914, 30 mai. — Tours.

Pièce complémentaire

Robert, abbé de Saint-Martin de Tours, et son fils Hugues, ayant reçu de Gombert et et de sa femme Bertaïde les domaines suivants :

1. Poix, dans le comté ou « pagus » de Hainaut, dans la « vicaria » de Binche, consistant en une réserve et cinq manses, avec un moulin, des serfs et une brasserie ;

2. un autre à Watermael, en Brabant, avec la réserve, l'église Notre-Dame, des manses, des serfs et un moulin ;

3. un autre situé dans la « villa » de Willemeau, sur l'Escaut, dans le comté (ou « pagus ») et la « vicaria » de Tournai, formé de la réserve et de cinq manses, avec un moulin, leur rendent en précaire ces trois réserves avec les dix manses en dépendant et y ajoutent un domaine, situé à Valenciennes, sur l'Escaut, dans le comté d'Ostrevent, détruit par les Normands trente ans auparavant et inhabitable, dont dépendent six manses, avec deux terrains pour reconstruire les deux églises dédiées l'une à saint Sauve, l'autre à sainte Pharaïlde, et vingt serfs, le tout contre un cens annuel de cent sous payable à la Saint-Martin d'hiver ; à leur mort, ces biens passeront à leurs enfants Étienne et Gombert, mais reviendront, après le décès du dernier survivant, à Saint-Martin de Tours.

Référence : Jean Dufour et Robert-Henri Bautier (éd.), Recueil des actes de Robert Ier et de Raoul rois de France (922-936), Paris, 1978, no48.

A. Original ou pseudo-original perdu.

B. Copie du xviiie siècle, Bibliothèque nationale, Collection de Touraine-Anjou, t. I, fol. 178, n° 147, d'après A, avec référence à la Pancarta nigra, fol. 130 v°.

C. Copie du xviiie siècle, par Baluze, Bibliothèque nationale, Collection Baluze, vol. 76, fol. 90, d'après la Pancarta nigra, fol. 130 v°, avec corrections d'après A.

D. Copie du xviie siècle, par Besly, Bibliothèque nationale, Collection Dupuy, vol. 828, fol. 95, d'après la Pancarta nigra, fol. 133, n° CXX (anno 908).

E. Copie du xviie siècle, par Besly, Bibliothèque nationale, Collection Dupuy, vol. 841, fol. 95, d'après la Pancarta nigra, fol. 133.

F. Copie du xviie siècle par André Du Chesne, Bibliothèque nationale, Mélanges Colbert, vol. 46, fol. 121, d'après la Pancarta alia.

a. Ph. Labbe, L'abrégé royal de l'alliance chronologique de l'histoire sacrée et profane, t. II, p. 500, n° XVI (édition partielle), d'après la Pancarta nigra.

b. Champollion-Figeac, Documents historiques inédits, t. I, p. 478, d'après E (anno 909).

c. E. Mabille, Chroniques des comtes d'Anjou... avec une introduction, p. XCVIII, pièces justificatives, n° V, d'après C.

d. Ch. Duvivier, Recherches sur le Hainaut ancien, p. 328, n° XX, d'après b (1er juin 909).

Indiqué : Bréquigny, Table chronologique, t. I, p. 369 (1er juin 908).

Indiqué : E. Mabille, La pancarte noire, n° CXX, p. 131 et n° 120, p. 184.

Indiqué : P. Bonenfant, Le « pagus » de Brabant, dans Bulletin de la Société belge d'études géographiques, t. V, fasc. 1, 1935, p. 50, n° 17.

Indiqué : G. Despy, Le domaine de Watermael au début du Xe siècle, dans Cahiers Bruxellois, t. IV, fasc. 1-2, 1959, p. 1-8.

Indiqué : F. Deisser-Nagels, Valenciennes, ville carolingienne, dans Le Moyen-Age, t. 68, 1962 (p. 51-90), p. 83-84, 87-88 et n. 119.

Indiqué : A. d'Haenens, Les invasions normandes en Belgique au IXe siècle, p. 203-204.

Les deux actes, publiés ici côte à côte, présentent un texte identique en de nombreux endroits ; pourtant, on peut noter de très grandes différences. Le texte B, postérieur à A, supprime le préambule et la formule de corroboration ; or, le préambule de A, conforme aux usages de Saint-Martin, se retrouve dans plusieurs autres actes de l'abbé Robert. B abrège aussi la liste des souscriptions. En revanche, il glose le texte initial : les noms latins sont accompagnés de leurs correspondants en langue vulgaire ; certains mots sont expliqués, par exemple pagus. B complète les descriptions et ajoute des éléments (brasserie à Poix, noms des serfs).

B donne encore la raison pour laquelle le fils de l'abbé intervient pour disposer des biens appartenant à la mense capitulaire : Hugues (le futur Hugues le Grand) a reçu tous les honores de son père, avec l'accord de Charles le Simple, son seigneur. B précise que les biens en question étaient la propriété des chanoines de Saint-Martin, bien qu'ils soient tenus en dominium par l'abbé (licet in nostrum dominium teneantur). Il en résulte que B doit être tenu pour un faux, ayant sans doute pour source un breve descriptionis, établi peu de temps après la constitution de la précaire ; il aurait été forgé pour lutter contre les interventions d'Hugues le Grand (mort en 957) et daterait du milieu du xe siècle.

A et B sont datés du 30 mai de la dix-septième année du règne de Charles le Simple ; comme l'a remarqué Fr. Deisser-Nagels, cela correspond au 30 mai 914 et non 909, car Saint-Martin de Tours appartenant au roi Eudes, il est normal que, pour cette abbaye, le règne de Charles le Simple ait commencé seulement le 2 janvier 898, date de la mort d'Eudes, et non le 28 janvier 893, jour du sacre de Charles.

Ces actes ne sont pas sans poser une série de délicates questions historiques :

D'abord le nom de la villa : villa que dicitur Lancianas dans A, in villa Lancianis dans B. Il semble impossible de ne pas y voir Valenciennes, puisque précisément se trouvaient à proximité immédiate de cette localité des églises dédiées à saint Sauve et à sainte Pharaïlde. Mais il s'agit d'une déformation évidente, car le nom de Valentianae est attesté très anciennement et de façon continue : in vico Valentianas dans la Translatio sanctorum Marcellini et Petri ; in portu Valencianas dans le martyrologe d'Usuard ; fisci qui vocatur Valentianas dans la Passio sancti Salvii. En conséquence, certains ont proposé d'identifier Lancianas non avec Valenciennes, mais avec un village voisin, Lourches (Nord, arr. Valenciennes, con Bouchain), ce qui ne se peut pour des raisons philologiques, sans parler de l'invraisemblance historique. Les formes adoptées dans les deux traditions de Saint-Martin de Tours prouvent simplement que le rédacteur avait une connaissance médiocre du toponyme ou qu'il l'a affublé d'une forme issue d'une fausse étymologie.

Une deuxième difficulté tient au fait que Valenciennes était dès l'époque mérovingienne un fisc royal, où se trouvait un palatium : un jugement original de Clovis III du 28 février 693 est daté Valencianis in palacio nostro et plusieurs autres actes royaux le mentionne ; la Passio sancti Salvii, rédigée vers 800 mais se rapportant à des événements du temps de Charles Martel, place dans ce fisc le siège de l'administrateur royal qui, par cupidité, donna l'ordre de mettre le saint à mort ; sous Charles le Chauve, le palais existait toujours, puisque c'est de là que le roi expédiait encore un diplôme le 13 janvier 843 en faveur de son fidèle Nivelon.

Or, l'acte de précaire que nous publions indique que le mansus dominicatus (avec vingt tenures et les deux églises de Saint-Saulve et de Sainte-Pharaïlde d'après A, ou bien avec toutes ses dépendances et lesdites deux églises, plus six autres manses et vingt serfs d'après B) faisant partie du domaine de Saint-Martin, bien que non exploité depuis trente ans. Non seulement aucune mention n'est faite de la qualité fiscale du bien, mais on est en droit de se demander comment un palais et un fisc du roi auraient pu passer dans le domaine de Saint-Martin de Tours, sans qu'il y ait eu de précepte royal à ce sujet — alors que nous possédons tant de diplômes pour ce monastère — et aussi sans que ce fisc ait été mentionné dans aucun des nombreux diplômes confirmatifs.

Une troisième difficulté vient de la désignation des deux églises que Saint-Martin de Tours prétend donner à ses précaristes avec le mansus dominicatus de Valenciennes (« cum aecclesiis duabus, unam in honore sanctae Pharehildis constructam et alteram in honore sancti Salvii », A ; « cum locis duobus, ad duas aecclesias, quae quondam ibi fuerant, reaedificandas, unam in honore sanctae Farehildis et alteram in honore sancti Salvii », B). En effet, si l'église Saint-Saulve a pris la suite de l'antique basilique dédiée à saint Martin (basilica in honore beati Martini), après que le corps du saint y ait été transféré, elle était devenue dès la fin du viiie siècle ou le début du ixe siècle le centre d'un monastère relativement important ; l'auteur anonyme de la Passio sancti Salvii était certainement un moine de cette abbaye, devenue but de pélerinage en raison des miracles qui se produisaient sur le tombeau du saint patron. Dans la Translatio sanctorum Marcellini et Petri, déjà citée, Éginhard nous a conservé le souvenir de « Georgius, presbiter et rector monasterii sancti Salvii martyris, quod in pago Fanomartense [Famars, Nord, arr. et con Valenciennes], in vico Valentianas appellato, in ripa Scaldis fluvii situm est » ; il s'agissait du prêtre vénitien qui était venu apporter de la part du pape à Louis le Pieux l'orgue hydraulique, demeuré célèbre dans l'histoire de l'époque, et qui avait reçu en bénéfice de l'empereur l'abbatiat de Saint-Saulve ; resté en relations avec la Cour, il avait obtenu d'Éginhard des fragments de reliques de saint Marcellin et de saint Pierre, transférées de Rome à son initiative. Dans l'acte du partage de Meerssen en 870, il est encore question de l'abbatia Sancti Salvii, qui est dans le lot de Charles le Chauve. Même si cette abbaye a été détruite par les Normands pendant le règne de Louis III ou de Carloman, on ne comprend pas qu'il n'y soit fait aucune allusion dans l'acte de Saint-Martin de Tours et que l'on se contente de mentionner en A une église placée sous ce vocable et en B une église à reconstruire.

De ces trois éléments (méconnaissance du nom de Valenciennes, possession du chef-manse, alors qu'il s'agissait d'un fisc et d'un palais appartenant au roi, absence de référence à l'abbaye de Saint-Saulve), auxquels il convient d'ajouter l'absence de toute mention de Valenciennes dans les actes royaux concernant Saint-Martin, on serait tenté de conclure que, profitant des circonstances et, en particulier, de la ruine de la localité, Saint-Martin de Tours a essayé d'y reconstituer — peut-être sur la base de documents anciens — un domaine, qu'il avait pu posséder à l'époque mérovingienne ; on pourrait trouver une confirmation de cette hypothèse dans le fait que la basilique porta certainement le vocable de Saint-Martin avant celui de Saint-Saulve, qui s'était imposé dès la fin du viiie siècle.

S'il en était ainsi, on pourrait penser que Saint-Martin de Tours a rédigé successivement les deux précaires, dont le texte nous est parvenu, afin de tenter de recouvrer le domaine ; on aurait alors deux essais successifs de faux, rédigés sans doute après le décès de ces prétendus bénéficiaires à partir d'une précaire authentique portant uniquement sur les biens de Poix et de Willemeau et s'achevant par la longue liste de signa conservée. Si B est incontestablement faux, A lui-même est, nous semble-t-il, un document falsifié et interpolé.

On notera au surplus, que A fait des deux églises un élément dépendant du mansus dominicatus de la villa Lancianas, au même titre que les vingt manses. C'était sans doute mal connaître les lieux, car Saint-Saulve était à quelque distance de la villa, comme l'indique la Passio sancti Salvii : dum ex praedicto fisco egrederetur..., a longe vidit basilicam in honore beati Martini ; ce fut plus tard le village de Saint-Saulve, aujourd'hui faubourg de Valenciennes. Quant à l'église Sainte-Pharaïlde, c'était l'église, où d'après l'hagiographie, on voulut transporter tout d'abord le corps de saint Sauve avec un char à bœufs ; elle était située, comme l'a montré Fr. Deisser-Nagels, sur la rive gauche de l'Escaut et c'est sans doute actuellement Bruay-sur-l'Escaut.


B (FAUX)

Texte établi d'après les copies utiles.

(Chrismon) Nos igitur, in Dei nomine, Rotbertus, gregis atque rerum incliti confessoris Christi beati Martini abbas, necnon et filius noster Hugo, cui post nos cum seniore nostro rege Karolo omnes honores nostros impetratos habemus, percognitum et manifestum esse volumus successoribus nostris ejusdem Sancti Martini abbatibus, quoniam accesserunt ad nos familiaritatis quidam pernobiles ac Deo devoti homines, Gumbertus scilicet et uxor ejus Bertaidis, offerentes Deo et sancto confessori ejus domino nostro Martino ob remedium animarum suarum suorumque infantium, more precario, res quasdam ipsorum proprias, id est mansum .I. indominicatum cum terris cultis et incultis, pratis, silvis, culturis dominicatis, pascuis et farinario, ad quem pertinent alii mansi .V., similiter cum omnibus eorum utilitatibus et adjacentiis, cum mancipiis utriusque sexus in eisdem commanentibus, Eringerio videlicet et Gerbaldo et uxore ejus Ermengardi, Godoino etiam, Ingilgerio et uxore ejus Adalburgi, Brodino denique et uxore ejus Gelia, Adalardum insuper atque Supplicium, et cum omnibus aliis rebus predicto manso pertinentibus et camba .I. ; est autem ipse mansus, ad quem alii pertinent, situs in pago vel comitatu Hainoense, in vicaria Banciacinse, in villa Apeiz vel Petia perpetualiter habendum. Obtulerunt eidem sancto Martino, in alio loco, alterum mansum illorum indominicatum, cum aecclesia constructa in honore sanctae Mariae, cum terris cultis et incultis, silvis, pratis, aquis, pascuis et aliis mansis ad ipsos pertinentibus et cum mancipiis eisdem pertinentibus, Franchin, Magenfrid, Leutgard, Ragenein, Brodechin, Gelege, Ottoart, Edram, et molendino .I., situm in pago Bracbantisse, in villa Guatremal similiter perpetualiter habendum. Dederunt etiam, in tercio loco, mansum tertium indominicatum situm in comitatu vel pago Tornacensi, in vicaria Tornaico super ripam Scalti fluminis, in villa Guisline, cum terris cultis et incultis, pascuis, pratis, aquis aquarumque decursibus et molendino, silvis et omnibus aliis adjacentiis inter praescriptos dominicatos mansos alios mansos .V. ad ipsos pertinentes, cum omnibus eorum adjacentiis et utilitatibus, perpetualiter possidendos. Simulque pariter precabantur, ut ex rebus Sancti Martini, cujus defensores et abbas esse videbamur, mansum .I. indominicatum sed ex .XXX. retro annis a Normannis penitus destructum et inhabitabilem, cum campis, silvis, pratis, pascuis et cum locis duobus, ad duas aecclesias, quae quondam ibi fuerant, reaedificandas, unam in honore sanctae Farehildis et alteram in honore sancti Salvii, situm in pago et in comitatu Austrobannensi super fluvium Scaldi in villa Lancianis, cum aliis sex mansibus ad ipsum pertinentibus et mancipiis ad ipsos aspicientibus .XX., quorum haec sunt nomina : Ingelbert, item Ingelbert, Erad, Guarembert, Guitbert, Salamon, Teinbalt, Aldon, Restet, Sicart, Adalven, Aleuvim, Tateled, Dominicus, Hucbertus, Ledeuvart, Bernehart, Sigebalt, Areuvelt, Farcinta, Deodata, Rotberga, et omnibus aliis rebus ipsis pertinentibus ; ipsos etiam tres ipsorum mansos indominicatos supradictos, cum .X. aliis mansis, quos Sancto Martino condonabant ad ipsos aspicientibus, eis et duobus tantum infantibus ipsorum, Stephano videlicet et Gunberto, per consensum Sancti Martini canonicorum nostrorum aliorumque fidelium sub censuum institutione concederemus. Quorum deprecationem non indebitam cognoscentes, concessimus eis praescriptas res, omnes ipsas videlicet, quas Sancto Martino condonabant, ipsas sub omni integritate, quas ex rebus Sancti Martini possidebant, in quibuscumque adjaceant locis, eo siquidem rationis ordine et tenore, ut studeant ipsi, et post discessum ipsorum, duo praescripti, Stephanus videlicet atque Gunbertus, reddere annis singulis ad usus canonicorum Sancti Martini, cujus res esse videantur, licet in nostrum dominium teneantur, ad missam ipsius hyemalem solidos .C., et sic diebus quibus advixerint et, qualiscumque ex ipsis .IIII. superstes extiterit, quieto illos ordine cum omni emelioratione teneant et possideant. Si autem ex instituto censu negligens aliquis extiterit, id ipsum eis emendare liceat, et quod tenuerint, non amittant.

(Crux) Signum sanctae crucis domni Rotberti abbatis qui hanc precariam fieri et affirmare rogavit.

Signum Hugonis, filii sui, qui sub eodem eam firmavit.

Tetolo, sacerdos et decanus, subscripsi.

Odilmarus, sacerdos, subscripsi.

Rotbertus, diaconus et archiclavis, subscripsi.

Armannus subscripsi.

Gualterius subscripsi.

Frotherus.

Gerardus.

Signum Erberti, comitis.

Signum Gauzlini, comitis.

Signum Hervici, Sancti Martini advocati.

Signum Fulconis, vicecomitis.

Signum Gulfardi.

Data est autem hujus precariae auctoritas .III. kal. junii, in civitate Turonis, in pleno fratrum capitulo, anno .XVII. regnante domno Karolo rege. Ego Archanaldus, levita ac scolae magister, scripsi et subscripsi. AMHN.


Localisation de l'acte

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