Jerosolimorum electus, et domina Isabella, uxor mea, illustris quondam regis Aimalrici filia, [4] insimul consentientes, auctoritate et consensu domini Phylippi, Dei gratia serenissimi regis Francorum, et domini Phylippi, comitis Flan-[5]-drie, et domini ducis Burgundie, et domini ducis de Osterico, et omnium comitum et baronum exercitus Christianorum Acconis, necnon aucto-[6]-ritate et consensu domini Josii, Tyrensis archiepiscopi, et domini R(adulphi), Bellemitani episcopi, et venerabilium domorum milicie Templi et Hospitalis, [7] concedimus et confirmamus atque corroboramus vobis Dominico Contarini et Johanni Morecini, legatis domini Aurei Magistri Petri, ducis Ve-[8]-netie, recipientibus pro ipso duce, et ejus successoribus, et pro comuni Venetie, omnes dationes et concessiones, terras et possessiones, [9] honores et libertates atque curias olim concessas et datas Dominico Micheli, duci Venetie, a Wuarmundo, sancte civitatis Jerosolimorum [10] quondam patriarcha, sicut in privilegio ipsius patriarche concesso et dato ipsi duci Dominico Micheli continetur, videlicet [11] in Tyro et extra Tyrum et toto ejus territorio quod hodie Deo gratias possidemus et antea Deo concedente possidebimus, con-[12]-cedimus et confirmamus atque corroboramus vobis predictis legatis integre totum quod in Tyro et ejus pertinentiis vobis vel vestro [13] comuni (sic) concessit, sicut in privilegio prenominati domini Wuarmundi patriarche continetur. In Accone et Jerosolima et re-[14]-liquis civitatibus regni Jerosolimitani, cum divina clementia ad manus Christianorum devenerint, concedimus et confirmamus atque [15] corroboramus vobis prescriptis legatis integre illud totum et sine aliqua diminutione quod in eodem privilegio domini Wuarmun-[16]-di patriarche describitur. Prefatas siquidem nostras dationes, concessiones et corroborationes in perpetuum habendas et tenendas [17] et jure hereditario possidendas, vobis recipientibus pro prenominato Aureo Magistro Petro, nunc duce Venetie, et ejus successoribus [18] concessimus, confirmavimus et innovavimus, sicut in eodem privilegio domini Wuarmundi patriarche continetur. Et ut [19] hec nostra concessio, confirmatio et innovatio firma et illibata omni tempore servetur nullaque super his valeat pullulare du-[20]-bietas, presentem paginam testibus subscriptis et sigilli nostri plumbei impressione jussimus communiri. Hujus rei testes sunt : [21] dominus Balianus de Ibellino ; dominus Ugo Tyberiadis ; dominus Rainaldus Sydonie ; dominus Paganus de Caypha ; Obertus nepos, senescalcus [22] domini marchionis ; Wualterius Durus, marescalcus domini marchionis ; Atho de Valentia, castellanus Tyri ; Bernardus, Templi viceco-[23]-mes Tyri, et Henricus de Cannelli, camerarius domini marchionis. Acta sunt hec in obsidione Acconis, dominice Incarnationis anno [24] millesimo centesimo nonagesimo secundo, indictione nona.
+ Ego Conradus, rex Jerosolimorum electus, omnia predicta mea subscriptione jussi confirmari.+ Ego Hugo, dux Burgundie, omnia predicta mea subscriptione jussi confirmari. + Ego Phylippus, rex Francorum, omnia predicta mea subscriptione jussi confirmari.+ Ego Lyppoldus, dux de Osterico, omnia predicta mea subscriptione jussi confirmari. + Ego Phylippus, comes Flandrie, omnia predicta mea subscriptione jussi confirmari.+ Ego Relis, domus militie Templi senescalcus, omnia predicta mea subscriptione jussi confirmari. + Ego Raulfus (sic), comes Clari Montis, omnia predicta mea subscriptione jussi confirmari.+ Ego Rogerius, magnus Hospitalis preceptor, mea subscriptione omnia predicta jussi confirmari.Datum in obsedione Christianorum Acconis, per manum Bandini, domini marchionis cancellarii, septimo idus mai (sic).