934, 5 mars. — Château-Thierry.
Raoul, à la prière de Berthe, abbesse de Notre-Dame de Soissons, accorde aux frères clercs de Saint-Pierre de Soissons qui se trouvaient sans asile par suite d'un incendie, treize terrains appartenant conjointement à Notre-Dame et à Saint-Pierre, avec les bâtiments élevés dans la clôture, pour y construire leurs maisons qui seront exemptes du droit de gîte. Afin de la remercier de son intervention, les frères promettent de chanter la messe, les vigiles et les psaumes, le jour anniversaire de sa mort, pour le repos de son âme.
A. Original perdu.
a. Mabillon, De re diplomatica, p. 566, n° CXXXIII « ex chartario Suessionensi » (anno 933).
b. Recueil des historiens de la France, t. IX, p. 579, n° XIX, d'après a.
Indiqué : Georgisch, Regesta, t. I, col. 206 (anno 933).
Indiqué : Bréquigny, Table chronologique, t. I, p. 396 (anno 933).
Indiqué : Böhmer, Regesta, n° 1994.
Indiqué : W. Lippert, König Rudolf, n° 21, p. 116.
Indiqué : Ph. Lauer, Robert Ier et Raoul de Bourgogne, p. 73, n. 3.
Malgré de nombreuses bizarreries, cet acte paraît sincère. La formule vir illustris, qui termine ici la suscription, se trouve dans plusieurs actes de Charles le Simple, postérieurs à l'annexion de la Lorraine (911) ; elle avait disparu depuis le début du règne de Charlemagne (775). L'adjectif propitiante, accompagnant clementia dans la suscription, apparaît dès le début du règne de Charles le Simple. De plus, le mot apostolica est utilisé deux fois au cours du texte ; il a dû être ajouté par le copiste du cartulaire qui, ne connaissant pas le chancelier Ansusus, a cru qu'il s'agissait de l'évêque de Soissons, qui aurait été codonateur avec le roi, vu la place occupée par sa souscription.
Plusieurs formules se rencontrent dans des actes royaux antérieurs au règne de Raoul : pateat sert de notification à un acte de Charles le Simple du 15 février 917 ; interpellando regiam potestatem fait écho à l'interpellasse d'un autre diplôme du même souverain du 20 décembre 911 ; habeant... liberum arbitrium donandi, vendendi suisque fratribus clericis dimittendi est assez proche de l'expression sive per venditionem et emptionem seu per commutationem aut plane per traditionem... concedant d'un autre précepte du 20 décembre 911, toujours de Charles le Simple.
D'autres formules ne peuvent s'expliquer que par une rédaction dans l'établissement destinataire : le préambule est développé d'une manière inhabituelle ; l'exposé, placé après le dispositif, est étranger aux habitudes de la chancellerie royale et est analogue à celui des actes privés de l'époque ; la clause comminatoire est de type ecclésiastique.
Pourtant le cadre de l'acte est valable et une phrase telle que idcirco pateat cunctis Ecclesiae fidelibus nostrisque, tam praesentibus quam futuris, quia venerabilis Berta... abbatissa... suppliciter postulavit ut... est excellente. De plus, le nom de l'archichancelier apparaît sous la forme Aususus pour Ansiisus (et non Ansigisus), comme sur les originaux nos 18 et 26 (et la copie n° 25) et est un indice supplémentaire que l'acte a été copié sur l'original.
On peut suggérer que l'acte de Raoul a été rédigé à l'aide d'un acte perdu de Charles le Simple pour la cathédrale de Soissons, ayant une forme voisine des diplômes du même roi pour Cambrai, lesquels offrent plusieurs points de ressemblance, nous l'avons vu plus haut, avec celui de Raoul.
L'histoire de Notre-Dame et de Saint-Pierre de Soissons est difficile à retracer, car plusieurs actes concernant ces établissements, en particulier deux diplômes de Charles le Chauve, sont faux. Pourtant il semble que Saint-Pierre, tout proche de Notre-Dame et fondé pour desservir l'abbaye royale, ait été constitué par une communauté de moines, remplacés au cours du ixe siècle par des chanoines. Le texte, faux, du 25 décembre 840-875 parle de vingt-cinq prêtres, diacres ou sous-diacres ; or le nôtre, qui ne parle que de treize desservants, est en retrait sur lui et c'est un nouvel indice, croyons-nous, de sa sincérité. De nombreuses difficultés surgirent entre Notre-Dame et Saint-Pierre au xie siècle, époque probable de la rédaction des faux, puis au xiie siècle ; vers 1175, les chanoines désirèrent à la fois se libérer de l'autorité de Notre-Dame et accroître leurs biens, et l'abbesse dut intervenir auprès du pape Alexandre III, qui, par une bulle du 20 juillet 1177, lui donna raison ; Lucius III, le 20 septembre 1184 ou 1185 et Urbain IV, le 17 février 1264, devaient confirmer l'autorité de Notre-Dame de Soissons.
L'abbesse Berthe n'est attestée que par cet acte ; mais, comme les listes de dignitaires ecclésiastiques sont souvent incomplètes pour le xe siècle et que ce prénom était fréquent dans la famille carolingienne, il est probable qu'une abbesse, de ce nom et de sang royal, fut à la tête de Notre-Dame de Soissons.
Texte établi d'après a.
In nomine sanctae et individuae Trinitatis. Rodulfus, divina propitiante clementia, rex Francorum et vir illustris. Regalem condecet magnificentiam, ut sanctam Dei Ecclesiam totis viribus roborare decertet atque, prout valet, exaltare procuret filiosque Ecclesiae ita debet subrogare, ut semper Dominum interpellent pro sua sospitate. Omnibus claret claustrum Sancti Petri moderno tempore flammarum incendio concrematum omniaque habitacula fratrum penitus destructa esse. Unde fratres ipsius ecclesiæ, pariter flentes atque damni condolentes, dixerunt se ab ipso monasterio recedere, non habentes ubi caput potuissent reclinare ; atque dixerunt numquam se domos amplius aedificaturos, nisi eis firmitas donandi dimittendique suis fratribus clericis donaretur. Videntes itaque praepositi ejusdem ecclesiae fratres desolatos, compuncti sunt corde, Evrardus videlicet atque Johannes ; venerunt itaque ante praesentiam domnae Bertae abbatissae, implorantes ut illud claustrum, sicut exposcebant fratres, interpellando regiam potestatem, eis donaret perpetualiter ad habitandum ; quod si faceret, singulis annis in ejus anniversario missam, vigilias et psalmos pro animae suae remedio fratres celebrarent. Idcirco pateat cunctis Ecclesiae fidelibus nostrisque tam praesentibus quam futuris, quia venerabilis Berta, Sanctae Mariae Suessionum ecclesiae abbatissa, de tanta miseria fratrum condolens, ad nostrae clementiae accedens conspectum, suppliciter postulavit, ut clericis Sanctae Mariae necnon Sancti Petri areas tredecim cum aedificiis, quae in eorum claustro detinentur, <sanctae apostolicae> nostrae-<-que> auctoritatis praecepto restaurandi causa dignaremur concedere. Annuentes denique precibus ejus, jamdictae videlicet domnae Bertae, concessimus voluntarie quod supplicatum est devote. Et ut inibi liberius instruatur atque securius domos aedificent clerici memorati, Evrardus praepositus, Johannes praepositus, Ansboldus praepositus de Sancto Petro, Vutadus decanus, Rotmundus, Berherus, Agruinus, Fredebertus, Amalricus, Fromoodus, Vulgerus, Ohelricus, Hugo, hoc nostrae auctoritatis praeceptum ob salutem animae nostrae illis fieri jussimus, per quod confirmamus, quatinus praefatum claustrum iidem clerici pro alodio in perpetuum teneant atque possideant habeantque liberum arbitrium donandi, vendendi suisque fratribus clericis dimittendi ; nullaque unquam laica extraneaque persona ibi sumat hospitium neque ab ullo vivente ausu temerario violetur. Et ut <apostolica> nostra-<-que> concessio continuum obtineat, in Dei nomine, firmitatis vigorem, manu propria subter firmantes, nostro praecepimus anulo sigillari. Si quis autem huic praecepto voluerit obesse aut illud infringere, a liminibus sanctorum excludatur et sicut Dathan et Abiron tartarus vivum eum suscipiat et cum Juda proditore Domini aeternos cruciatus sustineat.
Signum Rodulfi regis gloriosissimi.
Ansusus episcopus recognovit.
Actum Castello Theodorico, III nonas martii, regnante Rodulfo rege gloriosissimo anno XI.