933, 13 septembre. — Anatiacum.

Raoul exempte l'abbaye de Saint-Martin de Tulle, située dans le « pagus » de Limoges sur les bords de la Corrèze, de toute « dominatio », la mettant sous la seule « tuitio » royale ; ainsi, il annule une décision qu'il avait prise auparavant, et par laquelle, à la prière d'Adhémar, ancien abbé laïque du monastère, et du comte Èbles, il l'avait placée dans la dépendance de l'abbaye de Saint-Savin[-sur-Gartempe] et sous l'administration du religieux Aimon, avec mission d'y restaurer la vie régulière. Les moines pourront élire, parmi eux, leur abbé, après le décès de l'abbé Odon [de Cluny] et celui d'« Adacius », qui, à la requête de ce dernier, avait été placé à leur tête pour le suppléer. A la mort d'Adhémar, ils recouvreront la partie de la mense abbatiale que celui-ci s'était réservée, et pourront alors choisir l'avoué de leur choix. Il enjoint enfin à l'abbé et à la communauté monastique d'observer la règle.

Référence : Jean Dufour et Robert-Henri Bautier (éd.), Recueil des actes de Robert Ier et de Raoul rois de France (922-936), Paris, 1978, no21.

A. Original perdu.

B. Copie du xviie siècle, Bibliothèque nationale, Collection Baluze, vol. 252, fol. 6 v°, « ex chartulario ecclesiae Tutellensis ».

C. Copie du xviie siècle, Bibliothèque nationale, Collection Baluze, vol. 252, fol. 200, sans indication de source.

D. Copie du xviie siècle, par André Du Chesne, Bibliothèque nationale, Collection Du Chesne, vol. 57, fol. 372, « ex veteri codice ecclesiae Tutellensis ».

E. Copie du xviie siècle, Bibliothèque nationale, ms. lat. 12780, fol. 71, sans indication de source.

a. B. Delatour, Institutio Tutellensis ecclesiae..., Toulouse, 1636, p. 110, sans indication de source.

b. Ch. Justel, Histoire généalogique de la maison de Turenne, Paris, 1645, preuves, p. 16 (éd. incomplète) [anno 945], « ex chartulario monasterii Tutellensis ».

c. Mabillon, Annales ordinis sancti Benedicti, t. III, p. 404 (anno 931), sans indication de source.

d. E. Baluze, Historiae Tutelensis libri tres, Paris, 1717, col. 325 (anno 930), « ex chartulario Tutellensi. »

e. Gallia christiana, t. II, instrumenta, col. 203, sans indication de source.

f. Recueil des historiens de la France, t. IX, p. 578, n° XVII (anno 933), d'après c.

g. J.-B. Champeval, Cartulaire des abbayes de Tulle et de Roc-Amadour, n° 15, p. 36.

Traduction : R.P. Bonaventure de Saint-Amable, Histoire de Saint-Martial, t. III, p. 356.

Traduction : Abbé Albe, Titres et documents sur le Limousin et le Quercy, 4° partie, Analyse critique de quelques documents du cartulaire de Tulle et de Roc-Amadour, dans Bulletin de la Société scientifique, historique et archéologique de la Corrèze, t. XL (1918-1919), p. 180.

Indiqué : Bréquigny, Table chronologique, t. I, p. 396 (13 décembre 933).

Indiqué : Böhmer, Regesta, n° 1892 [corrigez 1992] (13 décembre 933).

Indiqué : W. Lippert, König Rudolf, n° 20, p. 115.

Indiqué : Ph. Lauer, Robert Ier et Raoul de Bourgogne, p. 70 et n. 6, p. 73 et n. 2.

De nombreux points de cet acte prêtent à discussion et sont de nature à provoquer à son endroit de légitimes réserves ou suspicions que seule une étude attentive permet de dissiper.

La date. — Quatre éléments la composent : idibus septembris correspond au 13 septembre ; l'année de l'Incarnation (DCCCXLV pour BC, DCCCXXXV pour DE), que l'on ne trouve pas habituellement pendant le règne de Raoul, est si aberrante qu'elle ne peut être qu'une faute d'un copiste postérieur, ayant fait une mauvaise lecture, ou plutôt un calcul inexact : pour cette raison, nous n'avons pas jugé bon de la retenir dans l'édition, d'autant plus qu'elle figurait dans le cartulaire après un espace blanc.

Il y a, en outre, discordance entre deux autres éléments : indictio III, pour le temps de Raoul, correspond à 930 (mais un écart de 2 ou 3 unités pour l'indiction est habituel dans les diplômes de ce souverain), tandis que la onzième année du règne va du 13 juillet 933 au 12 juillet 934. Cet acte serait donc du 13 septembre 930 ou 933 ; nous verrons plus loin qu'il convient d'adopter cette dernière date.

Les personnages. — Ebalus comes peut être identifié comme étant Èbles Manzer, comte de Poitiers, devenu duc d'Aquitaine en 928, mort vers 934 ; il soutint Charles le Simple et s'opposa à Raoul qu'il considérait comme un usurpateur, cela jusqu'en 927 ; à partir de cette date, il changea subitement de position et se rallia à Raoul.

Qui est Adhémar ? Y a-t-il un ou deux personnages de ce nom vivant en même temps en Limousin et en Poitou ? Le cartulaire de Saint-Martin de Tulle contient de nombreux actes, dans lesquels est mentionné un Adhémar des Échelles portant tantôt le titre de comes, tantôt celui de vicecomes, marié à Faucisburgis, puis à Gauzla. Ce personnage apparaît encore dans des actes de 941 et cette date même nous fait penser qu'il s'agit de quelqu'un d'autre qu'Adhémar comte de Poitou, mort, d'après L. Auzias, le 2 avril 926. Bien que cette date soit fondée sur des renseignements contestables donnés par Adhémar de Chabannes, il semble improbable que cet auteur ait commis une erreur de quinze ans ou plus. On peut suggérer qu'Adhémar des Échelles était parent du comte de Poitou Adhémar. Malade vers 930, il a rédigé plusieurs testaments, dont un a reçu l'approbation de Raoul.

Les abbés de Saint-Martin de Tulle. — Outre l'« abbé » Adhémar, nous voyons dans l'acte de Raoul trois personnages à la tête de ce monastère : Aimon, Odon et Adacius. Les actes publiés par J.-B. Champeval ne font que compliquer les choses, car ils donnent pour ces trois abbatiats des dates difficiles à interpréter. En effet Aimon apparaît pour la première fois dans un acte de novembre 929, et pour la dernière en mai 931. Quant à Odon, il est signalé dans des chartes, moins nombreuses, s'échelonnant de juillet 930 ou 931 à décembre 935. Pour Adacius, les actes vont de janvier 927 à la septième année du règne de Raoul (juillet 929-juillet 930), et d'avril 934 à avril 948. Bernard lui succéda la même année.

Essayons à la fois de retracer l'histoire de Saint-Martin de Tulle à cette époque et de cerner de plus près la personnalité de ses abbés. Adacius, religieux de Saint-Martin, fut à la tête du monastère de 927 à octobre 929 ; puis la réforme de Tulle fut confiée à la fin de 929 aux moines de Saint-Savin-sur-Gartempe, représentés par Aimon, frère de Turpio, évêque de Limoges (905-944) ; peut-être pourrait-on voir dans cet événement une tentative d'Èbles Manzer, comte de Poitiers et depuis 928, duc d'Aquitaine, pour mettre la main sur le Bas-Limousin. Adacius quitta alors l'abbaye de Saint-Martin de Tulle. Au début de 930, les Normands dévastèrent l'Aquitaine ; Raoul s'avança à leur rencontre et les battit au lieudit Ad Destricios. A cette occasion, il entra en contact avec les seigneurs aquitains, approuva le testament d'Adhémar des Échelles et sur la prière de ce dernier et d'Èbles Manzer, confirma la tentative de réforme de Saint-Martin de Tulle par Saint-Savin-sur-Gartempe. Mais au bout de quelques mois, Aimon rencontra des difficultés et en 931, Turpio, ami d'Odon de Cluny, demanda au célèbre abbé de reprendre en main le monastère ; ce dernier accepta, tandis qu'Aimon devenait abbé de Saint-Martial de Limoges. En septembre 933, par l'acte étudié ici, il fit reconnaître ses droits sur Saint-Martin de Tulle et, en même temps, décida de rendre la direction de l'abbaye à l'ancien abbé Adacius, tout en conservant l'autorité supérieure. Adacius devint le coadjuteur d'Odon de Cluny et administra, en plus de Saint-Martin de Tulle, les monastères de Sarlat et de Lézat.

La rédaction de l'acte. — La suscription Rodulfus, gratia Dei, Francorum et Aquitanorum atque Burgundionum rex pius, invictus ac semper augustus, surprenante, doit être rapprochée d'une part de celle de deux actes de Raoul pour Cluny, écrits par l'établissement destinataire : Rodulphus, gratia Dei, pacificus, augustus et invictus rex et Rodulphus, divina propitiante clementia, pius, augustus atque invictissimus rex, et d'autre part d'un acte de Saint-Martin de Tulle, daté de la manière suivante : Facta donatio in mense februario, anno VIII regnante Rodulpho rege Francorum et Aquitanorum.

La formule d'exemption « neque rex neque comes aut episcopus aut quaelibet alia persona res eorum inquietare aut alicui dare praesumat, sed nec oppido quidem dominari audeant » est voisine de celle contenue dans la bulle de Jean XI pour Cluny de 931 : « Itaque sit illud monasterium [Cluniacense] cum omnibus rebus vel quas nunc habet vel quae deinceps ibi traditae fuerint, liberum ab omni dominatu cujuscumque regis aut episcopi sive comitis aut cujuslibet ex propinquis ipsius Willelmi... »

Dans l'acte que nous étudions, le mot dominatio (ou dominari) est répété à trois reprises et nous voyons dans la bulle de Jean XI le mot dominatus.

L'ensemble de la rédaction est inhabituel, sinon choquant : par exemple, la notification et le début de l'exposé : « notum sit omnibus tam praesenti quam futuro tempore regni munia disponentibus, quod ego, de statu religionis redintegrando sollicitus, Tutelense coenobium in regulari proposito, ut olim fuerat, reparare decrevi. Est autem in Lemovicensi pago super fluvio Corresia situm, in honore videlicet beati Martini constructum, quo loco prisca reverentia novellis adhuc miraculis, Deo largiente, servatur... », ainsi que la formule de corroboration : « Ut autem haec nostra praeceptio indelebilis perseveret, hanc in Superni nomine auctoris annulo nostro signavimus. »

Tout cela n'est explicable, en fait, que par une rédaction due à l'établissement destinataire et par les nouvelles relations existant entre Tulle et Cluny.

Un dernier élément fait problème ; dans l'acte que Louis IV donna à Saint-Martin de Tulle le 4 mars 944, il n'est fait aucune mention de notre acte ni de la dépendance clunisienne ni des relations antérieures de Tulle et de Saint-Savin. Cela tient peut-être au fait qu'il a été écrit, de toute évidence, à la chancellerie royale, peut-être aussi parce que l'on avait des raisons de ne pas évoquer un passé, tout récent, de dépendance et de sujétion. D'ailleurs, pour l'acte de Raoul, étudié ici, seule B donne le membre de phrase atque coenobium Sancti Savini subjectum feceram ; les copies C, D et E, établies assurément d'après une source différente, trahissent donc une falsification par omission, sans doute très ancienne, commise peut-être même peu après 933, en tout cas avant 944.

En conclusion, malgré de nombreux éléments surprenants, cet acte, qui s'inscrit très bien dans l'histoire de l'Aquitaine et de la réforme clunisienne de saint Odon, nous paraît sincère, contrairement à toutes les apparences et à ce que pouvait écrire l'abbé Albe. Si pour tout autre règne, ces caractères aberrants auraient suffi pour prononcer à son endroit une condamnation sans appel, il convient de conclure ici, avec beaucoup de prudence, pour un temps où le dérèglement de la chancellerie est devenu évident. Cet acte a bien été rédigé par l'établissement destinataire ; les données historiques et diplomatiques nous font croire qu'il est du 13 septembre 933 et non 930.


Texte établi d'après BCD et E

In nomine sanctae et individuae Trinitatis. Rodulfus, gratia Dei, Francorum et Aquitanorum atque Burgundionum rex pius, invictus ac semper augustus. Sicut « non est potestas nisi a Deos », qui « collocat », ut scriptum est, « reges in solio », sic utique consequens est ut hi qui in sublimitate sunt, sub potenti manu ejus se humilient et ut regni ejus ministri juxta ipsius voluntatem suas actiones administrent. Quapropter notum sit omnibus tam praesenti quam futuro tempore regni munia disponentibus, quod ego, de statu religionis redintegrando sollicitus, Tutelense coenobium in regulari proposito, ut olim fuerat, reparare decrevi. Est autem in Lemovicensi pago super fluvio Correzia situm, in honore videlicet beatissimi domni Martini constructum, quo loco prisca reverentia novellis adhuc miraculis, Deo largiente, servatur. Precibus autem nobilis viri Ademari, qui locum ipsum eatenus tenuerat, suggerente etiam Ebalo comite, cuidam religiosissimo abbati nomine Aimoni locum eundem ad restaurandum regulare propositum commendaveram atque coenobium Sancti Savini subjectum feceram. Sed quoniam experimento probatum est, quod eadem subjectio religioni obstat, eidem religioni penitus consulere volentes, saniore consilio decernimus, ut antiquo more solius regis tuitione, non autem dominatione teneatur. Hoc autem contra jus regni fieri nemo censeat ; quandoquidem excellentissimi imperatores decreta sua, quoties causa exigerit, leguntur immutasse et, apostolo perhibente, necessario legis translatio fit. Hoc ergo coenobium cum omnibus quae nunc ad eum pertinent vel quae deinceps ibidem obvenerint, ita pro auctoritate istius nostri praecepti manere constituimus, ut nullius dominationi sed tantum sanctae regulae subjaceant. Post discessum vero fidelissimi et amantissimi nostri domini Odonis, qui praedicto Aimoni venerabili successit, et post Adacium, quem isdem venerabilis Odo sibi ad vicem suam supplendam ordinari petiit, licentiam habeant secundum regulam sancti Benedicti, quemcumque saniori consilio maluerint, ex seipsis eligendi. Et neque rex neque comes aut episcopus aut quaelibet alia persona res eorum inquietare aut alicui dare praesumat, sed nec oppido quidem dominari audeant. Partem vero abbatiae, quam praedictus Ademarus, abbate ipso consentiente, retinuit, totam post ipsius discessum recipiant. Quo decedente, qualem communiter voluerint, munburdum et causedicum habeant. Jus quoque immunitatis ac reverentiam, quae sancto illo loco et ante et nunc divinitus observatur, ita concedimus, ut nemo vel ipsi vel rebus ad eum pertinentibus ullam violentiam inferre moliatur. Ceterum tam abbas quam monachi communiter, sicut ante Dei oculos, regulare propositum servent. Ut autem haec nostra praeceptio indelebilis perseveret, hanc in Superni nomine auctoris anulo nostro signavimus.

Signum Rodulfi gloriosissimi regis.

Gotfredus sacerdos ad vicem Ansigisi episcopi recognovit et subscripsit (Monogramma).

Actum Anatiaco, idibus septembris, indictione III, anno XI regnante Rodulpho gloriosissimo rege.