932, 7 octobre. — Saint-Corneille de Compiègne.

Acte faux

Raoul, à la prière de Hugues, abbé des deux monastères de Saint-Martin [Saint-Martin de Tours et Marmoutier] et marquis, confirme les privilèges de protection et d'immunité concédés à l'abbaye de Marmoutier par Charlemagne, Louis le Pieux, Charles le Chauve et Eudes ; garantit aux chanoines le maintien de l'attribution, aux services de la boisson, de la nourriture et du vestiaire, des domaines qui y sont affectés ; leur confirme les terrains, maisons, jardins et mains-fermes possédés par chacun d'eux et leur concède la même faculté qu'ont les chanoines de la basilique de Saint-Martin de les donner ou vendre à leurs élèves ou aux chanoines, leurs confrères ; leur confirme, en outre, les privilèges des rois et des papes qui avaient décidé que l'abbaye de Marmoutier ne pourrait avoir d'autre abbé que celui de Saint-Martin de Tours. Tout ce que le fisc aurait pu exiger des possessions de Marmoutier sera destiné à assurer l'office divin, plus spécialement pour les rois Eudes et Robert, pour Raoul et sa femme et pour l'abbé Hugues.

Référence : Jean Dufour et Robert-Henri Bautier (éd.), Recueil des actes de Robert Ier et de Raoul rois de France (922-936), Paris, 1978, no34.

A. Pseudo-original perdu jadis scellé de cire blanche. Hauteur, environ 800 mm ; largeur, environ 560 mm (d'après F).

B. Copie du xve siècle, Archives nationales, JJ 198, n° 63, fol. 62v°, dans des vidimus de Charles VII de novembre 1423 et de Louis XI de décembre 1461, avec le titre confirmatio gardie.

C. Copie du xviie siècle, exécutée par ou pour Gaignières, Bibliothèque nationale, ms. lat. 54414, p. 21, d'après A.

D. Copie du xviie siècle, par Dom Martène, Bibliothèque nationale, ms. lat. 12878, fol. 40, « ex autographo ».

E. Copie du xviiie siècle, par Dom Housseau, Bibliothèque nationale, Collection de Touraine, t. I, p. 196, n° 163, sans indication de source.

F. Copie du xviiie siècle, par Dom Eyme, Bibliothèque nationale, Collection Moreau, vol. 5, fol. 116, d'après A, avec fac-similé de l'invocation symbolique et des cinq premiers mots.

G. Copie authentique du 21 décembre 1548, Archives de la Somme, CI H/1, dans des lettres patentes contenant un vidimus confirmatif de Charles VII de novembre 1423, elles-mêmes vidimées par Louis XI en décembre 1461 ; ces dernières lettres vidimées le 5 février 1496/7 par le garde du scel royal, dont on use aux contrats en la ville et châtellenie de Tours, d'après B.

H. Copie du xviie siècle par André Du Chesne, Bibliothèque nationale, Collection Baluze, vol. 54, fol. 527, « ex Registro IXxxXVIII n. 63 », d'après B.

I. Copie incomplète du xviie siècle par Dom Estiennot, Bibliothèque nationale, ms. lat. 12776, p. 322, sans indication de source.

a. Recueil des historiens de la France, t. IX, p. 571, n° XI, « ex chartulario Majoris Monasterii » (anno 927).

b. A. Giry, op. cit., p. 197, d'après a (anno 931).

c. P. Lévêque, Trois actes faux ou interpolés des comtes Eudes et Robert et du roi Raoul en faveur de l'abbaye de Marmoutier, dans Bibliothèque de l'École des Chartes, t. LXIV, 1903, p. 302, d'après b.

Indiqué : Bréquigny, Table chronologique, t. I, p. 389 (anno 927).

Indiqué : E. Mabille, Catalogue analytique des diplômes... relatifs à l'histoire de Touraine contenus dans la collection de Dom Housseau, n° 163 (anno 927).

Indiqué : W. Lippert, König Rudolf, n° 14, p. 113.

Indiqué : Ph. Lauer, Robert Ier et Raoul de Bourgogne, p. 66.

Indiqué : J. Soyer, Les actes des souverains antérieurs au XIVe siècle conservés dans les Archives départementales du Loiret..., IV et V. Prieuré de Saint-Martin-au-Val de Chartres et prieuré du Puiset, dépendant de l'abbaye de Marmoutier-lez-Tours..., Besançon, 1928, n° II, p. 7 (vers 930).

Indiqué : R.-H. Bautier, Eudes, p. 182.

P. Lévêque a longuement critiqué cet acte ; nous reprendrons l'essentiel de sa démonstration, en la complétant sur quelques points.

Sur le plan historique, ce diplôme fait d'Hugues l'abbé des deux établissements de Saint-Martin de Tours et de Marmoutier ; or, si ces deux communautés furent dirigées le plus souvent entre 855 et 980 par le même personnage, il n'existe aucun texte relatif à leur union de jure. Certains documents, en particulier la notice judiciaire de 908 opposant Marmoutier à Saint-Martin de Tours au sujet du pré de Mequeroil, indiquent bien qu'elles menaient une existence indépendante l'une de l'autre.

Le rédacteur de cet acte a reproduit en grande partie le diplôme de Raoul du 24 mars 931 pour Saint-Martin de Tours, ainsi que celui de Charles le Chauve du 29 décembre 843, lui-même reprenant les termes d'un acte de Louis le Pieux du 3 décembre 814. Au milieu de ces emprunts, il a inséré le texte qui forme l'objet de son propos ; on y relève de nombreuses irrégularités : ce passage coupe tout d'abord fort maladroitement la formule d'immunité ; la simple mention des instrumenta regum est insolite, non pas qu'on doive s'étonner de ce que ces rois ne sont pas nommés, mais de ce que les biens concédés par leurs diplômes ne sont pas explicitement énumérés par l'acte qui les confirme. Le passage Intulit praeterea... habetur insertum, qui suit, est en rapport très étroit avec les mentions de diplômes relevés dans le privilège du 11 novembre 912, concédé par le comte Robert ; l'expression veridico suo et nobili quodam presagio pour désigner un pressentiment de Hugues, n'est pas du début du xe siècle ; la tournure Intulit... se timere malis est incorrecte ; signalons aussi que les mots pervasores et rapaces s'appliquent, semble-t-il, à l'archevêque de Tours Erberne qui chercha à s'emparer légalement de Marmoutier. De plus, dans les actes authentiques, c'est dans l'exposé que se trouve l'analyse de la prière adressée au roi par celui qui l'a sollicité, avec les raisons et les titres que ce dernier a produits à l'appui de sa demande ; ensuite, le dispositif confirme l'objet de la requête, clause par clause, en y joignant telle nouvelle concession, telle faveur. Or, ici, requête et concession sont réunies dans un même paragraphe qui ne tient ni à ce qui précède ni à ce qui suit.

Ajoutons que l'exposé de cet acte, qui reproduit fidèlement celui du diplôme de Raoul du 24 mars 931 pour Saint-Martin de Tours, est surchargé par une longue incidente : Ut, sicut... commiserat ; en lui-même ce passage est correct, mais dans le diplôme il rend l'exposé confus et embarrassé.

Enfin, la mention du roi Eudes parmi les princes qui accordèrent à Marmoutier des privilèges doit être attribuée, semble-t-il, au même faussaire. En outre, l'invocation monogrammatique, formée des lettres J C N A O et signalée par Dom Eyme, est complètement aberrante à la date prétendue du diplôme.

Pour A. Giry, « le 7 octobre de la dixième année du règne de Raoul correspondrait à 932, mais Dom Bouquet observe avec raison qu'à cette époque Anséis avait succédé à Abbon comme archichancelier ; il propose en conséquence de corriger anno X en anno V, ce qui placerait ce diplôme en 927. W. Lippert fait remarquer à son tour que cette dernière date n'est pas admissible : les relations de Hugues avec Raoul en 927 ne semblent pas de nature à justifier les expressions employées par le roi à son égard ; il est difficile d'admettre la présence du roi à Compiègne en octobre 927 ; mais surtout, le présent diplôme est nécessairement postérieur au diplôme pour Saint-Martin de Tours qui y est visé, et dont la date certaine est le 24 mars 931. W. Lippert propose donc de corriger anno X en anno IX ; nous acceptons cette date ».

Pour notre part, nous pensons qu'aucune correction ne doit être apportée à l'année du règne, indiquée sur le document « original », jadis scellé ; c'est bien la date du 7 octobre 932 que porte ce faux. Le faussaire s'est contenté de s'inspirer des éléments du protocole final de l'acte de Raoul déjà cité du 24 mars 931 en faveur de Saint-Martin de Tours ; il en reprend mot à mot la souscription de chancellerie et, en particulier, donne à Abbon les titres de praesul et d'archicancellarius qui ne lui sont attribués nulle part ailleurs. Il n'a pas pris la même date, mais s'est borné à en transposer les divers éléments : pour la date de temps, IX kl. aprilis, anno... octavo a été changé en nonas octobris, anno... Xmo et pour celle de lieu, Actum Turonis, in ipso Sancti Martini castro est devenu Data Compendio palatio, in ipsa Sancti Cornelii basilica. En modifiant le quantième et le mois de cette date, le faussaire ignorait qu'au moins depuis le 19 juin 932, jour où fut délivré le diplôme de Raoul en faveur de Montolieu, Romond et Anséis avaient remplacé Herbert et Abbon à la chancellerie royale. Notons toutefois que l'itinéraire de Raoul n'est pas en contradiction avec la date : le roi est sur la Saône le 1er juillet, puis vient en Francia, où il enlève Soissons à Herbert II de Vermandois ; après un voyage en Bourgogne et sur les bords de la Loire, il assiège Ham à la fin de 932.

Quelle explication peut-on proposer pour ce faux ? Les interpolations, qui en constituent la partie originale, ont trait au statut de Marmoutier et portent principalement sur l'affectation individuelle des maisons et terrains dans la clôture et en ville, sur la faculté d'en disposer, comme pouvaient le faire les frères de Saint-Martin de Tours, sur la désignation de l'abbé qui sera toujours celui de Saint-Martin. On peut penser qu'il fut rédigé dans la seconde moitié du xe siècle, avant 980-985 (moment de la transformation du chapitre de Marmoutier en monastère), lorsqu'on éprouvait des difficultés pour choisir l'abbé et que des pervasores atque rapaces laïques ou ecclésiastiques convoitaient les biens de l'établissement.

Nous imprimons en petit texte romain les passages empruntés au diplôme de Raoul du 24 mars 931 et en petit texte italique ceux copiés sur l'acte de Charles le Chauve du 29 décembre 843.


Texte établi d'après BCDE et F.

(Chrismon) In nomine sanctae et individuae Trinitatis. Omnipotentis Dei misericordia, Rodulfus Francorum rex. Si petitionibus servorum Dei pro quibuslibet ecclesiasticis necessitatibus aures nostras pulsantium libenter annuimus et ad divinae potentiae in locis Deo dicatis uberius famulandum auxilium porrigimus, id nobis procul dubio et ad mortalem vitam temporaliter deducendam et ad futuram feliciter obtinendam commodum provenire confidimus. Igitur notum esse volumus cunctis sanctae Dei Ecclesiae fidelibus et nostris, scilicet praesentibus atque futuris, quia adiit serenitatem culminis nostri vir venerabilis, noster quoque satis superque fidelis Hugo, inclitus abba utriusque monasterii eximii confessoris Christi beati Martini ac regni nostri marchio, humiliter reverenterque deposcens ut monasterium Sancti Martini, quod ex antiquo sermone vulgato Majus monasterium dicitur, cum omnibus rebus sibi pertinentibus, ut, sicut antea aliud monasterium sive basilicam ejusdem sancti confessoris, in qua ipse domnus noster Martinus corpore quiescere videtur, cum suis omnibus rebus nostrae defensioni commiserat, de more regum praedecessorum videlicet nostrorum sub nostrae immunitatis tuitione sive defensionis munimine recipere dignaremur, ut, sicut temporibus magni Karoli atque filii ejus Hludowici quondam augusti, seu etiam alterius Karoli regis serenissimi, necnon domni Odonis atque gloriosissimi regis omniumque praedecessorum nostrorum regum, tam idem jam praelibatum Majus monasterium quam etiam eaedem ipsae res sibi pertinentes, in quibuslibet regni nostri partibus consistentes, inconvulso firmitatis jure eatenus ad peculiaria stipendia seu necessarios usus canonicorum ibidem Christo sanctoque ipsius confessori Martino sedulo famulantium per instrumenta praedictorum regum ad laudem nominis Christi conservatae sunt, ita et nostris temporibus sine aliqua subtractione vel diminutione sub nostrae immunitatis defensione consistere, et ab omni publica functione ac judiciaria exactione illas ipsas res immunes liberasque fore decerneremus. Hac itaque saluberrima praefati illius abbatis suggestione permoti, petitionibus ejusdem congruentissimis tanto libentius assensum praebuimus, quanto illum erga fidelitatem Dei sanctique ipsius Martini ac nostram intellexeramus esse devotum ; et insuper id, quod sanctiendum ille petebat, nostris futurisque temporibus eidem venerabili monasterio ac fratribus illic perpetuo degentibus providebamus constare proficuum. Praecipientes igitur jubemus, ut nullus judex publicus, aut quislibet judiciariae potestatis, aut ullus ex fidelibus nostris, tam praesentibus quam et futuris, in praelibatum Sancti Martini Majus monasterium, quod est prope Turonicam civitatem, juxta alveum Ligeris situm, seu in ecclesias ad se respicientes sibique subditas, aut loca vel agros, et reliquas possessiones, quas in quibuslibet pagis et territoriis infra ditionem regni nostri possidere ecclesia illa dinoscitur, quicquid ibidem propter divinum amorem conlatum fuit, vel etiam deinceps in jus ipsius sancti loci a Deum timentibus hominibus voluerit pietas divina augeri, ad causas audiendas, vel freda exigenda, aut mansiones vel paratas faciendas, aut fidejussores tollendos, aut homines ipsius monasterii, tam ingenuos quam et servos, super ejusdem terram commanentes distringendos, nec teloneum, aut inferendas, aut rotaticum vel ripaticum, sive portaticum, seu etiam exclusaticum aut nautaticum, vel retiaticum aut herbaticum vel silvaticum requirendum, nec ullas redibitiones aut inlicitas occasiones ingerendas, nostris nec futuris temporibus ingredi audeat, vel ea quae supra memorata sunt penitus exigere praesumat. <Decernimus etiam atque concedimus benignitate regali praetitulatis canonicis, ad suggestionem, ut dictum est, atque precatum saepius nominandi abbatis, Hugonis videlicet, ut villae, quae ad victum eorum potumque necnon et vestimenta deputatae sunt, quarumque nomina in instrumentis regum habentur inserta, absque ulla inquietudine eis perpetuo deserviant ; areas etiam sive domos eorum tam infra ipsum monasterium quam infra civitatem sitas, ortulos quoque atque ex ipsa potestate manuum firmitates, quas unusquisque habet vel habiturus est, regali munificentia ita eis indulgere satagimus, ut habeat illorum quisque alumnis suis, seu quibuscumque voluerit tantum canonicis, veluti habent fratres congregationis Sancti Martini basilicae, licentiam dimittendi vel, si maluerint, vendendi. Intulit praeterea etiam nobis idem Hugo, abbas multum diligendus, veridico suo et nobili quodam presagio, timere se nimium malis, quae et de praesenti locis sanctorum Dei contingunt, et de futuro eis deteriora evenire possunt, hoc est quia non solum in laicali, sed et in ipso ecclesiastico ordine tales esse noscuntur, qui eadem loca tamquam ad regendum vel suscipiunt vel suscipere cupiunt, ut rerum ipsorum locorum non rectores verissimi, sed pervasores atque rapaces esse velint perversissimi. Propterea libet nobis liberalissima nostra majestate eis, qui hujusmodi sunt, nostri obicem praecepti usquequaque praetendere eosque ab hac malesuada intentione penitus excludere, ita ut nullus alius abhinc et in reliquum tempus illius Majoris monasterii rector vel abbas esse praesumat, nisi ille tantum qui alterius monasterii sive basilicae Sancti Martini, in qua ipse etiam corpore quiescit, rector vel abbas extiterit, secundum quod in praeceptionibus continetur regum et in privilegiis sanctorum apostolicorum habetur insertum>. Quicquid igitur de praefatis saepe nominati Majoris monasterii rebus jus fisci exigere poterat, in nostra elemosina eidem concedimus monasterio, ut perpetuis temporibus ad peragendum divinum officium sive servitium fiat augmentum et supplementum quatinus ipsis servis Dei, qui ibi perpetuo famulantur, tam pro domno Odone gloriosissimo rege quam etiam pro domno Rotberto rege serenissimo, pro nobis quoque ac conjuge nostra, necnon pro Hugone dulcissimo abbate, et pro stabilitate totius regni a Deo conlati, immensam clementiam Dei delectet jugiter exorare. Si quis autem in tantam prorumpere ausus fuerit temeritatem et hoc praeceptum nostrum violare praesumpserit, non solum in offensam nostram lapsurum, verum etiam auri libras XXX se noverit poena multandum, ex quo duas partes rectores monasterii, tertiam vero jus fisci recipiat. Et ut haec auctoritas inviolabilem obtineat effectum et a fidelibus sanctae Dei Ecclesiae et nostris verius credatur ac diligentius conservetur, manu propria subter firmavimus et de bulla nostra solempniter insigniri jussimus.

Signum domni Rodulfi (Monogramma) regis serenissimi.

Heribertus notarius ad vicem Abbonis praesulis necnon archicancellarii recognovit.

Data nonas octobris, anno domni Rodulfi serenissimi regis Xmo. Actum Compendio palatio, in ipsa Sancti Cornelii basilica. In Dei nomine feliciter. Amen.


Localisation de l'acte

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